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Tribune


01/05/2004


Droit à l'information et secret de l'enquête et de l'instruction : la cohabitation est-elle possible ?



 

Lorsque Rouletabille bouscule la police et la justice empêtrées dans Le Mystère de la chambre jaune, qu'il réussit à élucider, Gaston Leroux crée un personnage fondateur, ancêtre du journalisme d'investigation. Si les démêlés du jeune reporter (comme l'on disait alors), avec les représentants en faux col de ces deux institutions illustraient assez bien la transgression des secrets officiels, au nom du droit pour le public de “savoir”, un siècle plus tard, on n'en est plus là. La puissance des médias – la télévision, plus encore que la radio et la presse écrite – a jeté à bas les interdits de l'article 11 du code de procédure pénale.
Florence Lacour, dans l'admirable livre qu'elle a consacré à l'affaire Grégory, Le bûcher des innocents, a bien décrit le processus incontrôlable qui conjugue caméras, micros et stylos, aux prises avec le drame humain, la recherche de la vérité, les droits de la défense et ceux de la victime. Plus près de nous encore, il est aujourd'hui courant de voir sur l'écran du journal de vingt heures les images d'une perquisition diligentée dans telle “affaire” en vue par des magistrats et des policiers. Au même moment, des enquêteurs se plaignent amèrement des entraves que représentent parfois les informations intempestives publiées au détriment de l'enquête, des avocats déplorent que le secret “à géométrie variable” puisse être utilisé pour déstabiliser une défense efficace ou une attaque offensive. Parallèlement certains autres de ces mêmes professionnels appellent au secours la presse pour, selon les mots de l'un deux, « affoler la meute » et mettre à jour des dossiers ou éviter qu'ils ne soient enterrés. Des passerelles existent donc entre chacun de ces univers, même si leur cohabitation apparaît bien chaotique, mais dans le non-dit : secrets qui ne disent pas leur nom, bien plus efficaces que ceux garantis par la loi au détriment de la transparence, et quelquefois de la loyauté.
La combinaison du secret de l'instruction de l'article 11 du code de procédure pénale et du secret professionnel de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 s'avère, on le sait, inefficace et ce ne sont pas les sanctions édictées par l'article 226-13 du code pénal qui en ont jamais empêché la transgression. À ce sujet, on relèvera que le législateur (1), dans le mouvement de l'inflation des textes et de la pénalisation toujours accrue, a rajouté au code pénal un nouvel article 434-7-2, visant les enquêteurs et les avocats, pour sans doute apporter encore une pierre au “Barrage contre le Pacifique”. En effet, le nouveau texte dispose que « sans préjudice des droits de la défense, toute personne qui, du fait de ses fonctions, a connaissance en application des dispositions du code de procédure pénale, d'informations issues d'une enquête ou d'une instruction en cours concernant un crime ou un délit, révèle, directement ou indirectement, ces informations à des personnes susceptibles d'être impliquées comme auteurs, coauteurs, complices ou receleurs, dans la commission des infractions, lorsque cette révélation est de nature à entraver le déroulement des investigations de la manifestation de la vérité est punie de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende ».
Le Sénat avait au moment du vote de la loi ajouté la formule « sans préjudice des droits de la défense » mais l'Assemblée nationale avait obtenu dans la Commission mixte paritaire que la révélation indirecte d'informations aux personnes susceptibles d'être impliquées soit réprimée. On ignore quelles seront les conséquences de la création de cette nouvelle infraction au niveau du délit de recel. Ne verrat- on pas se rouvrir, d'une autre manière, le débat sur le recel d'informations ? Quelle est aujourd'hui la logique d'un système qui interdit au journaliste de faire connaître au public les pièces de la procédure d'instruction, alors même qu'il l'autorise à les administrer en preuve de la vérité, seul moyen pour lui de s'exonérer de sa responsabilité pénale s'il est poursuivi au titre de la diffamation publique ? La loi a organisé dans l'article préliminaire du code de procédure pénale et dans l'article 9-1 du code civil la protection de la présomption d'innocence ; mais qu'en reste-t-il vraiment après la promulgation de la loi Perben II qui permet au Parquet et à la police de prendre des mesures de surveillance, d'infiltration, de garde à vue prolongée, de sonorisation de lieux privés et d'écoutes téléphoniques, en dehors d'une instruction, à l'encontre des « personnes contre lesquelles il existe une ou plusieurs raisons plausibles de les soup-

çonner d'avoir commis l'un des crimes ou délits entrants dans le champ d'application des articles 706-73 ou 706- 74 du code de procédure pénale » (2) ? L'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme protège la libre investigation des journalistes, relève la chambre criminelle dans un arrêt récent (3) en consacrant au passage le droit pour la partie civile du procès en diffamation de produire elle-même les procès verbaux de l'instruction « en vertu de l'exigence d'équité du procès ». La Cour EDH a rappelé quelques jours après cette décision dans l'arrêt Roemen et Schmidt c/ Luxembourg (4) que « la liberté d'expression constitue l'un des fondements essentiels d'une société démocratique », ajoutant que « les garanties à accorder à la presse revêtent une importance particulière », comme déjà dans son arrêt Goodwin (5). La juridiction de Strasbourg relève que « les considérations dont les institutions de la Convention doivent tenir compte pour exercer le contrôle sur le terrain du paragraphe 2 de l'article 10 font pencher la balance des intérêts en faveur de celui de la défense de la liberté de la presse dans une société démocratique ».
Il existe donc des incohérences et des contradictions, alors que les protagonistes – presse, police, défense et justice – concourent pourtant chacun au fonctionnement de la démocratie. Comment répondre au droit de savoir et à la nécessité d'informer, respecter la publicité du procès équitable, et ne pas porter atteinte à l'efficacité de l'enquête ? Existe-t-il une coexistence possible entre les déontologies différentes des multiples acteurs ? Il a donc semblé nécessaire au Conseil National des Barreaux, qui représente les 40 000 avocats de notre pays auprès des pouvoirs publics, de prendre l'initiative d'une telle réflexion, avec le concours de tous les intervenants, avocats, policiers, journalistes et magistrat, pour qu'ils confrontent leurs pratiques respectives et entament un véritable dialogue. Ce processus a permis d'élaborer un certain nombre de pistes de réflexion dont il sera débattu au cours du colloque organisé avec Légipresse le 3 juin prochain.
Ainsi, peut-on aboutir à un système de “contractualisation” de la sortie de l'information entre la police, la justice et la défense ? Doit-on tenter d'édicter les règles de bonnes pratiques, une sorte de code de bonne conduite, s'imposant aussi aux médias ? Faut-il au contraire sortir l'instruction et l'enquête du secret en changeant de système procédural, passant de l'inquisitoire à l'accusatoire? Faut-il à nouveau légiférer et dans quelles directions, eu égard aux orientations données par la Cour EDH? Il s'agit donc de problématiques complexes qu'il convient de résoudre en formulant des propositions concrètes, nourries par l'expérience des praticiens, dont le législateur pourra un jour s'inspirer pour le plus grand bien des libertés publiques.
1er mai 2004 - Légipresse N°211
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