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Tribune


01/01/2004


Les rémunérations complémentaires des photo-journalistes : une définition attendue



 

Les photo-journalistes sont à nouveau en émoi. En cause? Un projet de modification des dispositions réglementaires du code de la sécurité sociale (CSS) qui a circulé fin novembre 2003 et qui devait, pour ses rédacteurs, mettre enfin un terme à des années d'incertitudes et de redressements opérés par l'URSSAF. Son objet? Les rémunérations complémentaires versées par les éditeurs et agences de presse aux photo-journalistes.
La situation à résoudre était celle créée par la loi du 27 janvier 1993 (1) qui a institué un double régime pour les revenus des photographes journalistes professionnels : • le régime social des artistes-auteurs de l'AGESSA, pour les revenus tirés de leurs photographies en dehors de la presse et pour leurs revenus complémentaires tirés de l'exploitation de leurs photographies dans la presse, dans des conditions à prévoir dans un accord collectif de branche ou, à défaut d'accord avant le 30 juin 1995, dans un décret en Conseil d'État ; • le régime salarié pour les revenus n'entrant pas dans la catégorie ci-dessus.
Jusqu'à présent, aucun accord collectif de branche ni décret en conseil d'État n'était venu préciser ce qu'il fallait entendre par « revenus complémentaires ». À défaut de précision, certaines entreprises et agences de presse avaient élaboré leur propre interprétation de cette notion jusqu'alors non-utilisée: secondes ventes, revenus excédant un certain seuil, etc. L'intérêt principal de soumettre une certaine proportion des rémunérations versées au régime de l'AGESSA tient dans le fait que les charges sociales attachées à ces rémunérations sont beaucoup plus faibles que les charges sociales propres au régime salarié. Cependant, ces interprétations ont toujours été invalidées par l'URSSAF qui rappelle régulièrement qu'à défaut d'accord collectif de branche ou de décret en Conseil d'État, c'est bien l'intégralité des rémunérations versées aux photographes journalistes professionnels qui doit être traitée comme du salaire.
Cette position est également celle de l'AGESSA et de la commission professionnelle des photographes indépendants qui indiquent que les journalistes professionnels sont obligatoirement affiliés au régime général de sécurité sociale, à l'exception de ceux qui bénéficiaient déjà du régime de l'AGESSA lors de l'entrée en vigueur de la loi du 27 janvier 1993. (2) Le décret proposé définissait donc, enfin, les revenus complémentaires comme prévu par la loi pour les assujettir au régime de l'AGESSA. Il comprenait un seul article (3) : « Pour l'application de l'article L. 382- 1 troisième alinéa, ont la nature de revenus complémentaires les revenus versés aux journalistes professionnels au sens des articles L. 761-2 et suivants du code du travail au titre de l'exploitation de leurs oeuvres photographiques dans la presse réalisée plus de douze mois à compter de la prise de vues. » Dès qu'elles ont pris connaissance de ce projet de décret, certaines associations de photo-journalistes ont fait circuler un manifeste sur internet et ont appelé à une manifestation le mercredi 19 novembre 2003 devant le palais de l'Élysée.
Selon les termes de leur manifeste, cette réforme est « délirante » et « dramatique » car l'application du régime de l'AGESSA se traduirait par la perte d'une protection sociale correcte, de l'indemnisation des accidents du travail, d'une retraite correcte, des droits concernant les congés maternité, le chômage, l'invalidité, etc. (source: Manifeste ANJRPC – FreeLens) (4).
Les photo-journalistes ne contestaient donc pas tant la définition proposée de revenus complémentaires, mais le risque même qu'ils couraient de voir une partie de leur rémunération assujettie au régime des auteurs. En somme, ils souhaitent être des salariés à part entière, quelle que soit la nature juridique de leurs revenus.
C'est cette même problématique qui avait été soulevée par Raphaël Hadas-Lebel dans son rapport sur la mise en oeuvre du droit d'auteur des salariés du droit privé (5) : il avait déjà noté la volonté affirmée des photo-journalistes de « voir reconnu à leurs rémunérations, même si elles sont exprimées en pourcentage, le caractère de salaire ».

Devant la forte mobilisation des photo-journalistes, le gouvernement a reporté l'adoption de ce décret et a invité ces derniers à la table des discussions pour étudier, avec eux, de nouvelles pistes de réflexion.
La réaction des photographes et le recul concomitant du gouvernement illustrent parfaitement la situation délicate dans laquelle la presse se trouve aujourd'hui et la grande difficulté à la résoudre, comme le soulignait le rapport Hadas-Lebel précité.
Cette difficulté tient en réalité au fait que le code de la propriété intellectuelle (art. L. 111-1) a adopté le parti d'ignorer l'éventuelle qualité de salarié des auteurs, alors que d'un autre coté le code du travail modifié par la loi Cressard de 1974 (6) a présumé salariés ou assimilés les journalistes (et pigistes). Pendant longtemps, les journalistes se sont focalisés sur la protection fournie par la présomption de salariat et ne se sont peu ou pas préoccupés de leur qualité additionnelle d'auteurs.
Internet a cependant réveillé chez les journalistes une âme d'auteur. Il s'en est suivi de nombreuses condamnations en justice des éditeurs de presse ou agences de presse en matière de réexploitation des articles ou photographies des journalistes, les journalistes revendiquant entre autres l'épuisement après la première publication prévu par l'article L. 761-9 du code de travail (7).
Afin de mettre fin à cette déferlante contentieuse, de nombreux accords collectifs et individuels aménageant ces réexploitations, notamment sur internet, ont été conclus entre les entreprises et agences de presse et les journalistes.
Juridiquement, les revenus tirés de l'exploitation des droits de propriété littéraire et artistique sont des redevances de droit d'auteur.
La jurisprudence accepte cependant que le salaire couvre de telles exploitations (8). Les accords collectifs susvisés sont sur ce sujet éclectiques, certains qualifiant les revenus complémentaires versés aux journalistes de droits d'auteur, d'autres de salaires.
En ce qui concerne les photo-journalistes, le projet de décret aujourd'hui abandonné avait le mérite, outre de combler le vide créé par la loi précitée de 1993 qui renvoyait à un décret en Conseil d'État, de tirer les conséquences des revendications d'auteur des journalistes tout en tenant compte de leur qualité principale de salariés : • salariés rémunérés pour produire des oeuvres destinées à être exploitées par l'employeur dans un cadre présumé “normal” (limité à 12 mois !) ; • auteurs reprenant leurs droits dès que les exploitations sortent de ce cadre.
Cette intention était louable car rien ne justifie en effet que les journalistes bénéficient d'un régime différent (plus avantageux) des autres auteurs du simple fait qu'ils sont journalistes, dès lors que les rémunérations en cause couvrent des exploitations faites en dehors du strict cadre journalistique.
Toutefois, les modalités précises retenues dans ce projet de décret nous paraissaient très critiquables, en particulier le critère des 12 mois à compter des prises de vues, et ce pour les raisons suivantes : • Il s'agit d'un critère artificiel ne reposant sur aucune réalité commerciale, et particulièrement inadapté aux agences de presse qui constituent des fonds d'archive conformément à leur objet social.
• Ce délai de 12 mois est incompatible avec l'épuisement de première publication prévu par l'article L. 761-9 du code du travail applicable aux éditeurs de presse. En effet, une seconde publication est selon cet article un acte d'exploitation couvert par les dispositions du code de la propriété intellectuelle (9). Le critère des 12 mois aurait conduit à ce qu'une même exploitation secondaire soit soumise tantôt au régime salarial et tantôt à celui de l'AGESSA, alors que sa nature juridique est unique.
• Enfin, ce critère des 12 mois fait peu de cas de l'article L. 121-8 du CPI qui laisse la faculté, sans condition de délai, au journaliste de faire publier par-devers lui un recueil de ses oeuvres, publication qui pourra donner lieu à des redevances qui, par essence, sont du droit d'auteur.
En conclusion, il est grand temps de combler le vide provoqué par l'absence du décret prévu par la loi de 1993 et à cet égard, l'initiative gouvernementale de définir les revenus complémentaires était bienvenue.
Toutefois, le retrait du projet gouvernemental est sans doute une bonne chose de notre point de vue de juriste parce que cela sera, espérons-le, l'occasion de corriger ses incohérences juridiques et de tenter de rapprocher les logiques aujourd'hui antagonistes du droit du travail et de la sécurité sociale, d'une part, et du droit d'auteur, d'autre part. Ce retrait devrait également permettre de trouver une solution négociée aux revendications d'ordre social des photo-journalistes et aux préoccupations d'ordre économique des éditeurs et agences de presse, ce d'autant plus que bon nombre de photo-journalistes ont créé leur propre agence de presse photographique et doivent également prendre en compte cet aspect économique. Les photo-journalistes et les agences et éditeurs de presse ont un intérêt commun à voir cette situation clarifiée au plus vite.
1er janvier 2004 - Légipresse N°208
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