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Tribune


01/06/2003


Rémunération légale au titre du prêt en bibliothèque : Projet de loi d'équilibre et de “paix culturelle”



Florence-Marie PIRIOU
Docteur en droit, Responsable juridique de la SOFIA et de la SGDL
 

Adopté à l'unanimité par le Sénat le 8 octobre 2002, le projet de loi relatif au droit de prêt a fait l'objet d'un vote en première lecture devant l'Assemblée nationale le 2 avril 2003. L'Assemblée a confirmé les principes de mise en œuvre du droit de prêt en bibliothèque mais est revenue à l'esprit initial du texte proposé par le ministère de la Culture et de la Communication en faveur du partage de la rémunération de l'auteur avec l'éditeur. De nouvelles dispositions concernant les marchés publics ont également été ajoutées à titre transitoire pour éviter de bouleverser les commandes en cours (1). Cette future loi s'inscrira dans un nouveau chapitre 3 du livre premier du code de la propriété intellectuelle aux articles L. 133- 1 et suivants.
Les auteurs et les éditeurs se sont finalement ralliés au régime de licence légale instituant une rémunération au titre du prêt.
Ce dispositif présente l'avantage de renforcer la protection sociale des écrivains et des traducteurs, créant un financement partiel pour un régime de retraite complémentaire. De plus, le système qui sera mis en place conduira à un rééquilibrage de la chaîne économique du livre, apportant un soutien accru à la librairie. Ce texte, qui a été qualifié de projet d'équilibre et de “paix culturelle”, vient donc clore un long débat et ouvrir de nouveaux horizons pour les auteurs et leurs éditeurs.
I - Naissance difficile de ce nouveau droit La position officielle de l'État français depuis la directive de 1992 relative au droit de prêt et de location appliqué dans la plupart des pays européens (2) avait été de reconnaître l'existence du droit de prêt dans la loi du 11 mars 1957, ce qui évitait la transposition de la directive. Le droit de prêt est applicable sous la forme du droit de destination, corollaire du droit de reproduction de l'auteur lui permettant d'autoriser ou d'interdire la mise à disposition de son œuvre dans les lieux publics.
Depuis 1992, les revendications des auteurs et des éditeurs en faveur du droit de prêt étaient restées vaines, jusqu'à la décision de Madame Catherine Trautman de demander un état des lieux à M. Borzeix en 1998 (3). Son rapport fut suivi de concertations entre les représentants des auteurs, des éditeurs, des libraires et des bibliothèques. En février 2000, la Société des gens de lettres (SGDL), le Syndicat national de l'édition (SNE) et la Société française des intérêts des auteurs de l'écrit (SOFIA), nouvelle structure de perception rassemblant auteurs et éditeurs pour le droit de prêt et la copie privée numérique ont, dans une pétition signée par 288 écrivains, mis en garde les bibliothèques sur la possibilité pour l'auteur d'interdire le prêt de leurs livres tant que ne serait pas trouvée une solution à ce problème. S'ensuivit une vague de protestation des bibliothèques rejointes par un groupe d'auteurs contre le paiement à l'emprunt par le lecteur et une très vive polémique sur l'accès gratuit à la lecture publique.
Cependant, à l'issue de concertations des représentants des professionnels et des bibliothécaires, une série de mesures préparée par la Direction du Livre a abouti à une formule de “prêt payé” écartant ainsi le paiement à l'acte d'emprunt.
II - Licence légale et rémunération au titre du prêt en bibliothèque Le projet de loi recourt, en effet, à la possibilité offerte par l'article 5 de la directive n° 92/100 du 19 novembre 1992 de déroger au droit exclusif de l'auteur. Ce dernier se voit ainsi privé de son droit d'autoriser ou d'interdire le prêt des exemplaires de son œuvre moyennant une rémunération compensatoire. En vertu de l'article L. 133- 1 du nouveau projet de loi amendé par l'Assemblée nationale, « lorsqu'une œuvre a fait l'objet d'un contrat d'édition en vue de sa publication et de sa diffusion sous forme de livre, l'auteur ne peut s'opposer au prêt d'exemplaires de cette édition par une bibliothèque accueillant du public. Ce prêt ouvre droit à rémunération au profit de l'auteur selon les modalités prévues à l'article L. 131-4. » Cette rémunération proposée comprend deux parts.
Une première est prise en charge par l'État qui versera une contribution forfaitaire annuelle par usager inscrit en bibliothèque, à l'exception des bibliothèques scolaires. Le montant et le mode de calcul de cette contribution seront fixés par décret. Le gouvernement envisage d'appliquer un droit de prêt forfaitaire de 1 euro par étudiant inscrit dans les bibliothèques universitaires et de 1,5 euro par inscrit dans les autres bibliothèques. La seconde part est assise sur le prix public de vente hors taxes des livres achetés par les bibliothèques. Il reviendra aux libraires de reverser à la société qui sera agréée les 6 % sur le prix public hors taxes d'un livre acheté par une bibliothèque de prêt. Cette contribution vise les livres achetés par l'État, les collectivités locales, les établissements d'enseignement, de formation professionnelle ou de

recherche, les syndicats représentatifs, les comités d'entreprises et les associations pour leurs bibliothèques de prêts. Il s'agit de personnes morales désignées par l'article 3 §2 alinéa 3 de la loi n° 81-766 du 10 août 1981 relative au prix du livre, texte qui est d'ailleurs modifié de manière à plafonner à 9% les remises offertes aux bibliothèques. Ce qui revient, pour le libraire, à une remise globale de 15 %, comprenant les 6% de rémunération au titre du prêt et les 9 % de rabais pour la bibliothèque.
D'après les éléments d'information fournis par le ministère de la Culture et de la Communication, le produit total de cette contribution et de ce prélèvement devrait atteindre à partir de la deuxième année 22,6 millions d'euros, dont une part serait affectée à la prise en charge d'une fraction des cotisations dues par les auteurs au titre de leurs retraites complémentaires.
Ces rémunérations sont perçues, d'après le projet actuel, « par une ou plusieurs sociétés de gestion collective agréée(s) à cet effet par le Ministre chargé de la Culture ». Cette ou ces sociétés sera (ou seront) désignée(s) en considération de la diversité des associés, de la qualification professionnelle des dirigeants, de la représentation équitable des auteurs et des moyens qu'elle(s) propose(nt) de mettre en œuvre pour la perception et la répartition de ce droit.
III - Modification et ajustement En première lecture, pour revenir à une position plus proche du principe humaniste du droit d'auteur, les sénateurs avaient privilégié l'attribution de cette rémunération au profit de l'auteur. Dans leur proposition, il revenait à l'auteur de décider, dans le cadre d'une convention de partage du montant, de la part de l'éditeur. Dans le souci de protéger l'auteur dans cette négociation avec son éditeur, le projet de loi adopté par les sénateurs précisait que la part de l'éditeur ne pouvait excéder 50 %.
Cette modification fut vivement contestée par les représentants des auteurs et des éditeurs, car risquait de les renvoyer dos à dos et de raviver entre eux un rapport de force que tous leurs efforts visent précisément à faire disparaître. Aussi, dans le respect d'un partage traditionnel des droits, auteurs comme éditeurs ont fait valoir l'intérêt d'une répartition à parts égales, respectant ainsi l'équilibre consacré par les usages.
L'Assemblée nationale a tenu compte de cette modification et les députés ont réintégré le principe d'une répartition à part égale entre auteurs et éditeurs.
De plus, les représentants des auteurs et des éditeurs, par l'intermédiaire de la SGDL et du SNE ainsi que de leur nouvelle société de perception et de répartition, la SOFIA, avaient attiré l'attention des parlementaires sur les difficultés qu'entraînait l'assiette des droits proposée par le projet de loi adopté par le Sénat de faire porter la rémunération uniquement sur les livres destinés au prêt et non à la consultation sur place.
Les modifications apportées par les sénateurs au texte entraînaient des difficultés pratiques et l'Assemblée, dans un souci d'allégement des mécanismes de gestion, est revenue au texte initial du projet. L'article L. 133-3 prévoit désormais que le prélèvement de 6% du prix public s'effectuera sur les livres achetés pour les bibliothèques accueillant du public pour le prêt. Le dernier examen de ces modifications par le Sénat se déroulera le 10 juin; l'entrée en vigueur de la loi intervenant le premier jour du deuxième mois suivant sa publication au Journal officiel. Certaines dispositions transitoires sont été adoptées pour mettre en œuvre progressivement le dispositif dès la première année. Il est ainsi prévu de limiter à 3 % (au lieu de 6 %) la rémunération versée par les libraires sur les livres achetés par les bibliothèques et de plafonner à 12 % (au lieu de 9 %) les rabais autorisés sur les ventes de livres aux bibliothèques.
De même, le prêt payé forfaitaire est ramené pour la première année d'application du texte à 0,75 euro pour les bibliothèques publiques et à 0,5 euro pour les bibliothèques universitaires.
Enfin, les dispositions de la loi ne s'appliqueront pas aux marchés publics des commandes de livres passés avant l'entrée en vigueur de la loi. En revanche, les marchés publics en cours d'exécution devront être résiliés au plus tard un an après l'entrée en vigueur de la dite loi. À cette date, l'ensemble des marchés publics devra présenter des taux de rabais de 9% maximum.
IV- Application de la loi L'application de la loi comportera un volet de décrets devant fixer, chaque année, les montants de la contribution forfaitaire inscrits en loi de finances aux budgets des ministères de la Culture et de l'Éducation nationale, déterminer la part de cotisation affectée et surtout désigner la ou les société(s) qui sera ou seront en charge de la gestion de ce droit. Monsieur Emmanuel Hamelin, député du Rhône et rapporteur de la Commission des affaires culturelles, indique dans son rapport (4) « qu'une seule société de perception et de répartition de droits, la Société française des intérêts des auteurs de l'écrit (SOFIA) correspond à l'heure actuelle aux critères d'agrément posés par le projet de loi ». Auditionné par le rapporteur, le président de la SOFIA, M. François Coupry a confirmé son intention de présenter la candidature de cette société qui compte aujourd'hui plus de 4000 auteurs et 52 éditeurs représentant plus de 80 % du chiffre d'affaires de l'édition française.
Cette société a été créée depuis 1999, avec le soutien de la SGDL et du SNE, dans le but de faire appliquer le droit de prêt en France.
Elle répartit depuis déjà deux ans, le droit de prêt anglais versés par l'office britannique (Public Lending Right), aux auteurs et éditeurs français de livres prêtés dans les bibliothèques anglaises.
Enfin, rappelons que la loi prévoit également que deux ans après son entrée en vigueur, un rapport émanant du gouvernement soit présenté au Parlement sur son application et ses incidences financières.
La portée de ces nouvelles dispositions par la création de cette nouvelle rémunération aux auteurs et à leurs éditeurs est loin d'être négligeable. La création de la Caisse de retraite complémentaire pour les écrivains et les traducteurs traduit un véritable progrès : en effet, ceux-ci étaient les seules catégories d'auteurs à en être écartées. La philosophie d'équilibre recherchée par les rédacteurs de ce projet de loi a su ainsi préserver les intérêts des auteurs et de leurs éditeurs tout en confortant le réseau des libraires indépendants et en préservant les efforts faits depuis vingt ans en faveur de la lecture publique.
1er juin 2003 - Légipresse N°202
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