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Tribune


01/10/1998


IL FAUT CONSERVER LA LOI DE 1881 Réponse à notre chronique du précédent numéro



 

Nouvel avatar de la querelle des images qui divisa au VIIIe siècle le monde byzantin, la dispute sur l'abrogation de la loi du 29 juillet 1881 colonise colloques, réunions d'experts ou revues spécialisées.
Première d'entre elles en son domaine, Légipresse ne fait pas exception à la règle et, l'interrogation faussement naïve du Professeur Derieux – dans le dernier numéro de cette revue – ne trompe personne sur l'intention “légicide” de son auteur. Poser la question c'est déjà y répondre, semble nous dire M. Derieux et de nous expliquer que la loi est vieille, qu'elle n'est défendue que par ses praticiens qui y voient là un fonds de commerce procédural assez commode, quelques arguments assez éculés que d'autres avant lui avaient agité vis-à-vis des médias, considérés comme responsables des malheurs internes de la société.
Pourquoi faut-il abroger la loi de 1881 selon l'universitaire ? Essentiellement pour deux raisons, l'une tenant au fait que la loi est pénale, l'autre tenant aux règles de procédure qui en font une loi “virtuelle”.
• On ne peut que demeurer surpris par le premier de ces reproches.
La loi du 29 juillet 1881 fut un texte libérateur qui instituait la liberté pour règle et la contrainte pour exception.
Le juge a depuis lors agi comme “créateur de déontologie” selon le mot de M. le Président Jean-Yves Monfort aux derniers entretiens de Saintes (les Annonces de la Seine, 22.06.1998).
La jurisprudence a progressé dans le cadre pénal, des principes d'interprétation stricte de la loi, de l'individualisation de la responsabilité et du principe de légalité. C'est elle qui a élaboré le concept de bonne foi, preuve de la vigueur de la création prétorienne dont l'analyse révèle la cohérence dans la recherche de l'égalité de traitement de l'action devant les juridictions pénales et civiles.
La loi serait de plus vieillotte, ajoute M. Derieux, qui se réfère aux myriamètres et autres bilboquets, mais ignorerait la radio et la télévision. Curieux reproche, puisque le régime de responsabilité de la loi a précisément été étendu par la loi du 29 juillet 1982 aux services de communication audiovisuelle.
Singulier procès que celui-là, qui oublie la progression jurisprudentielle, son adaptation à l'évolution des temps et des mœurs, alors même que la Cour européenne des droits de l'homme accorde à la jurisprudence le titre de loi.
Étrange dispute, dès lors que la loi du 29 juillet 1881 constitue, au regard des juridictions françaises et européennes la seule ingérence justifiée dans les principes de la liberté d'expression, tels que définis par l'article 10 de la Convention.
Faut-il là encore vouloir, sous le prétexte de régler un problème particulier par une loi particulière, jeter à bas un texte général dont le génie lui a permis de traverser plus d'un siècle en garantissant la liberté d'expression.
• Il s'agit bien de cela en réalité et c'est la deuxième part de l'acte d'accusation.
La procédure y ferait la part trop belle aux médias et, sous le prétexte de garantir la liberté de la presse oublierait les intérêts des victimes.
Certes, on pourrait se borner à répondre avec Ierhing que la forme est la sœur jumelle du droit, mais la démonstration est aisée de l'inanité de ce second grief.
On oublie, d'une part, que la loi – dans l'interprétation jurisprudentielle constante – crée à l'encontre du diffamateur une présomption d'intention de nuire, dont il ne peut s'exonérer que par la preuve diabolique, parce que quasi impossible, de la vérité ou par celle de la bonne foi plus large, mais très encadrée par les exigences des tribunaux.
On passe, d'autre part, sous silence le caractère innovant dans le droit français de la procédure de la loi qui est un îlot d'accusatoire dans un océan d'inquisitoire avec un débat sur la preuve limité à l'audience publique, dont le rôle est fondamental. Nulle part ailleurs que dans le droit de la presse, ne s'applique le principe du contradictoire dans le débat judiciaire pénal ou civil, avec les conditions d'interrogatoires ou de contreinterrogatoires des témoins à charge et à décharge.
Bien plus, la loi du 29 juillet 1881 crée un système légal de preuve, inconnu de notre droit pénal dont la règle est l'intime conviction : ici, les modes d'administration de la preuve sont définis avec précision, dans les articles 55 et 56 de la loi.
Qui dit mieux, faut-il là aussi passer tout cela par-dessus bord, au prétexte que le régime des nullités serait dérogatoire du droit commun, alors que cette spécificité n'est là que pour obliger le plaignant au sérieux de sa procédure, s'agissant de l'exercice d'une liberté publique. Et si la notion de procès équitable, telle qu'elle est définie par l'article 6 de la Convention existe bien, c'est dans le cadre de la loi du 29 juillet 1881.
Enfin, l'auteur reproche à l'évolution jurisprudentielle d'avoir “calé” la procédure civile sur les exigences de la procédure pénale par l'effet d'une “contamination”, alors qu'il réclame lui-même l'unification du régime de la responsabilité en matière de liberté d'expression. Car c'est bien là le paradoxe, puisqu'après avoir jeté bas la centenaire, M. Derieux ne sait pas très bien par quoi la remplacer.
Le régime de responsabilité devrait être unifié, prétend-il. Oui, mais comment et sur quelles bases ? Celle de la loi sur la presse ? Celle du régime du droit commun ? Dans la seconde hypothèse, qu'en serait-il de l'exigence voulue par la Cour de Strasbourg de l'ingérence nécessaire et limitée dans le principe de la liberté d'expression ? Quant à la codification, il s'agit là d'une médication qui, dans ce domaine spécifique aura autant d'effet qu'un emplâtre sur une jambe de bois, l'auteur le reconnaît lui-même.
Alors, faut-il – sous le prétexte que le Conseil constitutionnel ne se réfère jamais à la loi du 29 juillet 1881 – lui dénier la valeur d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République ? Certainement pas, parce que les principes définis par la loi du 29 juillet 1881 s'insèrent parfaitement dans l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme qui a valeur constitutionnelle, ainsi que dans les articles 9 et 10 de la Convention : preuve s'il en était de la modernité et de l'actualité de ce monument législatif.
1er octobre 1998 - Légipresse N°155
1135 mots
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