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Tribune


01/10/1997


LA RESTITUTION DES FRÉQUENCES FM OU LE COUP DE POKER DU CSA



1997 restera peut être comme l'année d'un tournant majeur de la régulation du secteur radiophonique. Depuis plus de dix ans, se joue, dans le petit monde de la FM une pièce dont tous les acteurs ont un trait commun que d'aucuns mal intentionnés pourraient qualifier de tartuferie : vouloir cacher les rachats de fréquences qu'on ne saurait voir mais que tout le monde connaît, CSA compris. Or, il semble que, cette fois-ci, chacun veuille définitivement tourner la page.

 

LE CSA est, en effet, confronté à de sérieuses difficultés : à la fois conscient de la nécessité pour les groupes radiophoniques de disposer d'une taille critique et soucieux de maintenir le pluralisme le plus large possible, l'instance de régulation courre deux lièvres à la fois.
l Conforter l'exploitation par les principaux groupes radiophoniques (CLT/RTL – HACHETTE/EUROPE 1 – NRJ-RMC) de trois réseaux dans la limite maximale de 150 M d'auditeurs potentiels cumulés desservis.
l Maintenir l'existence d'un tissu de radios locales ou régionales, qu'elles soient associatives ou commerciales : – en interdisant aux réseaux nationaux (catégorie D) de prendre le contrôle des radios de catégories B (locales) et – en liant accès à la publicité locale et réalisation d'un programme local, cette doctrine a été peu ou prou appliquée depuis le fameux “Communiqué 34” d'août 1989, mais avec des exceptions troublantes (tel le rachat de RVS à Rouen au profit de NRJ (2) ou l'affiliation de Chantilly FM à Fun).
Plusieurs éléments sont, en effet, venus peu à peu bouleverser l'apparent équilibre que ce texte établissait.
1) Le relèvement du seuil anticoncentration à hauteur de 150 M d'habitants opéré par la loi du 1er février 1994 ; cette réforme, justifiée dans son principe, tant les dispositions précédentes étaient restrictives et maladroites (3), a évidemment suscité un appétit décuplé des principaux groupes pour obtenir, une fois pour toutes, trois réseaux de taille nationale et, par là même, accentué les pressions pour limiter d'autant la part des fréquences allant aux radios locales commerciales de catégorie B.
2) La procédure, instituée par la même loi du 1er février 1994, permettant le renouvellement quasi automatique des autorisations initialement accordées par le CSA sans recourir au mécanisme des appels aux candidatures, s'il a l'apparent mérite, d'une part, de simplifier et d'accélérer le travail du CSA, d'autre part, de pérenniser l'exploitation des radios, a incontestablement tendance à figer les situations acquises et aboutit, en conséquence, à rendre presque impossible les évolutions du paysage radiophonique.
En ne recourant plus aux appels à candidatures, le CSA est de facto privé d'une arme précieuse, celle de remettre à plat les équilibres entre les titulaires de fréquences.
Hervé Bourges n'a pas caché son scepticisme face à de telles contraintes.
3) Récemment, et conformément à la théorie selon laquelle la meilleure défense est l'attaque, le groupe NRJ, au mépris de la législation, a basculé sans aucun accord du CSA son troisième programme, Rires et Chansons, sur les fréquences des radios qui souhaitaient s'abonner à ce programme sans avoir reçu l'accord du CSA. Avec le résultat que l'on sait : les auditeurs s'étant rués sur le standard de l'Hôtel Matignon pour appuyer cette action, Alain Juppé, Premier ministre, pria fermement le président du CSA d'avoir l'amabilité de trouver une solution et le ministère de la Culture demanda à Hervé Bourges de procéder à un audit général des fréquences.
Comme toujours, entre réglementation plus ou moins adaptée et psychodrame médiatico-politique, le paysage radiophonique venait de connaître une de ces éruptions qui caractérisent son histoire.
Dans ces conditions, le CSA avait trois solutions pour réagir.
l Entamer les poursuites contre NRJ au motif de diffusion d'un programme non autorisé et ne rien céder. C'eut été risquer, a-t-on dit, une manifestation de jeunes auditeurs de NRJ, laquelle, au demeurant, se ravisa quand elle comprit

que son coup de force serait d'autant plus efficace qu'il ne se prolongerait pas.
l Demander et obtenir une réforme législative.
Le gouvernement précédent n'a guère manifesté d'enthousiasme à ce sujet.
l Organiser une remise à plat des autorisations accordées en lançant des appels aux candidatures.
C'est cette solution qui a été retenue, non sans risques.
Pour la réaliser, il a d'abord fallu que le CSA se livre à un exercice de haute voltige dont rien ne dit qu'il sortira juridiquement indemne : négocier avec les réseaux nationaux le fait qu'ils renoncent aux fréquences de radios locales préalablement “acquises” plus ou moins clandestinement et leur promettre, en échange, d'obtenir des autorisations nouvelles en bonne et due forme. De réunions en réunions, des tractations ont bien eu lieu et le CSA a ainsi publié au Journal officiel du 8 juin dernier les appels aux candidatures correspondants.
Pour autant, le CSA ne paraît pas prêt malgré les vœux des opérateurs réunis sous la bannière de l'association “Vive la Radio”, de procéder à l'audit général des fréquences réclamé par ailleurs par l'ancien ministre de la Culture et qui, au-delà de la bataille entre réseaux provoquée par NRJ, a pour but de rationaliser la gestion du spectre hertzien, en particulier les fréquences de Radio France. Cette dernière s'est vu, en effet, attribuer une majorité de ses fréquences à une époque, avant 1981, où, étant seule autorisée à accéder à la FM, elle pouvait “puiser” sans limites dans un vivier vierge de toute concurrence.
Aujourd'hui, alors qu'il convient de gérer la pénurie et de respecter, malgré la priorité d'accès reconnue par la loi au service public, une certaine égalité de traitement, l'objectif poursuivi est de déterminer si, à couverture identique, Radio France pourrait renoncer à certaines fréquences au bénéfice des radios privées.
Il est trop tôt pour savoir quelles décisions seront prises. Mais d'ores et déjà, on peut, semble-t-il, s'interroger sur la légalité de la procédure retenue. Il convient en effet, pour le moins, de se demander si le CSA n'effectuera pas dans ce dossier un détournement de pouvoir. Il ne s'agit pas d'établir que le CSA aurait commis un détournement de pouvoir fondé sur le fait qu'il n'aurait pas poursuivi un but d'intérêt public.
Il est en effet peu douteux que, par luimême, l'objectif affiché du CSA : mettre un terme au rachat de fréquences et assurer un pluralisme le plus large possible des titulaires d'autorisations, ne soit pas un but d'intérêt public. Il s'agit donc seulement de savoir si un éventuel détournement de pouvoir ne résulterait pas du fait que le CSA aurait agi dans un but public autre que celui fixé par la loi.
On peut, dans ce cadre, s'interroger légitimement sur le fait de savoir si la procédure engagée par le CSA n'a pas un motif et un seul : servir in fine les intérêts exclusifs des réseaux nationaux en facilitant leur extension au détriment des radios locales. En outre, le CSA ne manifesterait- il pas aussi son refus d'appliquer la procédure légale de mise en demeure et de saisine du Conseil d'État en cas de diffusion de programme non autorisé et de modification du capital d'une société titulaire d'une fréquence, conséquences de toute acquisition illicite ? Il nous semble donc, il est vrai, que le CSA a pris des risques considérables dans une affaire qui, en opportunité, est très délicate à gérer : elle résulte autant d'une législation très rigide que de comportements dans la mesure où, en France, à la différence de la plupart des pays étrangers (Canada, États-Unis, Grande- Bretagne notamment), certains acteurs de la radio continuent la politique du fait accompli vis-à-vis de l'instance de régulation.
C'est à se demander, pour qui observe attentivement le secteur radiophonique depuis 1981, quand la législation sera réellement adaptée et quand celle-ci sera effectivement respectée.
1er octobre 1997 - Légipresse N°145
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