Une association de lutte contre l'alcoolisme demandait en référé le retrait, sur tous supports, en tous lieux et notamment sur les sites de vente en ligne et les applications Facebook mises en place à cette occasion, de toute publicité en faveur d'une bouteille Heineken édition spéciale « Ed Banger », réalisée par un designer pour les cent quarante ans de la marque. Cette collaboration a abouti à la création d'un habillage autour de la bouteille, recouverte de mots, dans un graphisme varié et en majeure partie illisible au premier regard. Ces mentions, en anglais, indiquaient : « Permettez-moi tout d'abord de me présenter, je suis la bouteille Heineken édition limitée. Aussi, comme vous allez inévitablement mettre vos lèvres sur mon cou, j'ai imaginé l'étiquette adéquate. Je voulais créer une bouteille et un décor très spéciaux pour cette occasion. En effet, 2013 est une année anniversaire commun de Heineken et Ed Banger, 140 ans et 10 ans. Mets-moi à la lumière puis éteins la lumière. Surprise. Je suis illuminée. C'est une première. C'est lumineux ». Pour le juge des référés, ces mentions figurant sur la bouteille sont particulièrement incitatives et ne peuvent se rattacher aux mentions autorisées par l'article L. 3323-4 du Code de la santé publique. Ainsi, le dialogue mis en scène est jugé n'avoir d'autre but que d'inciter à l'achat et à la consommation du produit, ce qui constitue un trouble manifestement illicite. Constatant que la communication mise en place sur les sites de ventes en ligne et les applications Facebook avait été supprimée et que le trouble a cessé, le juge estime ces demandes sans objet. (5 000 à titre de provision sur des dommages et intérêts sont alloués au profit de l'Anpaa).
1. Trois décisions judiciaires viennent d'être rendues dans le domaine de la publicité des alcools (1). Trois condamnations ont été prononcées. Les trois affaires étaient dans les faits très différentes, les trois juridictions également. Et pourtant, les méthodes de raisonnement sont identiques : en matière de publicité en faveur des alcools, la fin (le désir de sanction) justifie les moyens (l'oubli de règles juridiques essentielles).2. Dans la première affaire, l'Anpaa ...
Tribunal de grande instance, Paris, Ord. réf., 18 juillet 2013, Anpaa c/ Heineken
(2) Tgi Paris (5e Ch. 2e Section), 21 mars 2013 Anpaa c/ Hachette Filipacchi, MoëtHennessy Diageo ; Cass. Civ. 1re, 3 juillet 2013 Anpaa c/ Ricard ; Tgi Paris (ord. réf.) ,18 juillet 2013 Anpaa c/ Heineken.
(3) Voir Éric Andrieu, Frédéric Gras, note sous crim., 15 mai 2012, Anpaa c. Ricard,Legipresse n° 297, sept. 2012, p. 496 et s.
(4) CA Paris, réf., 1re sect. A, 17 mars 1992 : JurisData n° 1992-020853 ; Tgi Nanterre,1re sect. A, 24 juin 1992, n° BO 1596-92.
(5) Sur l'éducation et la culture du bien boire : Georges Ferré, L'âme du vin, symbolismeet spiritualité dans les trois religions, Dervy, 2012, 264 P.
(6) Éric Andrieu, Synthèse annuelle de droit de la publicité, Légipresse ; ÉricAndrieu, Frédéric Gras, note sous crim., 15 mai 2012, Anpaa c. Ricard, Légipressen° 297, sept. 2012, p. 496 et s. ; Eric Andrieu et Frédéric Gras « Publicité pour l'alcoolet le tabac, glissement progressif vers la censure », Légicom n° 38-2007/2.
(7) François Geny, Science et technique en Droit privé positif, Sirey 1914-1924 :l'ouvrage est l'expression de la théorie de la libre recherche scientifique etfait suite à Méthode d'interprétation et sources en Droit privé positif (1899) danslequel Geny dénonçait le « fétichisme de la loi ». Dans Sciences et techniques, ilinvite le juge, au regard de l'incomplétude de la loi, à examiner le « donné »pour mettre en oeuvre le « construit ». Cette question de l'interprétation de laloi anime toujours la doctrine : Benoît Frydman, Le sens des lois, Bruylant, Lgdj,2007, 696 p. ; François Ost, Raconter la loi, aux sources de l'imaginaire juridique,Odile Jacob, 2006, 442 P. ; François Ost, Dire le droit, faire justice, Bruylant, 2007,206 p. ; Jean-Paul Andrieux, Histoire de la jurisprudence, les avatars du droitprétorien, Vuibert, 2012, 307 P.
(8) Julien Bonnecase, Introduction à l'étude du Droit, Sirey, 1939, 331 p. et plusparticulièrement p. 286 et s.
(9) Comme l'indiquait le Doyen Carbonnier au visa de l'article 5 du Code civil,« on aura beau, dans une jurisprudence, entasser les jugements couche sur couche,on n'aura jamais que des solutions particulières » : Jean Carbonnier, Introductionau droit civil, Puf, 1974, p . 155.
(10) Pour Gérard Cornu, elle est « agent de comblement des lacunes légales, lacréation prétorienne est casuelle. C'est bien pourquoi cette carrière complémentaireest toujours ouverte », « tout juge dit le droit, aucun ne l'édicte ( ) Il a les moyensde rendre la justice sans fabriquer du droit » : Gérard Cornu, L'art du Droit en quêtede sagesse, Puf, 1998, p. 174-175. Le débat passe de siècle en siècle puisque lechancelier Bacon affirmait au XVIIe siècle : « les juges ne doivent pas oublier queleur mission est de juger, non de faire les lois ».
(11) Cass. crim., 3 nov. 2004 : JurisData n° 2004-026129 ; Légipresse 2005, n° 220, I, p. 52 ;Cass. com., 5 avr. 2005 : JurisData n° 2005-027931 ; Légipresse 2005, n° 222, I,p. 90, note F. Gras ; Tgi Paris, 4e ch., sect. 1, 26 juin 2007, Anpaa c/ SA Les Échos,n° RG 06/00193 - Tgi Paris, 4e ch., sect. 2, 20 déc. 2007, Anpaa c/ Snc Le Parisien,n° R.G : 06/05406, Légipresse n° 249, mars 2008, I, p. 30 ; Cedh, 5 mars 2009,Hachette Filipacchi c/ France, préc. n° 3, § 49. - Cedh, 5 mars 2009, Aff. Ponson,§ 59, préc. n° 3
(12) Rappelons l'article. 9 de la Déclaration des droits de l'Homme : « Touthomme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable ».
(13) Article 10 loi du 1er août 1986 : Tout article de publicité à présentationrédactionnelle doit être [*mention obligatoire*] précédé de la mention « publicité» ou « communiqué ».
(14) JO, S., Doc. n° 727, sess. extraord. de 2012-2013, proposition de loi tendant àfaire la distinction entre publicités et article de presse rédactionnels, en matièred'information sur le vin p. 4 et 5.
(15) L'indépendance s'illustre dans le fait de reprendre, ou pas, un dossier depresse relatif à un produit et/ou un événement, auquel s'ajoutera le critèrecumulatif d'absence de contrepartie financière.