La publicité pour les boissons alcooliques, telle que réglementée par l'article L. 3323-4 du Code de la santé publique, modifiée par la loi n° 2005-157 du 23 février 2005, n'interdit pas le recours, sur une affiche, à un fond attrayant. En l'espèce, les trois affiches litigieuses surmontées, en lettres capitales jaunes et blanches sur fond noir, de l'inscription « Jameson l'Irlandais », si elles comportent une part de fiction, ne contiennent cependant pas d'éléments illicites. Le fait que l'illustrateur de la bande dessinée Blake et Mortimer en soit l'auteur ne permet pas de créer un lien automatique entre elles et l'attirance de ses bandes dessinées sur un certain public, ni qu'il s'agisse d'une bande dessinée destinée à séduire de jeunes adultes. Les affiches ne contiennent ni évocation d'ambiance incitant à la consommation ni exaltation de qualités ou de vertus ; elles ne font pas appel au sentiment de bonheur ni ne jouent sur le registre de la convivialité ; elles évoquent seulement le monde artisanal dans lequel est né le produit et les soins qui ont été apportés à sa fabrication, dès sa création, tous éléments se rapportant à l'origine et au mode d'élaboration du produit visés par la loi ; la première affiche ne comporte pas d'élément accréditant l'idée de voyage ou d'aventures lointaines, mais des références à l'origine ou au terroir de production du produit ; la deuxième affiche constitue une référence licite à l'origine et au terroir de production, mais aussi au mode d'élaboration du produit et à sa couleur ; la troisième présente la phase de contrôle de la maturation du produit dans sa réalité objective.
Du haut des lointains Champs élyséens, Patrick Ricard peut contempler l'oeuvre jurisprudentielle que son groupe a contribué à construire en droit de la publicité pour l'alcool. Deux nouvelles décisions rendues coup sur coup dans le domaine des publicités des alcools. Deux décisions tout à fait contradictoires. Une évolution de la Cour de cassation vers plus de liberté. Une évolution de la cour d'appel de Paris vers plus de sévérité.Il en est toutefois du droit comme des divines ...
Cour de cassation, ch. crim., 15 mai 2012, Anpaa c/ Sté Ricard et a. (Aff. Jameson)
(2) On mettra néanmoins en garde le greffe contre des coquilles se trouvantdans le rappel du pourvoi : en page 3 de l'arrêt, il convient de lire fûts et nonfias et en page 4 : fûts et non faits ! En page 5, la bonne orthographe apparaîtenfin ! Les faits sont que l'expression « Jameson » et la date « 1780 » sontheureusement inscrites sur des fûts et non des fias ! Doit-on voir dans ce lapsusune lassitude judiciaire quant à une procédure revenant par trois fois devantla Cour ?
(3) Affaire Glenfiddich, Cass. Civ. 1re, 20 octobre 2011.
(4) Cass. Civ. 1re, 23 février 2012.
(5) L'article 66 de la Constitution du 4 octobre 1958 ne rappelle-t-il pas quel'autorité judiciaire est la gardienne de la liberté individuelle ?
(6) Article 5 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen : « Tout ce quin'est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint àfaire ce qu'elle n'ordonne pas ».
(7) Roland Henri, Boyer Laurent, Adages du droit français, Litec, 1992, pp. 567-573.
(8) On renvoie sur ce point aux travaux et colloques du Conseil de l'Europe etde l'Osce sur la décriminalisation de la diffamation : cf. notamment Résolution1577 (2007) de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe : « Vers unedépénalisation de la diffamation ».
(9) Pour une illustration du danger des sanctions civiles se transformant enpeine privée : Cedh, 23 juin 1995, Tolstoy Miloslavsky c. Royaume-Uni ; cf. Roland,Boyer, op. cit., pp. 559-563, sur l'adage : « nulla poena, sine lege » et son applicationen droit civil.
(10) Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009, art. 97.
(11) Comme il n'est pas lié par l'avis de la commission paritaire des publicationsde presse. Pour une application en matière de publicité pour le tabac : Aix-en-Provence, 10 avril 2012, Taieb c. Ligue nationale contre le Cancer, Légipresse n° 295,juin 2012. En clair, ce qui est légal pour l'administration peut être illégal pourle juge. Si cela se comprend en droit administratif, cela peut donner toutefoismatière à débat au visa de l'article 809 du Code de procédure civile, de l'articleL. 122-4 du Code pénal en ce qu'il dispose : « n'est pas pénalement responsable lapersonne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législativesou réglementaires » ou de l'article L. 122-3 du Code pénal qui dispose que :« n'est pas pénalement responsable la personne qui justifie avoir cru, par une erreursur le droit qu'elle n'était pas en mesure d'éviter, pouvoir légitiment accomplir l'acte ».
(12) CC, 08 janv. 1991, déc. N° 90-283 DC, Loi relative à la lutte contre le tabagismeet l'alcoolisme, § 29.
(13) Tgi Nanterre, 1re sect. A, 24 juin 1992, n° BO 1596-92, préc. n° 16 ; CA Paris,réf., 1re sect. A, 17 mars 1992, préc. n° 16.
(14) Op. cit., § 29.
(15) Roland, Boyer, op. cit., pp. 166-170 : sur l'adage « Dieu nous garde de l'équitédes Parlements ». Sur ce point, la motivation de l'Anpaa est particulièrementrévélatrice lorsqu'elle retient que le film publicitaire « met en scène la bouteille deRicard et la boisson Ricard selon un procédé non autorisé par la Cour de cassation ».Ce n'est pas la juridiction suprême qui autorise ou interdit mais le pouvoirlégislatif. Comme le rappelait Montesquieu, dès 1748, « les juges de la Nationne sont que la bouche qui prononce les paroles de la loi » (L'Esprit des lois, Livre XI,ch. VI, « De la Constitution d'Angleterre », Bibliothèque de la Pléiade, Tome II,1994, p. 404).