Il résulte des dispositions de l'article L. 713-2 du CpI, appréciées au regard de l'article 5, paragraphe 1, a) de la directive 89/104, que le titulaire de la marque est habilité à interdire l'usage, sans son consentement, d'un signe identique à ladite marque par un tiers, lorsque cet usage a lieu dans la vie des aff aires, est fait pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, et porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque. En l'espèce, une société proposant l'achat et la vente de véhicules automobiles sur internet, titulaire des marques IeS et AUTOIeS, avait constaté que la saisie des termes AUTO IeS, AUTOIeS, AUTO-IeS et IeS dans un moteur de recherche suscitait l'affi chage sous la bannière « liens commerciaux » de liens hypertextes publicitaires pointant vers des sites de sociétés tierces. Pour rejeter l'action en contrefaçon, la cour énonce, au terme d'un examen approfondi de la présentation des annonces litigieuses, que n'est pas caractérisée en l'espèce une atteinte à la fonction essentielle de la marque qui est de garantir l'identité d'origine des produits et services marqués, dès lors qu'il a été relevé que l'internaute normalement informé et raisonnablement attentif appelé à consulter les résultats affi chés en réponse à une recherche au sujet de la marque, est en mesure de distinguer les produits ou services du titulaire de cette marque de ceux qui ont une autre provenance.
Un peu plus d'un an après l'intervention de la Cour de justice de l'Union européenne sur la question, le sort réservé au référencement payant sur internet continue à susciter une certaine perplexité. On sait que par son retentissant arrêt du 23 mars 2010, celle-ci a mis hors de cause le prestataire de service de référencement au titre d'une quelconque atteinte à la marque (1), approche que reprennent sans grande surprise les juridictions françaises (2). On sait aussi que ...
Cour d'appel, Paris, Pôle 5, ch. 1, 2 février 2011, Google France c/ AUTO IeS et a.
(2) Cjue, 23 mars 2010, aff. jtes C-236/08 à C-238/08, Google, sur lequel, v. not.G. Bonet, Com. com. électr. 2010/6, Étude 12.
(3) Cass. com., 13 juil, 2010 (quatre espèces) : Légipresse 2010, n° 227, p. 367,P. Allaeys ; CA Paris, 19 nov. 2010 ; Pibd 2011, n° 932, III, p. 55.
(4) Art. 14 de la directive « commerce électronique » 2000/31 CE du 8 juin 2000,et art. 6-I, 2 de la Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 « pour la confiance dans l'économienumérique » (Lcen), instaurant le régime dit de « responsabilité allégée » auprofit des hébergeurs.
(5) Par exemple, CA Paris, 19 nov. 2010, précité.
(6) Arrêt Google, pt 88. Cette approche a été confirmée dans deux arrêts ultérieurs: Cjue, 25 mars 2010, aff. C-278/08, BergSpechte ; 8 juil. 2010, aff. C-558/08,Portakabin. La Cjue doit prochainement se prononcer au regard de l'article 5.2de la directive marques (hypothèse d'atteinte à la marque renommée : Cpi, art.L. 713-5) : v. Concl. Av. Gén. Jääskinen du 24 mars 2011 dans l'affaire C-323/09,Interflora.
(7) CA Paris, Pôle 5, 1re ch., 2 févr. 2011 ; Pibd 2011, n° 941, III, p. 400 ; D. 2011,p. 741, C. Manara ; Com. com. électr. 2011/6, Comm. 52, C. Caron.
(8) Ce que le demandeur démontrait sur la foi de plusieurs constats établis parl'App sur les pages du moteur de recherche. à ce sujet, l'arrêt commenté confirmeque des constats réalisés par des agents de l'App peuvent être produits auxdébats afin de faire la preuve d'une atteinte à la marque sur Internet.
(9) Auto Ies présentait aussi des demandes plus originales, fondées sur laviolation par Google des articles 1134 (obligation de Google d'exécuter debonne foi le contrat de référencement conclu avec elle), et 1384 du Code civil(obligation de Google de répondre du dommage causé par la technologieAdwords dont elle a la garde). L'action en contrefaçon à l'égard du moteur derecherche n'ayant aucune chance de prospérer au regard des arrêts de la Cjue,elle avait en revanche été abandonnée en cause d'appel.
(10) Sur ces dispositions et leurs conditions d'application, J. Passa, « Les conditionsgénérales d'une atteinte au droit sur une marque », Propr. indust. 2005/2, Étude 2.
(11) À l'égard du prestataire de référencement, la Cjue considère en revancheque cette condition n'est pas remplie dans la mesure où celui-ci n'utilise pas lesigne « dans le cadre de sa propre communication commerciale » peu importantle fait que le service qu'il propose soit rémunéré : arrêt Google, pts 53 à 57.
(12) Arrêt Google, pt 67. D'après la Cjue, le fait que le signe en question n'apparaissepas dans le texte de l'annonce dont l'affichage est déclenché par lafrappe du mot-clé est sans incidence pour apprécier si l'usage est effectué« pour » des produits ou des services (pt 65).
(13) F. Sardain, JCl Communication, fasc. 4730, n° 28.
(14) Arrêt Google, pts 91 à 98. Le postulat semble plus relever d'une considérationd'opportunité que d'une analyse circonstanciée du système : il se peutparfaitement que certaines marques, notamment lorsqu'elles sont composéesde termes du langage courant, ressortent assez loin des premiers résultats proposéspar le moteur. Le référencement payant prend alors tout son sens pourle titulaire, et le mécanisme d'enchères le contraint à supporter la concurrenceavec des tiers dénués de droits sur le signe.
(15) Arrêt Google, pts 82 à 90.
(16) L'arrêt se réfère à plusieurs reprises à l'arrêt Google de la Cjue et le citeabondamment.
(17) Par incidente, l'arrêt affirme à ce propos que la mention du nom de domainede l'annonceur suffit à remplir l'exigence d'identification de la publicitéen ligne imposée par l'article 20 de la Lcen.
(18) L'observation est discutable car rien dans cette formule ne laisse penser àl'internaute qu'un annonceur est autorisé à employer la marque d'un concurrentà titre de mot-clé.
(19) Comme précisé par l'arrêt, aucun risque de confusion n'étant suscité parles annonces avec le nom commercial et la dénomination sociale de la sociétéAuto Ies, les annonceurs ne s'étaient pas rendus coupables d'une concurrencedéloyale à son égard.
(20) L'arrêt exonère également Google de toute responsabilité directe, en considérantque l'intitulé « Liens commerciaux » n'entretenant pas de confusion entreles résultats naturels et les résultats sponsorisés, n'a pas de caractère trompeurau sens des articles L. 121-1 du Code de la consommation et 20 de la Lcen (ensens contraire, v. par ex. Tgi Paris, 14 mars 2008 : Pibd 2008, n° 877, III, p. 410). Surle moteur Google, l'intitulé en question a, depuis, été remplacé par « Annonce ».
(21) Comp., condamnant pour contrefaçon un annonceur dont le messagepublicitaire reproduisait la marque litigieuse : CA Paris, 15 sept. 2010, Suza : Pibd2011, n° 932, III, p. 58 ; Tgi Paris, 4 févr. 2011, Strator, RG n° 08/14966.
(22) En ce sens, Concl. Av. Gén. Jääskinen, précitées, pt 43.
(23) Concl. Av. Gén. Jääskinen, précitées, pt 45.
(24) Dans le système Adwords de Google, cette fonction permet d'insérer automatiquementle mot-clé dans le corps de texte de l'annonce.
(25) Art. 5.1, a) de la directive marques et Art. L. 713-2, a) du Cpi.
(26) Art. 7 de la directive marques (Cpi, Art. L. 713-4). Dans une moindre mesure,l'article 6 de la directive marques (Cpi, Art. L. 713-6, b) qui permet l'usage d'unemarque à des fins descriptives peut lui aussi être invoqué par l'annonceur :v. arrêt Portakabin, précité, pts 72 et 92.
(27) La Cjue semble pourtant le considérer puisqu'elle se réfère à « l'internautemoyen » plutôt qu'au « consommateur d'attention moyenne », personnage deréférence habituel en matière de droit des marques.
(28) V. ainsi, à propos de la pratique dite des « tableaux de concordance » ou dela « marque d'appel » : JCl Marques, fasc. 7513, n° 130 à 139.
(29) Par comparaison, on se souviendra que le Cpi qualifie de contrefaçonle fait de « sciemment livrer un produit ou fournir un service autre que celui quiest demandé sous une marque enregistrée » (Cpi, Art. L. 716-10, d). Bien que saconformité au droit communautaire soit douteuse (J. Passa, Traité de droit de lapropriété industrielle, Lgdj, 2e éd., n° 287), ce délit « de substitution » a le mérite desouligner que lorsqu'un consommateur formule une requête sur une marqueen particulier, il est présumé avoir recherché un produit de ladite marqueplutôt qu'un autre.
(30) En particulier, CA Montpellier, 22 févr. 2011, Earsonics, RG n° 10/00594.
(31) CA Paris, Pôle 5, 2e ch., 1er oct. 2010, Linxea : Pibd 2010, n° 929, III, p. 782. Àrebours de l'arrêt commenté, la chambre 4 du Pôle 5 de la même cour d'appela, de son côté, récemment condamné Google pour concurrence déloyale etpublicité mensongère (CA Paris, Pôle 4, 4e ch., 11 mai 2011 : Legalis). Ces divergencestémoignent de la difficulté des juges du fond à régler le problème duréférencement payant malgré les interventions répétées de la Cjue.
(32) La Cjue considère que c'est l'atteinte « susceptible » d'être portée à cettefonction qui rend l'usage contrefaisant, non une atteinte avérée (Arrêt Googleprécité, pt 88). Bien que ténue, cette nuance invite à se souvenir que l'une desvertus du droit privatif tient dans son aspect préventif et, partant, à ne pasapprécier trop strictement les conditions de la contrefaçon.