L'introduction en droit français de la déchéance pour dégénérescence des marques est moins le fruit d'une impérieuse nécessité sociale que le résultat d'une oeuvre d'harmonisation européenne. Toutefois, les prémices de la législation actuelle apparaissent dans la jurisprudence antérieure. Ces dispositions modestes se traduisent par l'éventuelle déchéance du droit de propriété sur la marque qui a quitté sa condition de marque pour devenir désignation usuelle. L'action du titulaire de la marque disparue ou en danger de disparition, notamment par la voie de la répression contentieuse, peut alors être déterminante. En effet, si la législation demeure tempérée pour les propriétaires de marques en ce qu'elle écarte largement la possibilité du prononcé d'une déchéance de leurs droits, elle introduit, par la manière dont elle est généralement comprise, une contrainte pour les usagers de la langue et notamment pour les organes de presse.
Article L. 714-6 a) du Code de la propriété intellectuelle : « Encourt la déchéance de ses droits le propriétaire d'une marque devenue de son fait : a) la désignation usuelle dans le commerce du produit ou du service ( )». Les dispositions relatives à la dégénérescence des marques sont modestes ; modestes d'ambition et modestes de format. Certes elles promettent la sanction d'une évolution : celle de la marque qui a quitté sa condition de marque pour devenir désignation ...
(2) Issue de la directive communautaire n° 89/104 du 21 décembre 1988 dontl'article 12 § 2 a) est ainsi rédigé : « Le titulaire d'une marque peut égalementêtre déchu de ses droits lorsque, après la date de son enregistrement, lamarque : a) est devenue, par le fait de l'activité ou de l'inactivité de sontitulaire, la désignation usuelle dans le commerce d'un produit ou d'un servicepour lequel elle est enregistrée».
(3) Sous la réserve d'une jurisprudence plus nuancée : « Sous l'empire des loisde 1857 et de 1964, le droit français n'admettait pas que la validité d'unemarque enregistrée puisse dégénérer, notamment en devenant usuelle»,P. Mathely, Le nouveau droit français des marques, p. 275 et s.
(4) P. Mathely, précité, pp. 275 et 276.
(5) Étant par nature distinctive (individualisante) la marque ne peut pas êtrequalifiable de générique. Seuls les noms communs ont une utilité dedésignation générique.
(6) « Ainsi, dans une espèce particulièrement caractérisée, il a été jugé,comme l'a dit la Cour de cassation, que le renouvellement périodique du dépôtsuffisait à prouver la volonté du déposant de conserver ses droits, et quel'usage, qui a pu être fait du vocable de la marque dans le langage courant,scientifique ou administratif, postérieurement au dépôt de la marque n'avait puaffecter les droits du déposant. Il faut citer la formule humoristique de l'arrêt,qui a dit qu'il ne saurait y avoir d'expropriation d'une marque pour caused'utilité publique», P. Mathely, précité, p. 276.
(7) Paris 24 février 1899, Manufacture royale de Saxe ; Ann., 99.347, citée parE. Pouillet, A. Taillefer, C. Claro, Traité des marques de fabrique, Paris, 1912,6e éd., p. 140.
(8) E. Pouillet, précité, p. 139. De même (p. 140) : « que pour qu'une marquesoit tombée dans le domaine public, il ne suffit pas qu'un autre que le titulaireen ait fait usage, il faut que l'emploi par les tiers se soit généralisé et que,connaissant ces abus, le propriétaire les ait tolérés et n'ait rien fait pour fairerespecter ses droits».
(9) Cass. civ. 31 janv. 1860, D. 1860, 1re partie, pp. 80 et s. ; sur le fondementdes articles 3 de la loi du 5 juillet 1844 et 32 de la loi du 21 germinal an XI(jugement d'appel de la cour de Paris du 15 mai 1858 sur une décision dutribunal de commerce de Paris du 22 mai 1856).
(10) La présentation d'un signifiant l'enveloppe matérielle du mot active dansl'esprit de l'interlocuteur le signifié la signification correspondante. Lorsquele même signifiant est susceptible de porter deux significations c'est le casbanal des homonymes l'élection de la signification pertinente s'opère enconsidération du contexte. Ainsi : « Mais en dernière analyse, c'est toujours lerapport entre les deux significations qui décide si l'homonymie est supportableou pathologique. Ne seront incompatibles que les homonymes pouvant figurerdans le même type de contexte. ( ) le contexte suffit normalement à éliminerles ambiguïtés polysémiques». (S. Ullmann, Précis de sémantique française,p. 227). Avec cette difficulté majeure : l'insuffisante différence des contextesd'emploi des signes homonymiques ne permet que difficilement l'élection dusens pertinent. Simplement, parler de Walkman ne permet guère de savoir sil'on entend nommer le produit d'une société ou la catégorie entière de telsproduits; c'est une situation typique de conflit homonymique. Parce quel'homonymie entre la désignation du particulier et celle de sa catégorie est unesource d'incertitude et d'ambiguïté, la résorption d'un tel conflit homonymiques'opère toujours par la disparition de l'un des signes ; celle du nom propre oucelle du nom commun.
(11) « La marque devenue générique ou usuelle a perdu toute facultédistinctive. Elle est devenue le nom commun d'un produit et a dès lors cesséd'exister en tant que marque», S. Durrande, « Du bâtonnet glacé àl'esquimau », D. 1991, chr., p. 234.
(12) « Ce que la loi protège dans une marque, c'est le signe représentatif detel ou tel établissement. Que ce signe cesse de servir à cet usage, soit quel'établissement ait lui-même cessé d'exister, soit que l'ayant droit y ait renoncépour en adopter un autre, soit qu'il en ait toléré l'usurpation par des tiers, dansl'un comme dans l'autre de ces cas le patronage de la loi n'a plus de raisond'être : il doit disparaître avec la cause qui lui a donné naissance», Th. Braun,A. Capitaine, Les marques de fabrique et de commerce, Bruxelles, 1908,p. 213, n° 126.
(13) P. Mathely, précité, p. 278.
(14) J. Bedarride, Commentaire des lois sur les brevets d'invention sur lesnoms des fabricants et sur les marques de fabrique, Paris 1869, n° 973.
(15) J. Carbonnier, Droit civil, Les biens, 1988.
(16) « Le but du législateur est de désencombrer les registres qui sont remplisde marques qui ne servent pas, ce qui rend très difficile le choix d'une marquenouvelle», A. Chavanne, J. J Burst, Droit de la propriété industrielle, p. 631,n° 1090.
(17) « La finalité normale d'une marque est évidemment de servir à distinguerdes produits ou des services d'un concurrent. C'est dire que les marques deréserve, de défense ou de barrage qui par définition ne sont pas utilisées sontvues avec défaveur par le législateur qui souhaite les voir disparaître au boutd'un certain temps», A. Chavanne, J. J. Burst, précité, p. 631, n° 1090.
(18) «( ) Glissement sémantique ( ) qui conduit à utiliser en tant que nomcommun ce qui jusque-là n'était qu'une dénomination objet d'un droit privatif»,CA Paris, 8 déc. 1988, JCP éd. E, II, 15649, obs. Chavanne, « Alcotest ».
(19) « En général, au début, l'industriel se réjouissant de ce succès laisse faire,voire le fait lui-même ( ) », Y. Plasseraud et alii, Marques, éd. FrancisLefebvre, n° 1507, p. 127.
(20) « L'objectif d'un propriétaire d'une marque, lorsqu'il lance un produit ouqu'il veut le soutenir, est de créer une association d'idées telle que la marquese présente spontanément à l'esprit du consommateur lorsqu'il recherche leproduit. Mais si, dans un premier temps, cette association d'idées a un effetbénéfique, elle risque, si la campagne manque de mesure, de produire un effetpervers et d'entraîner la vulgarisation de la marque. Celle-ci deviendra peu àpeu le terme usuel désignant le produit dans le vocabulaire du consommateur,opérant ainsi le glissement sémantique à l'origine de sa vulgarisation»,S. Durrande, op. cit., p. 235.
(21) Même si, curieusement, le fait du propriétaire a pu paraître in principerelever de son inaction et non de ses agissements : « Alors que d'autre part,encourt la déchéance de ses droits le propriétaire d'une marque devenue deson fait la désignation usuelle dans le commerce du produit ; que le fait dutitulaire visé par la loi ne réside pas seulement dans son inactivité, mais peutégalement découler d'actes positifs de sa part ; que des accords decoexistence sont susceptibles de constituer de tels actes, si, par leurimportance et leur répétition, ils aboutissent à conférer à la marque uncaractère usuel ; qu'en excluant la déchéance par la seule raison que lecaractère usuel ne serait pas dû à une inactivité dont aurait fait preuve Martini,et en ajoutant ainsi à la loi une condition qu'elle ne comporte pas, la courd'appel a violé l'article L. 714-6 du Code de la propriété intellectuelle», Cass.com. 1er avril 1997, arrêt n° 789, pourvoi n° 95-11.162.
(22) « De par l'article L. 714-6 du Code, le titulaire d'une marque largementutilisée Caddie est dans l'obligation de s'opposer à l'emploi de sa marquenotoire Caddie comme synonyme de chariot pour éviter la perte de ses droits(TGI Paris, 29 oct. 1997 : PIBD 1998, 648, III, 119) et est ainsi fondé àreprocher l'emploi de ce terme dans un article de presse, emploi qui lui causeun préjudice et engage la responsabilité de l'organe de presse lors même quele caractère de marque déposée avec le nom du déposant aurait été indiquédans l'article (même jugement). Au demeurant, il incombe à un organe depresse de prendre toutes mesures pour retrouver le nom d'une marque(Caddie) dans les textes qu'il publie afin d'éviter tout emploi susceptible d'enaffaiblir le pouvoir attractif (Paris, 4e ch., 7 fév. 1994 : PIBD 1994, 565, III, 238 ;Ann. Prop. Ind. 1994, 145, pourvoi rejeté par Cass. com., 3 jv. 1996 : PIBD1996, 655, III, 99).», M. Vivant, note s. art. L. 714-6, CPI éd. Litec.
(23) Voir supranote n° 1.
(24) « ( ) D'une part, un fait peut consister aussi bien dans une action quedans une abstention ; d'autre part, le rapporteur a indiqué à l'Assembléenationale que la responsabilité du propriétaire de la marque dans sadégénérescence peut être active mais elle peut être aussi passive s'il n'apas réagi contre l'utilisation généralisée de sa marque et l'a acceptée(Rapport de M. Colombet au nom de la commission des lois de l'Assembléenationale, 1989/1990, n° 1301, p. 69)», S. Durrande, op. cit., p. 235.
(25) Pour le maintien de la marque Pédalo au simple motif de sonrenouvellement régulier, voir : Cass. com., 26 oct. 1993 : PIBD 1994, III, p. 88 ;à l'égal des solutions anciennes : Fermeture Éclair, Rouen 1er mars 1933, Ann,p. 230 ; Cellophane, CA Nancy, 12 juin 1963, Cass. 11 mai 1966, Ann. 1963,p. 159, 1966 p. 135 ; BI, TGI Paris, 17 sept. 1980, PIBD 1980, n° 268, III, 217 ;Alcotest, CA Paris, 8 déc. 1988, RDPI n° 25, p. 78 et Cass. 23 oct. 1990, RDPII n° 32, p. 53.
(26) Avec cette réserve à la fois notable et singulière de l'arrêt Pina Colada(CA Paris, 19 oct. 2001).
(27) « Il est possible et souvent opportun, de combiner la technique de lamention de propriété de la marque et rappel du terme générique ; on aura alorsune formule du genre : Le vélomoteur Velosolex ®, un vélo avec unmoteur», Y. Plasseraud et alii, précité, n° 1513, p. 130.
(28) S. Durrande, op. cit., p. 236.
(29) S. Durrande, op. cit., p. 236.
(30) Pour un exposé typologique de ces pratiques, voir : Y. Plasseraud et alii,précité, n° 1510 et s. p. 128 et s.
(32) « Le mot thermogène étant un qualificatif de la langue française, ilappartient au domaine public, si la marque Le Thermogène pour désigner uneouate anti-rhumatismale est une marque valable, le mot thermogène étantdétourné de son application habituelle, la marque ne peut en tout cas interdirel'usage de mot thermogène comme adjectif dans l'expression l'ouatethermogène Le Dragon (CA Paris, 17 avril 1920, Ann. 1921, 167) ( ) ; si ladénomination Serplat est une marque valable pour désigner une pince àprendre des plats, la limite du droit d'appropriation ne s'étend pas au-delà de laprésentation particulière et de la contraction qui caractérise la marque : ainsi,l'utilisation de l'expression serre-plat ne saurait constituer l'usurpation de lamarque Serplat ; car l'usage nécessaire du verbe serrer et du mot plat,orthographiés normalement, pour désigner un objet servant à serrer des plats,est parfaitement légitime (Trib. civ. Seine, 6 oct. 1958, Ann. 1959, 138)( )»,P. Mathély, Le droit français des signes distinctifs, pp. 307, 308.
(33) CA Paris, Double Douceur, 13 nov. 1996, Ann. Prop. ind, 1997, p. 271.Pareillement, le propriétaire des marques Terres d'Aventures et Sportsd'Aventures pour désigner une agence de tourisme ne saurait fonderl'interdiction d'employer, conformément aux règles du langage courant, cesmêmes mots ou expression dans le même secteur d'activité (CA Paris,11 décembre 1996, Ann. prop. ind. 1997, p. 239) ; de même pour le vocableTendresse (TGI Paris, 17 janvier 1997).
(34) « Dès lors que le signe dont la marque est constituée n'est pas utilisécomme signe distinctif, son emploi est libre. », F. Bonet, « Contrefaçon demarque, reproduction illicite de marque », JCP Marques, fasc. 7511, n° 39,p. 10.
(35) En l'occurrence dans les titres d'articles de presse « Chic et pas cher : leschampions du caddy » et « Bon voyage : caddie porte bébé ».
(36) « Qu'il n'apparaît, ni de l'arrêt, ni des conclusions, que la société Le Figaroait soutenu, devant les juges du fond, le moyen tiré de la possibilité d'utiliserlibrement une marque dès lors que ce n'est pas pour la désignation desproduits désignés dans l'acte de dépôt ; que le moyen nouveau est mélangéde fait et de droit ( ) d'où il suit que le moyen (est) irrecevable dans sapremière branche ( ) ».
(37) « ( ) Et alors, d'autre part que l'emploi d'un terme inclus dans unedénomination sociale ne constitue pas une usurpation de celle-ci, dès lors qu'iln'est pas fait pour désigner une société ; que la cour d'appel, en retenantl'existence d'une telle usurpation, sans constater que le terme Caddie avaitété employé pour désigner une société concurrente, a entaché sa décisiond'un défaut de base légale au regard des dispositions de l'article 1382 duCode civil».
(38) « Attendu d'autre part, qu'en retenant par motifs propres et adoptés, quel'utilisation de la dénomination sociale litigieuse au regard des photographiesde chariots et de poussettes dont la fabrication et la commercialisationconstitue l'activité de la société Caddie, est source de confusion, la courd'appel a légalement justifié sa décision».
(39) « On demandera comment ces sens ne se contrarient point l'un l'autre :mais il faut prendre garde que les mots sont placés chaque fois dans un milieuqui en détermine d'avance la valeur. Quand nous voyons le médecin au lit d'unmalade ou quand nous entrons dans une pharmacie, le mot ordonnance prendpour nous une couleur qui fait que nous ne pensons en aucune façon aupouvoir législatif des rois de France. Si nous voyons le mot Ascension impriméà la porte d'un édifice religieux, il ne nous vient pas le moindre souvenir desaérostats, des courses en montagne ou de l'élévation des étoiles. On n'amême pas la peine de supprimer les autres sens du mot : ces sens n'existentpas pour nous, ils ne franchissent pas le seuil de notre conscience» M. Bréal,Essai de sémantique, G. Montfort 1982, Hachette 1897, p. 145.
(40) CA Paris, 14 févr. 1996 : PIBD 1996, III, p. 287.
(41) On ne saurait donc reprocher aux juridictions de faire emploi d'un nomcommun homonymique d'une marque ; voir à ce sujet le droit de réponse à unarticle du Professeur Magnin (« Des conséquences pour le réservataire duremplacement de fenêtres droites par des vélux », Petites Affiches, 25 déc.1995 et 1er janv. 1996) exercé par le président du directoire de Velux-FranceSA ( Petites Affiches, n° 28, 4 mars 1996). Ce communiqué ne manque pas derelever l'emploi selon lui illégal - du nom commun velux par le tribunal degrande instance de Nanterre, la cour d'appel de Versailles et la Cour decassation
(42) CA Paris, 19 oct. 2001, RDPI août 2002, n° 138, p. 19 ; D. 2003, somm.132, obs. Durrande.
(43) Sur la tentation de voir toujours dans la loi une promesse decondamnation : « ( ) l'inapplication originelle de la loi n'est pas toujours unesituation anormale, du moins pas aussi anormale qu'on l'imagine. Tropsouvent, les sociologues n'ont ici conçu la loi qu'en termes dramatiques decommandement ou d'obéissance, de sorte que toute inapplication leur a parurévéler la révolte des sujets et l'inertie du pouvoir. Mais beaucoup de lois sontpurement facultatives. Beaucoup de lois ne font, pour ainsi dire, que despropositions», J. Carbonnier, Effectivité et ineffectivité de la règle de droit,Flexible droit, p. 137.