« Qui veut tuer la chanson française ? » s'interrogeait Jean Ferrat dans une tribune à la une du Monde en janvier dernier, en réponse aux propos de Jean-Marie Messier sur « la mort de l'exception culturelle » (1). Plaidant pour la diversité des voix et des sons, il s'insurgeait contre la logique de la « marchandise chanson », stigmatisait « ce monopole des grosses machines comme Universal » (2) et dénonçait « ces petits marquis qui font la loi dans la programmation [réduisant] ...
Cour de cassation, Ch. soc., 10 juillet 2002, M. Tenenbaum c/ Société Universal Music et autre
Agnès MAFFRE-BAUGE
Maître de conférences à l'Université d'Avignon, Chercheur associé à ...
(2) Propos tenus par M. Messier, alors président du groupe Vivendi Universal, lors de la conférencede presse du 17 décembre 2001 ayant suivi le rachat d'USA Networks ( Le Monde19 décembre 2001).
(3) Voir également l'interview accordée au journal L'Humanitéet publiée dans l'édition du 26 janvier
(2003) Selon le quotidien Le Monde(22 mai 2001), le groupe Vivendi Universal est propriétairede la plus importante maison de disque du monde.
(4) Le Monde8 janvier 2002, p. 1 et 14.
(5) À noter que le litige dont il est question dans ce commentaire n'est pas le seul ayant opposé,de manière indirecte cette fois-ci, le chanteur à la société Universal. Un site amateur baptiséwww.ifrance.com/Jean-Ferrat, élaboré par un webmaster anonyme et accueilli par l'hébergeurde pages personnelles iFrance, rattaché à Vivendi Universal Net, était accusé par Jean Ferratde porter atteinte à ses droits d'auteur et à son droit à l'image. L'artiste-interprète, associé àdeux maisons de disques, a agi en responsabilité contre l'hébergeur, mais n'a pas obtenu gainde cause (TGI de Nanterre, 22 octobre 2001, inédit à notre connaissance). La société iFranceaccueillait également, sur son service en ligne, le site d'une association (Music-contact) quidiffusait les textes de chansons écrites et composées par Jean Ferrat sans l'autorisation dece dernier ou du cessionnaire des droits patrimoniaux d'auteur. Concernant la demande deM. Ferrat, le TGI de Nanterre a rejeté l'atteinte à l'intégrité de l'uvre alléguée, mais a enrevanche retenu l'atteinte au droit de divulgation sur le fondement de l'article L. 121-2 CPI (TGINanterre, 23 janvier 2002, http://www.legalis.net). V. égal., impliquant toujours Jean Ferrat,auteur ou artiste-interpète : TGI Créteil, 19 sept. 2000, Com. com. électr.2001, n° 56, obs.Caron (la reproduction sans autorisation d'extraits d'uvres cédées à une société de gestioncollective n'emporte pas nécessairement violation du droit moral, laquelle doit être démontrée); Paris, 14 mars 2001, D.2001, somm. comm. 2556, obs. Sirinelli (l'apposition de la mention« similaire à la version de J. Ferrat» sur la pochette de vidéogrammes de karaoké n'estpas de nature à créer une confusion dans l'esprit du public).
(6) Sur l'exception culturelle, N. Mallet-Poujol, Colloque ERCIM-Montpellier I, 27 et 28 juin 2002 :Propriété intellectuelle et mondialisation : la propriété intellectuelle est-elle une marchandise ?Actes à paraître.
(7) Selon B. Edelman, « le statut des artistes-interprètes n'est qu'un moment de la lutte entrele droit d'auteur et le copyright, qui n'est elle-même qu'un moment du processus de mondialisation» (« Enquête sur le droit moral des artistes-interprètes », D.1999, 240, n° 2).
(8) Soc. 10 juillet 2002, ci-dessus reproduit et Dalloz.fr, 27 août 2002, obs. : J. Daleau. V. égal.Soc. 20 juin 2001, Légipresse2001, n° 184-02, p. 99.
(9) Art. L. 212-2 CPI.
(10) Art. L. 212-3 et s. CPI.
(11) P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, PUF, 1999, 3e éd., n° 95, p. 145.
(12) Avant la loi du 3 juillet 1985 et la reconnaissance de véritables droits, voisins de ceux desauteurs, la jurisprudence avait admis la protection des artistes-interprètes en sollicitant la notionde droits de la personnalité et le mécanisme de la responsabilité civile. Cf. la jurisprudenceFürtwaengler Paris, 13 févr. 1957 : JCP 1957, II, 9838, et, sur pourvoi, Civ. 1re, 4 janv. 1964 :JCP1964, II, 13712 ; D. 1964, 321, note Pluyette ; RTD com. 1964, p. 320, obs. Desbois.
(13) Ce dont témoigne d'ailleurs l'appellation qui leur a été donnée. V. par exemple, TGI Paris,4 octobre 1988, D.1990, 54, note B. Edelman : « Le législateur, en qualifiant de droits voisinsles droits reconnus aux artistes-interprètes, a clairement indiqué qu'il n'y avait pas d'identitéentre ces droits et des droits d'auteur». V. égal. B. Edelman, « Enquête sur le droit moral desartistes-interprètes », op. cit., n° 1.
(14) En ce sens, X. Daverat, Petites Affiches 22 avril 1998, n° 48, note sous TGI Paris, 23 avril
(1998) On signalera toutefois un arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 26 juin 2002(Dalloz.fr, 23 août 2002) qui juge que la diffusion répétitive et intensive au long de la journéed'une uvre musicale pour sonoriser la rubrique météo d'une chaîne de télévision, sans l'autorisationde l'auteur compositeur interprète, porte (notamment) atteinte au droit moral de l'artiste-interprète.
(15) X. Daverat, « L'impuissance et la gloire. Remarques sur l'évolution contemporaine du droitdes artistes-interprètes », D.1991, chron., p. 93 et s. ; B. Edelman, op. cit., n° 11 ; F. Pollaud-Dulian, JCP2000, éd. E, II, p. 1093, spéc. p. 1094.
(16) M. Jolibois, JOdéb. Sénat, séance du 3 avril 1985, p. 125, 2e colonne ; Cl. Colombet, Lesdroits voisins, inColloque IRPI, Droit d'auteur et droits voisins, La loi du 3 juillet 1985, Litec1986, p. 125 et s., spéc. p. 128 16. Paris, 2 avril 1993, Juris-Data n° 021385 ; RIDA juillet 1993, n° 157, p. 197, cité parA. Kerever ; Paris, 23 juin 1994, RIDAjanvier 1995, n° 163, 223 ; v. égal. Paris, 20 février 1998,D.aff. 1998, p. 627, obs. J. P.-S. (les dispositions de l'article L. 212-3 CPI sont impératives etl'on ne peut y déroger).
(18) Art. L. 121-1 CPI. La jurisprudence est abondante. V. par exemple Civ. 1re, 6 juillet 1965,JCP1965, II, 14339, note Lindon ; Paris, 12 décembre 1995, Légipresse1996, n° 137, III, 155,et également TGI Paris, 26 novembre 1997 ( RIDA juillet 1998, 284), affaire dans laquelle JeanFerrat agissait tant en qualité d'auteur qu'en qualité d'interprète.
(19) Civ. 1re, 6 juillet 1965, préc.
(20) Art. 1134, al. 3 code civil.
(21) Trib. civ. Seine, 6 et 7 avril 1949, Gaz. Pal.1949, 1, p. 249, concl. Gégout ; JCP 1950, II,5462, note Plaisant et Coste ; TGI Seine, 27 mai 1959, RIDA juillet 1959, p. 148. Si ces décisionsont été rendues sous l'empire du droit antérieur à la loi du 11 mars 1957, elles n'enconstituent pas moins le droit positif selon la doctrine car l'article L. 121-1 CPI.
(22) A. et H.-J. Lucas, Traité de la propriété littéraire et artistique, Litec, 1994, n° 427, p. 346.
(23) A. et H.-J. Lucas, ibid.
(24) Sur une possible application de la règle ubi eadem ratio, idem jusen droit d'auteur et droitsvoisins : P.-Y. Gautier, op. cit., p. 141 ; F. Pollaud-Dulian, op. cit., p. 1096. Contra : B. Edelman,op. cit., n° 15, p. 211.
(25) Civ. 1re, 17 décembre 1991, Bull. civ. I, n° 360 ; D.1993, somm. p. 89, obs. Colombet ;RIDA avril 1992, n° 152, p. 190 ; Légipresse, 1992, III, p. 129.
(26) G. Cornu, Droit civil, Introduction, les personnes, les biens, Montchrestien, 9e éd., 1999,n° 341, spéc. note 28. 26. Cf. J. Daleau, op. cit., qui évoque une solution de « nature emblématique».
(28) J. Daleau, ibid.
(29) A. et H.-J. Lucas, ibid., note 346, formule employée à propos de l'admission de la validitédes renonciations anticipées au droit au respect de l'uvre par une certaine partie dela doctrine.
(30) Paris, 2 avril 1993, préc. ; Paris, 16 juin 1993, D.1994, 218, note Edelman, ; Paris, 23 juin1994, préc. ; Paris, 19 septembre 2000, Légipresse2000, I, n° 177-01 ; Paris, 20 février 1998,préc., et sur pourvoi, Civ. 1re 6 mars 2001, D.2001, 1541, note Poisson.
(31) Civ. 1re, 6 mars 2001, préc.
(32) Selon B. Edelman, la question de savoir si « l'autorisation donnée par des artistes-interprètesdans le cadre de l'article L. 212-3 CPI s'analyse en un droit de divulgation [ ] est lapierre angulaire du statut des artistes-interprètes» (note sous Paris, 16 juin 1993, D. 1994,218, spéc. p. 221, n° 3 et 2).
(33) Civ. 1re 16 juillet 1992, D. 1993, p. 221, note X. Daverat, et surtout Paris, 16 juin 1993,préc. : l'article L. 212-3 « pose le principe que l'artiste-interprète doit consentir par écrit à lafixation de sa prestation, de sa reproduction et de sa communication au public et qu'il peutdonc limiter la portée de cette autorisation ; que ce droit qui s'analyse en quelque sorte commeun droit de divulgation constitue le corollaire du quasi-droit moral qui lui est reconnu par l'art.[L. 212-2 CPI] ». À noter que dans l'arrêt pionnier du 4 janv. 1964 (aff. Fürtwaengler, préc.),la Cour de cassation a posé les prémices d'un droit de divulgation au profit de « l'artiste exécutant: celui-ci est fondé à interdire une utilisation de son exécution autre que celle qu'il avaitautorisée ; que ce motif[ ] suffit à caractériser une atteinte au droit de l'artiste sur l'uvreque constitue son interprétation».
(34) X. Daverat, J.-Cl. Civilannexes, fasc. 1430, « Droits de l'artiste interprète, droit moral etdroits de la personnalité », n° 24 et s., spéc. n° 34; B. Edelman, ibid., n° 2 et 10, p. 221 et 223.V. également, dans le sens de l'admission d'un tel droit : E. Derrieux, op. cit., p. 631 ; sous ladir. de Ch. Debbasch, Droit des médias, Dalloz, 2002, n° 1967, p. 638.
(35) P.-Y. Gautier, op. cit., n° 95-1, p. 157, qui argue du silence de l'article L. 212-2 (« L'on doit,encore plus que pour les auteurs, exiger un texte exprès pour une prérogative aussi grave[ ].De toute façon, leur droit patrimonial leur suffit amplement pour exercer un droit de contrôleefficace sur la première utilisation de leur prestation. Inutile d'en faire trop. ») ; dans le mêmesens : A. et H.-J. Lucas, op. cit., n° 828, pp. 669-670. 35. B. Poisson, note sous Civ. 1re, 6 mars 2001, préc.; B. Edelman, note sous Paris, 10 novembre1992, préc., qui évoque le cas d'un grand orchestre.
(37) P.-Y. Gautier, op. cit., n° 95-1, p. 157, qui poursuit en disant qu'un tel litige donnerait lieuà l'application de l'article L. 211-1, lequel énonce le principe de supériorité des droits d'auteur,ce qui reviendrait à neutraliser le droit de divulgation.
(38) Aux décisions citées supra, il faut opposer celles-ci : Paris, 27 janvier 1992, Juris-Datan° 020330, cité par X. Daverat, J.-Cl. Civil annexes, fasc. 1430, n° 42 et TGI Paris, 28 septembre2001, RIDA avril 2002, p. 453.
(39) Dans le cas où l'image dont la reproduction n'est pas autorisée « montre» l'interprétationde l'artiste, celui-ci doit en principe se placer sur le terrain des droits voisins et non surcelui des droits de la personnalité qui ont vocation à protéger l'artiste en dehors de toute utilisationde son interprétation (en ce sens : TGI Paris, 18 décembre 1995, Légipresse1996,n° 132-I, p. 67 ; TGI Paris, 6 décembre 2000, Légipresse2001, n° 179-10, p. 21), même si lajurisprudence n'est pas très fixée (Ch. Caron, obs. sous Paris, 18 octobre 2000, D.2001,somm. comm. 2078).
(40) G. Cornu, op. cit., n° 501, p. 213 ; Cass (civ. 1re), 5 nov. 1996.
(41) Paris, 12 septembre 1995, Légipressen° 129-III, p. 121 ; Paris, 30 mai 2001, Légipresse186-11, p. 133 ; Paris, 31 octobre 2001, Légipressen° 187-07, p. 148.
(42) V. par ex. Paris, 23 janvier 1990, D.1990, IR, 62 ; Civ. 1re 30 mai 2000, JCP2001, II, 10524,note : B. Montels et Légipresse174-III, p. 136, note : B. Ader ; V. toutefois, pour une prise encompte de l'attitude de la victime dans l'évaluation des dommages-intérêts : TGI Paris, 10 avril1996, Légipresse1996, n° 134, I, p. 107 ; TGI Nanterre, 20 décembre 2000, Comm. com.électr.mai 2001, n° 54, obs. Lepage ; Civ. 1re 3 avril 2002, PA 6 mai 2002, n° 90, p. 16, noteDerieux.
(43) Civ. 20 juin 1966, JCP 1966, II, 14875 ; Versailles, 11 octobre 2001, Légipresse 189-08 n° p. 21.
(44) TGI Paris, 26 février 1976, JCP1977, IV, 257.
(48) Civ. 1re 16 juillet 1998, Bull. civ.I, n° 259, p. 181 ; Civ. 1re 30 mai 2000, préc. Voir également: Versailles, 16 septembre 1999, D. 2000, somm. comm. p. 208, obs. Hassler et Rapp ;Versailles, 31 janvier 2002, Légipressen° 192-06, p. 68. Comp. civ. 1re 12 décembre 2000,Com. com. électr.2001, n° 94, obs. crit. Lepage, 1re esp., et TGI Paris, 19 mai 1999, Légipresse1999, n° 166, I-131.
(49) V. des photographies d'artistes-interprètes : Paris, 1er décembre 1965, JCP1966, II, 14711,note R. L. ; Civ. 1re 20 juin 1966, JCP1966, II, 14890, obs. R. L. 49. V. par ex. Civ. 1re 5 novembre 1996, Bull. civ.I, n° 368, p. 265.
(51) La référence à l'article 9 du code civil donne au juge le pouvoir de prendre toutes mesurespour faire cesser l'atteinte constatée, alors même que l'intimité de la vie privée n'est pas encause au sens de l'alinéa 2 de ce texte (Civ. 1re 16 juillet 1998, préc.).
(52) J.-P. Ancel, La protection des droits de la personne dans la jurisprudence récente de laCour de cassation, Rapport de la Cour de cassation 2000 (http://www.courdecassation.fr).
(53) Rapport préc.
(54) Cf. J.-Ch. Saint-Pau, L'article 9 du code civil : matrice des droits de la personnalité, notesous civ. 1re 16 juillet 1998, D. 1999, 541. V. égal. B. Beignier, L'honneur et le droit, LGDJ, 1995,p. 65 et s. ; comp. G. Loiseau, « L'autonomie du droit à l'image », Légicomn° 20, 1999/4, p. 71.
(55) Civ. 2e 5 mars 1997, D.1998, 474, note Ravanas.
(56) G. Cornu, op. cit., n° 522, p. 222.
(57) B. Montels, note sous civ. 1re 30 mai 2001, op. cit., n° 8.