Il se déduit de l'article 2224 du code civil que, lorsque la contrefaçon résulte d'une succession d'actes distincts, qu'il s'agisse d'actes de reproduction, de représentation ou de diffusion, et non d'un acte unique de cette nature s'étant prolongé dans le temps, la prescription court pour chacun de ces actes, à compter du jour où l'auteur a connu un tel acte ou aurait dû en avoir connaissance.
Le temps fuit… y compris pour les titulaires de droits d'auteur (ou de droits voisins), dont l'action civile en contrefaçon est soumise à la prescription de droit commun de l'article 2224 du code civil(1).
L'application de ce texte en droit d'auteur comporte, ou comportait, des zones d'ombre s'agissant du point de départ du délai de prescription, que la Cour de cassation dissipe au gré de ses arrêts récents, dont celui rapporté, qui éclaire presque entièrement les ...
Cour de cassation, (1re ch. civ. ), 3 septembre 2025, n° 23-18.669
Vincent Varet
Docteur en droit - Avocat au barreau de Paris
30 octobre 2025 - Légipresse N°440
3509 mots
Veuillez patienter, votre requête est en cours de traitement...
(1) Alors que les droits de propriété industrielle sont soumis aux règles de prescription spéciales issues de la loi PACTE n° 2019-486 du 22 mai 2019 ; v. not. les art. L. 521-3 pour les actions en contrefaçon de dessins et modèles, L. 615-8 pour les actions en contrefaçon de brevets et L. 716-4-2 en matière de marques, auxquels s'ajoutent les textes concernant les actions en annulation de ces titres. Sur l'ensemble de ces règles spéciales, v. J. Passa, Réforme en profondeur de la prescription des actions en annulation et en contrefaçon des titres nationaux de propriété industrielle, Propr. ind. 2019. Chron. 16.
(2) M. Vivant et J.-M. Bruguière, Droit d'auteur et droits voisins, 5e éd., Dalloz, 2024, n° 1224 ; comp. P.-Y. Gautier et N. Blanc, Droit de la propriété littéraire et artistique, 3e éd., LGDJ, 2025, n° 901, qui, après avoir exposé la thèse du délit continu et celle du délit instantané, et évoqué l'arrêt de la Cour de cassation du 15 nov. 2023, cité ci-après, défendent la première.
(3) Civ. 1re, 15 nov. 2023, n° 22-23.266, Légipresse 2023. 597 et les obs. ; D. 2024. 156, note J. Douillard ; ibid. 392, obs. A. Bensamoun, S. Dormont, J. Groffe-Charrier, J. Lapousterle, P. Léger et P. Sirinelli ; Dalloz IP/IT 2023. 612, obs. C. Lamy ; CCE 2024. Comm. 3, obs. P. Kamina ; G. Querzola, L'enfer de la prescription en droit d'auteur, D. 2024. 1708. Dans cet arrêt, la Cour a, en effet, rejeté la thèse du pourvoi selon laquelle « la contrefaçon est un délit continu de sorte que son point de départ est déterminé, non par le jour de la découverte par la victime d'un acte, mais par la cessation des actes contrefaisants à l'origine du préjudice subi ».
(4) Selon une terminologie empruntée à J. Passa, Concurrence déloyale : point de départ du délai de prescription lorsque le ou les actes poursuivis s'inscrivent dans la durée, RTD com. 2020. 845, obs. ss. Com. 26 févr. 2020, n° 18-19.153.
(5) Paris, pôle 5 - 1re ch., 17 mai 2023, n° 21/15795, Dalloz actualité, 15 sept. 2023, obs. C. Favrel ; CCE 2024. Chron. 8, § 6, obs. B. Montels.
(6) TJ Paris, 3e ch., 2e sect., 9 juill. 2021, n° 18/09769.
(7) En réalité, cette mise en demeure n'avait pas été adressée au nom de l'adaptateur en langue anglaise de « Un monde sans danger », qui ne s'était joint à l'action des auteurs-compositeurs que dans le cadre de l'assignation, mais la cour d'appel a considéré que, eu égard à l'ampleur de l'exploitation initiale de l'album, celui-ci n'avait pu l'ignorer, en sorte qu'il était prescrit à l'instar de ses camarades d'infortune (application du membre de phrase « aurait dû connaître » de l'art. 2224 c. civ.).
(8) Ajoutons que l'arrêt se prononce égal. sur la recevabilité de l'intervention volontaire de la SACEM, qui venait au soutien de la position des demandeurs. La Cour juge cette intervention recevable au regard des statuts de cet organisme de gestion collective et de son intérêt à agir, s'agissant d'un pourvoi posant « une question de principe concernant la détermination du point de départ du délai de prescription » de l'action en contrefaçon de droit d'auteur. Autre indice de l'importance de l'arrêt, qui ne sera néanmoins pas commenté plus avant ici.
(10) Civ. 1re, 6 avr. 2022, n° 20-19.034, Légipresse 2022. 217 et les obs. ; ibid. 707, étude C. Alleaume ; D. 2022. 1433, obs. J.-C. Galloux et P. Kamina ; Dalloz IP/IT 2022. 292, obs. E. Rançon ; RTD com. 2022. 273, obs. F. Pollaud-Dulian.
(11) En ce sens, v. not., N. Cayrol, Procédure civile, 5e éd., Dalloz, 2025, p. 114 ; J.-Cl. Notarial, v° Prescription, fasc. 10, Prescription extinctive - Dispositions générales, § 5 ; S. Amrani-Mekki, Le temps et le procès civil, Dalloz, coll. « Nouvelle Bibliothèque de Thèses, 2002, p. 33-34.
(12) Civ. 1re, 15 nov. 2023, n° 22-23.266, préc.
(13) Le terme « commercialisation » n'apparaît que dans 4 articles de la 1re partie du CPI, dont 2 ont trait à la rémunération de l'auteur dans le cadre du contrat d'édition (art. L. 132-17-6 et L. 132-17-8) et 2 à des exceptions particulières, l'une relative aux pièces destinées à rendre leur apparence initiale à un véhicule à moteur ou à une remorque (art. L. 122-5, 12°) et l'autre à la décompilation d'un logiciel (art. L. 122-6-1).
(14) Ajoutons qu'en pratique, la commercialisation d'une œuvre implique le plus souvent non seulement une diversité d'actes d'exploitation, dont chacun est soumis à une autorisation du titulaire des droits en vertu des art. L. 122-4 et L. 335-2 et s. CPI, mais aussi la réitération de tels actes dans le temps.
(15) Et des actes qui s'y rapportent, comme l'édition (art. L. 335-2), la traduction, l'adaptation ou la transformation (art. L. 122-4), tous ces actes pouvant se rattacher à la notion de reproduction.
(16) Sauf à ce qu'il bénéficie d'une exception visée aux art. L. 122-5 et s. CPI.
(17) On pourrait regretter que la Cour de cassation n'ait pas visé, à côté de la diffusion, la représentation ou communication au public, qui a également vocation à perdurer dans le temps ; la raison en est peut-être qu'elle a souhaité préserver la lisibilité et la simplicité de sa décision et, plus prosaïquement, que la cour d'appel avait mis sur le même plan la commercialisation et la diffusion, mais n'évoquait pas la représentation. En tout état de cause, il ne fait guère de doute, à notre sens, que la solution vaut également pour les actes de représentation.
(18) Par ex., en cas d'exposition publique, faut-il considérer que chaque jour d'ouverture du musée ou de la galerie exposant l'œuvre contrefaisante constitue un acte distinct ? Pour d'autres exemples de cette difficulté, v. CCE 2025. Comm. 80, obs. P. Kamina. Selon nous, le critère devrait être l'existence, ou non, d'une nouvelle décision de publication, de mise sur le marché ou équivalent, de la part de l'auteur ou de l'exploitant de l'œuvre litigieuse. Selon ce critère, dans notre exemple, l'exposition, a priori décidée une fois pour toutes par l'exploitant, constituerait un seul et même acte de représentation, en principe soumis à une autorisation unique du titulaire de droits ; en l'absence de cette autorisation, elle constituerait un acte unique de contrefaçon.
(19) Cons. const. 27 juill. 2006, n° 2006-540 DC, Loi n° 2006-961 du 1er août 2006 relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, D. 2006. 2157, chron. C. Castets-Renard ; ibid. 2878, chron. X. Magnon ; ibid. 2007. 1166, obs. V. Bernaud, L. Gay et C. Severino ; RTD civ. 2006. 791, obs. T. Revet ; ibid. 2007. 80, obs. R. Encinas de Munagorri.
(21) Étant précisé que cette nature juridique n'est pas évoquée par la Cour de cassation. Pour d'éminents spécialistes, cette nature réelle du droit d'auteur devrait même conduire à ce que le point de départ du délai de prescription soit la cessation de l'atteinte – ce qui nous ramène à la qualification de la contrefaçon en délit continu (M. Vivant et J.-M. Bruguière, Droit d'auteur et droits voisins, op. cit.).
(22) Sauf à vouloir conférer au primo contrefacteur un véritable « permis de contrefaire », selon la formule de J. Douillard, Prescription de l'action en contrefaçon en droit d'auteur : les difficultés de l'application du droit commun, D. 2024. 156.
(23) Puisque, pour les droits de dessins et modèles, de brevets et de marques, la prescription court à compter du « dernier fait » de contrefaçon (CPI, art. L. 521-3, L. 615-8 et L. 716-4-2).
(24) V. à l'égard d'une suspension de la prescription trop brève pour garantir le droit d'accès au juge, Civ. 1re, 9 juin 2017, n° 16-12.457, D. 2017. 1245 ; ibid. 1859, chron. S. Canas, C. Barel, V. Le Gall, I. Kloda, S. Vitse, J. Mouty-Tardieu, R. Le Cotty, C. Roth et S. Gargoullaud ; ibid. 2559, obs. T. Clay ; ibid. 2018. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD civ. 2017. 653, obs. H. Barbier ; contra Civ. 3e, 16 nov. 2017, n° 16-21.666 ; Civ. 3e, 9 juill. 2020, n° 19-14.212. V. aussi, à propos d'un délai de prescription, Civ. 3e, 26 janv. 2022, n° 20-22.266.
(25) Civ. 1re, 5 juin 2024, n° 22-24.462, Légipresse 2024. 341 et les obs. ; ibid. 485, comm. V. Varet ; ibid. 699, obs. C. Alleaume ; D. 2024. 1708, note G. Querzola ; ibid. 2025. 360, obs. S. Dormont, J. Groffe-Charrier, J. Lapousterle, P. Léger et P. Sirinelli ; Dalloz IP/IT 2024. 380, obs. C. Lamy ; ibid. 2025. 161, obs. E. Mille.
(26) Civ. 1re, 5 oct. 2022, n° 21-15.386, Légipresse 2022. 599 et les obs. ; ibid. 625, étude C. Le Goffic ; ibid. 707, étude C. Alleaume ; RTD com. 2023. 118, obs. F. Pollaud-Dulian ; D. 2023. 55, note P. Léger ; ibid. 2022. 2255, obs. Centre de droit économique et du développement Yves Serra ; ibid. 2023. 357, obs. A. Bensamoun, S. Dormont, J. Groffe-Charrier, J. Lapousterle, P. Léger et P. Sirinelli ; ibid. 2150, obs. A. Mendoza-Caminade, C. Le Stanc et P. Tréfigny ; Dalloz IP/IT 2023. 43, obs. M. Vivant.