La Cour de cassation énonce que les jeux vidéo sont soumis à la seule directive 2001/29/CE du 22 mai 2001, et non à la directive 2009/24/CE régissant les logiciels, qui constitue une lex specialis dont le champ d'application doit être interprété de manière restrictive. Par conséquent, la règle de l'épuisement du droit de distribution ne s'applique pas à la commercialisation de tels jeux sous forme dématérialisée.
Le marché des jeux vidéo est aujourd'hui largement dématérialisé, même si le commerce de ces jeux sur supports physiques persiste (jeux sur cartouches, etc.). Pourtant, tandis que l'acquéreur de tels supports peut les revendre librement, sans autorisation du titulaire du droit d'auteur afférent aux jeux ainsi fixés, lorsqu'il est lassé desdits jeux, l'utilisateur de ces mêmes jeux sous forme dématérialisée ne pourra en faire autant. C'est ce qu'a décidé la Cour de cassation par ...
Cour de cassation, (1re ch civ.), 23 octobre 2024, UFC-Que Choisir c/ Valve Corporation
Vincent Varet
Docteur en droit - Avocat au barreau de Paris
7 mars 2025 - Légipresse N°433
3239 mots
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(1) Civ. 1re, 23 oct. 2024, n° 23-13.738, Légipresse 2024. 597 et les obs. ; D. 2024. 1909 ; ibid. 2025. 360, obs. S. Dormont, J. Groffe-Charrier, J. Lapousterle, P. Léger et P. Sirinelli ; Dalloz IP/IT 2024. 612, obs. E. Rançon ; ibid. 2025. 46, obs. J. Groffe-Charrier ; RTD com. 2024. 877, obs. F. Pollaud-Dulian ; CCE 2024. Comm. 103, obs. P. Kamina.
(2) CJUE, gr. ch., 3 juill. 2012, aff. C-128/11, Oracle c/ UsedSoft, D. 2012. 2142, obs. J. Daleau, note A. Mendoza-Caminade ; ibid. 2101, point de vue J. Huet ; ibid. 2343, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny ; RTD com. 2012. 542, obs. F. Pollaud-Dulian ; ibid. 790, chron. P. Gaudrat ; RTD eur. 2012. 947, obs. E. Treppoz ; Rev. UE 2015. 442, étude J. Sénéchal ; CCE 2012, n° 106, comm. C. Caron ; Europe 2012. 345, comm. L. Idot ; Propr. intell. 2012. 333, obs. A. Lucas et point de vue V. Varet ; v. aussi sur cet arrêt, G. Vercken, Vers un marché de l'occasion des biens culturels numériques numériques ?, Légipresse 2013. 146 ; E. Varet, L'affaire UsedSoft c/ Oracle : l'édition logicielle mise à l'épreuve, Expertises 2012, n° 373, p. 349 ; M. Trampuz, An oracle on european copyright exhaustion, RIDA 2016. 155.
(3) C'est dire que l'objet du transfert litigieux n'était pas à strictement parler des exemplaires dématérialisés de jeux vidéo, mais un « compte » numérique permettant d'accéder à de tels jeux, pour autant que le titulaire originaire du compte ait « acquis » le droit d'utiliser ces jeux dans le cadre de son abonnement (les « souscriptions »). Cette situation est très proche de celle de l'arrêt UsedSoft, où le transfert en cause portait en réalité sur la clé numérique identifiant une licence de logiciel, permettant d'accéder, par la magie de la CJUE, à un nouvel exemplaire dématérialisé du logiciel en cause. Sur ce point, v. nos obs. sous l'arrêt, citées note précédente.
(4) TGI Paris, 17 sept. 2019, n° 16/01008, D. 2019. 2266, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny ; Dalloz IP/IT 2020. 118, obs. G. Brunaux.
(5) CJUE, gr. ch., 19 déc. 2019, aff. C-263/18, Nederlands Uitgeversverbond (NUV) et Groep Algemene Uitgevers (GAU) c/ Tom Kabinet Internet BV, Tom Kabinet Holding BV et Tom Kabinet Uitgeverij BV, Légipresse 2020. 14 et les obs. ; ibid. 166, étude C. Alleaume ; ibid. 322, étude N. Mallet-Poujol ; D. 2020. 471, note C. Maréchal Pollaud-Dulian ; ibid. 2262, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny ; Dalloz IP/IT 2020. 250, obs. J. Lapousterle ; RTD com. 2020. 62, obs. F. Pollaud-Dulian ; Propr. intell. 2020. 46, obs. A. Lucas ; CCE 2020, n° 31, obs. C. Caron ; Europe 2020, n° 71, obs. M. Abenhaïm ; J. Huet, Deux revirements regrettables de la Cour européenne de justice […], RDC 2020. 48.
(7) Dir. 2009/24/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avr. 2009 concernant la protection juridique des programmes d'ordinateur, abrogeant la dir. 91/250/CEE du Conseil du 14 mai 1991 ayant le même objet.
(8) Dir. 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information.
(9) C'est le fameux critère de l'« équivalence fonctionnelle » élaboré par la CJUE dans son arrêt UsedSoft.
(10) CJUE 23 janv. 2014, aff. C-355/12, Nintendo c/ PC Box, D. 2014. 272 ; ibid. 2078, obs. P. Sirinelli ; JAC 2014, n° 11, p. 12, obs. E. Scaramozzino ; RTD com. 2014. 108, chron. F. Pollaud-Dulian ; CCE 2014. Comm. 26, obs. C. Caron.
(11) CJUE, 4e ch., 22 janv. 2015, aff. C-419/13, Art & Allposters International BV c/ Stichtig Pictoright, pts 35 à 40, où la Cour semble limiter l'épuisement du droit de distribution, pour les œuvres régies par la dir. 2001/29/CE du 22 mai 2001 – c'est-à-dire toutes les œuvres sauf les logiciels –, à leur commercialisation par le truchement d'un support matériel « tangible ». Il fallait néanmoins rester prudent quant à l'interprétation de cet arrêt, car la Cour n'était pas interrogée sur le point de savoir si l'objet du droit de distribution soumis à épuisement était l'œuvre incorporelle ou son support. L'affirmation était donc obiter dictum, ce qui pouvait conduire à limiter ou, au contraire, en accentuer, la portée. V. D. 2015. 776, note C. Maréchal ; Légipresse 2015. 76 et les obs. ; RTD com. 2015. 283, obs. F. Pollaud-Dulian.
(12) CJUE, gr. ch., 19 déc. 2019, aff. C-263/18, préc.
(13) Ce que l'on nomme parfois les « effets extérieurs » ou la « forme exécutée » par opposition à la « forme programmée », désignant la composante logicielle.
(14) CJUE 23 janv. 2014, aff. C-355/12, préc.
(15) Concl. de l'avocat général Sharpston, pt 35.
(16) Quoiqu'elle ait pu, par ailleurs, être interprétée comme une remise en cause de la qualification distributive des jeux vidéo et autres œuvres multimédias ; ce que nous ne pensons pas : à ce sujet, v. V. Varet, Œuvres multimédias, J.-Cl. Propriété littéraire et artistique, fasc. 1165, nos 48 et s.
(18) X. Linant de Bellefonds, Le logiciel gagne des points, CCE 2003. Chron. 20 ; E. Treppoz, La qualification logicielle d'un jeu vidéo : un modèle pour les œuvres multimédias, LPA 18 nov. 1999, p. 10.
(19) V. not., Caen, ch. corr., 19 déc. 1997, LPA 18 nov. 1999, p. 12, note E. Treppoz ; Crim. 21 juin 2000, n° 99-85.154,D. 2001. 2552, obs. P. Sirinelli ; JCP E 2001. 312, obs. F. Sardain.
(20) Civ. 1re, 25 juin 2009, n° 07-20.387, Sesam (Sté), D. 2009. 1819, obs. J. Daleau ; RTD com. 2009. 710, obs. F. Pollaud-Dulian ; ibid. 2010. 319, chron. P. Gaudrat ; Z. Azzabi, La qualification juridique du jeu vidéo : l'essai non transformé de la Cour de cassation, RLDI août-sept. 2009, n° 1737.
(21) Ce que nous avions d'ailleurs fait in V. Varet, La « revente » d'exemplaires dématérialisés d'œuvres de l'esprit au regard du droit d'auteur, RIDA 2021. 5.
(22) V. le billet de M.-A. Stévenin, président d'UFC-Que Choisir, La partie n'est peut-être pas terminée, quechoisir.org, 26 févr. 2025 ; M. Rees, Revente de jeux vidéo dématérialisés : l'UFC-Que Choisir attaque la France devant la Commission européenne, LinkedIn, 26 févr. 2025.
(23) V. Varet, La « revente » d'exemplaires dématérialisés d'œuvres de l'esprit au regard du droit d'auteur, préc.
(24) En ce sens, v. Dalloz IP/IT 2025. 46, obs. J. Groffe-Charrier.