La cour d'appel statue sur la demande de blocage de sites internet permettant l'accès des mineurs, sur le territoire français, à des contenus pornographiques.
Appelée à se prononcer sur renvoi après cassation, elle déclare recevables les demandes, initiées par des associations de protection de l'enfance, de blocage d'accès à plusieurs sites concernés, jusqu'à ce que soit démontrée la mise en œuvre par ces derniers d'un contrôle autre que purement déclaratif de ce que les utilisateurs sont majeurs.
Pour certains sites, dont les éditeurs font valoir que le blocage les concernant serait contraire au droit européen, la cour sursoit à statuer dans l'attente de la réponse de la Cour de justice de l’Union européenne à différentes questions préjudicielles.
Il existe des questions de principe, d'autant plus importantes qu'exacerbées par la mauvaise foi et le dialogue de sourd. Parmi celles-ci, figure l'accès sans restriction ou sous couvert d'une restriction symbolique aux contenus pornographiques disponibles sur internet. La déclaration de majorité demandée aux internautes restreint moins la liberté des éditeurs proposant ce type de contenus qu'elle ne constitue pour eux un argument publicitaire. Elle garantit la nature pornographique des ...
Cour d'appel, Paris, (Pôle 1 – ch. 3), 17 octobre 2024, Associatiton La Voix de l'enfant c/ SA Orange et a.
Emmanuel DREYER
Professeur à l'Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris 1)
5 décembre 2024 - Légipresse N°430
4061 mots
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(1) TJ Paris, 8 oct. 2021, n° 21/56149, Légipresse 2021. 517 et les obs.
(2) Paris, 19 mai 2022, n° 21/18159, Légipresse 2022. 460 et les obs. ; ibid. 2023. 241, étude N. Mallet-Poujol ; Dalloz IP/IT 2022. 654, obs. Clyde Coutellier et E. Daoud.
(3) Civ. 1re, 18 oct. 2023, n° 22-18.926, Légipresse 2023. 588 et les obs. ; ibid. 2024. 257, obs. N. Mallet-Poujol ; D. 2024. 100, note L. Plantinet ; JA 2023, n° 688, p. 10, obs. X. Delpech ; CCE 2023. Comm. 90, obs. G. Loiseau.
(4) Depuis les modifications apportées à la loi du 21 juin 2004 par la loi n° 2024-449 du 21 mai 2024 dite SREN, on retrouve cette disposition à l'art. 6-3 LCEN.
(5) V. sur ce décr. n° 2021-1306 du 7 oct. 2021, E. Dreyer, Précisions sur le contrôle par le CSA de l'accès des mineurs aux sites pornographiques, Légipresse 2021. 618.
(6) CE 6 mars 2021, n° 461193, Lebon ; Légipresse 2024. 142 et les obs. ; AJ fam. 2024. 181, obs. L. Mary ; CCE 2024. Comm. 57, obs. E. Raschel.
(7) La loi n° 2024-449 du 21 mai 2024 a abrogé cette disposition et introduit dans la LCEN les articles 10 et 10-1 permettant à l'ARCOM de contrôler l'accès des sites pornographiques aux mineurs, de proposer un référentiel déterminant les exigences techniques minimales applicables aux systèmes de vérification de l'âge, de sanctionner le non-respect de ces exigences et de demander le blocage des sites concernés aux fournisseurs d'hébergements (V. sur cet aspect de la loi, E. Dreyer, Reprise en main administrative des contenus pornographiques accessibles aux mineurs sur internet, Légipresse 2024. 472).
(8) Cette intervention volontaire n'a rien modifié à l'analyse de l'art. 6-I-8 LCEN, la cour d'appel écartant l'irrecevabilité soulevée sur ce point par les fournisseurs d'accès au motif que « les dispositions susvisées n'instaurent pas de préalable procédural à la mise en cause des fournisseurs d'accès. Dès lors, la recevabilité d'une demande contre ces derniers n'est subordonnée ni à la mise en cause préalable des prestataires d'hébergement, éditeurs ou auteurs des contenus, ni à la démonstration de l'impossibilité d'agir contre eux ». La cour de renvoi s'est donc inclinée devant le principe posé par la Cour de cassation. S'agissant de l'interprétation d'un texte qui a disparu, il sera simplement renvoyé ici aux commentaires de cette décision qui en soulignent le caractère opportuniste.
(9) Cette affaire concerne l'assujettissement de plateformes domiciliées en Irlande à une loi sur les plateformes adoptée en Autriche qui leur impose des obligations de transparence particulières. Les règles « générales et abstraites » en cause ne tendent donc pas à la défense de l'ordre public sur le territoire autrichien. Estimer que ce qui vaut dans un cas vaut nécessairement dans l'autre paraît hasardeux.
(10) Limiter l'accès des mineurs à la pornographie est une préoccupation constante de l'Union (dir. 89/552/CE du 3 oct. 1989, TSF ; dir. 2010/13/UE du 10 mars 2010, SMA). La compétence pénale désormais reconnue à l'Union impose aux États d'agir en la matière (dir. 2011/92/UE du 13 déc. 2011, art. 3). L'Union ne saurait tout à la fois leur commander d'agir et leur interdire de le faire.
(11) À une réserve près : ici, n'est pas en cause une poursuite pénale mais une action civile tendant au blocage de sites par des personnes qui sont a priori étrangères aux faits incriminés. L'art. 227-24 énonce exceptionnellement une règle de comportement (ne pas permettre l'accès des mineurs à certains messages) alors qu'un texte d'incrimination est en principe dénué de portée normative (il ne dit pas ce qu'il faut faire, mais fixe un tarif pour ce qui a été mal fait). Compte tenu du caractère accessoire du droit pénal, il aurait fallu que l'obligation d'effectuer un contrôle d'âge effectif soit énoncée dans une norme extérieure et sa violation consciente distinctement réprimée. Mais ce mauvais choix de technique législative peut-il avoir une conséquence ici ? Il serait tout de même surprenant qu'une incrimination soit condamnée alors qu'elle n'était pas mise en œuvre ; inversement, une règle non pénale ne saurait être épargnée sous prétexte qu'elle est énoncée dans une incrimination.
(12) Sont visés à l'appui une décision du Conseil constitutionnel (Cons. const. 21 mars 2019, n° 2018-768 QPC, AJDA 2019. 662 ; ibid. 1448, note T. Escach-Dubourg ; D. 2019. 742, et les obs., note P. Parinet ; ibid. 709, point de vue H. Fulchiron ; ibid. 1732, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; ibid. 2020. 1324, obs. E. Debaets et N. Jacquinot ; AJ fam. 2019. 222, obs. A. Bouix ; RDSS 2019. 453, note A.-B. Caire ; Constitutions 2019. 152, Décision ; Rev. crit. DIP 2022. 273, étude T. Fleury Graff et a. la collaboration d'Inès Giauffret) ainsi que la CIDE et la Charte UE (art. 24).
(13) « Privilégier la protection de la vie privée des consommateurs majeurs, en écartant un contrôle de l'âge, est incompatible avec le droit des mineurs à être protégés de l'accès illimité, anonyme et gratuit, à des contenus inappropriés à leur âge, susceptibles de mettre en péril leur construction intime, de contribuer à des phénomènes addictifs et de favoriser la diffusion d'une image inexacte et dégradée de la sexualité et, plus généralement, des rapports entre les individus, ce qui n'est contesté par aucune des parties. »
(14) Il suffit d'une rapide recherche pour apprendre que ces services sont édités à Chypre, là encore, et au Portugal.