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Communication numérique
/ Décryptages
01/07/2024
La protection de la représentation à l'ère du numérique et du deepfake : le délit de montage version 2.0
Afin de lutter contre les dérives liées à l'émergence des deepfakes, ces contenus générés par l'intelligence artificielle, la loi du 21 mai 2024 visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique (dite loi SREN) procède à une modification du délit de montage, prévu à l'article 226-8 du code pénal. Elle insère, par ailleurs, l'article 226-8-1, qui réprime les délits de montage à caractère sexuel. Outre l'opportunité d'une adaptation à ce type de publication, la nouvelle loi donne l'occasion de s'interroger sur le positionnement et la pertinence de la protection de la représentation d'une personne dans notre droit actuel.
Le délit de montage est-il entré dans l'ère du numérique grâce à la loi du 21 mai 2024(1) ? C'est peu dire que le délit de montage ou de « trucage(2) » créé pour réprimer les manipulations de paroles ou d'images afin de « donner une mauvaise idée d'autrui(3) » est passé inaperçu jusqu'à aujourd'hui.
Il est d'abord passé relativement inaperçu lors de son introduction dans l'ancien code pénal par la loi du 17 juillet 1970 dont l'objet principal était la protection de ...
Jérôme Bossan
Maître de conférences - Université de Poitiers, ISCrim'
1er juillet 2024 - Légipresse N°426
4547 mots
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(1) Loi SREN n° 2024-449 du 21 mai 2024 ; pour une première présentation du texte, v. Légipresse2024. 273 ; M. Musson, Loi SREN : renforcement des pouvoirs de l’ARCOM et de la CNIL au service de la protection des internautes, Dalloz actualité, 17 juin 2024 et pour une présentation du projet, v. R. Ollard, Un an de droit pénal numérique, Dr. pénal 2023. Chron. 12.
(2) R. Lindon, Les dispositions de la loi du 17 juillet 1970 relatives à la protection de la vie privée, JCP 1970. I. 2357, n° 19 ; terme orthographié aussi « truquage ».
(3) E. Dreyer, Droit pénal spécial, 2e éd., LGDJ, 2023, n° 384.
(4) V. not., J. Pradel, Les dispositions de la loi du 17 juillet 1970 sur la protection de la vie privée, D. 1971. Chron. 115.
(5) C. pén. anc., art. 370.
(6) Ibid., art. 368 et 369.
(7) Pour une présentation historique, H. Pelletier et D. Beauvais, Art. 226-8 et 226-9. Atteinte à la représentation de la personne, J.-Cl. Pén., fasc. 20, 2016, nos 1 s.
(8) Références statistiques Justice, 2023, p. 119.
(9) V. en ce sens, E. Dreyer, Droit pénal spécial, op. cit., n° 386 ; C. Bigot, Pratique du droit de la presse, 4e éd., Dalloz, 2023, n° 343.52.
(10) P. Pradhan, AI Deepfakes, University of Illinois Law Review, 4 oct. 2020 (illinoislawreview.org/blog/ai-deepfakes/).
(11) V. not., C. Bigot, Légiférer sur les fausses informations en ligne, un projet inutile et dangereux, D. 2018. 344.
(12) Proposition de règl. du Parlement européen et du Conseil établissant des règles harmonisées concernant l'IA (législation sur l'IA) et modifiant certains actes législatifs de l'Union, dite IA Act, COM/2021/206 final.
(13) J. Groffe-Charrier, Vers un encadrement légal des deepfakes, Dalloz actualité, 12 juill. 2023.
(15) Sans que cela soit spécifique aux différents délits de montage.
(16) On la retrouve en matière de harcèlement sexuel (C. pén., art. 222-33) ou moral (C. pén., art. 222-33-2-2), d'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse et de la sujétion psychologique ou physique (C. pén., art. 223-15-2), de pratiques relevant des thérapies de conversion (C. pén., art. 225-4-13), de provocation ou d'apologie du terrorisme (C. pén., art. 421-5-2).
(17) V. not., l'art. 132-78 du c. pén. relatif à l'utilisation de la cryptologie.
(18) L'atteinte à la vie privée est punie d'un an d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende, et ne prévoit pas de circonstance aggravante tenant à la commission sur un réseau de communication au public en ligne.
(19) C. pén., art. 131-35-1, 2° bis, renvoyant aux art. 226-8 et 226-8-1 du même code.
(20) C. pén., art. 311-2.
(21) IA Act, préc., art. 52.3.
(22) A. Vitu et R. Merle, Traité de droit criminel. Droit pénal spécial, t. 2, 1re éd., Cujas, 1982, n° 2034.
(23) P. Midy, rapp. Ass. nat. n° 1674, 2023, p. 70.
(24) JO Sénat CR, 5 juill. 2023, p. 6346.
(25) Cette précision pourrait cependant générer un doute lors de son application. Si le texte nouveau ajoute à la répression, la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère pourrait, pour les faits antérieurs, conduire à exclure le délit de montage pour les contenus générés par algorithmes. Au contraire, la loi nouvelle pourrait être considérée par les juges comme étant interprétative et n’apporte aucun renforcement de la répression. Le délit ancien pourrait être déclaré applicable à tout montage, dont ceux générés par l’IA, réalisé avant l’entrée en vigueur de la loi. Cela confirmerait l’utilité fragile de l'ajour par le nouveaux texte, v. infra.
(26) Crim. 30 mars 2016, n° 15-82.039, Légipresse 2016. 260 et les obs. ; ibid. 351, comm. G. Beaussonie ; D. 2016. 898 ; ibid. 2424, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, L. Miniato et S. Mirabail ; AJ pénal 2016. 384, obs. D. Aubert ; RSC 2016. 767, obs. H. Matsopoulou ; Dr. pénal 2016. Comm. 104, obs. P. Conte ; CCE 2016. Comm. 62, obs. A. Lepage.
(27) V. la question n° 9276 posée par J.-L. Warsmann au min. de la Justice, JOAN Q 26 janv. 1998, p. 397, et la réponse ministérielle n° 9276, JOAN Q 10 août 1998, p. 4494.
(28) À la différence de l'ancien c. pén., le nouveau c. pén. n'a pas retenu d'exigence de plainte comme il l'a fait avec les atteintes à la vie privée (v. art. 226-6). Pourtant, le min. considérait que cette condition était nécessaire aux poursuites, in Circulaire générale présentant les dispositions du nouveau code pénal, Direction des Journaux officiels, 1993, p. 166.
(29) V. supra.
(30) V. l’art. 42 et s. de la loi du 29 juill. 1881 sur la liberté de la presse et l’art. 93-2 et s. de la loi du 29 juill. 1982 sur la communication audiovisuelle.
(31) T. corr. Paris, 9 juin 1972, (1re esp.), Gaz. Pal. 1975. 680 ; RSC 1976. 117, obs. G. Levasseur.
(32) L'art. 226-9 déjà évoqué en est la preuve.
(33) V. supra.
(34) V. Tesnière, La loi n° 2023-566 du 7 juillet 2023 « visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne » : remède ou placebo ?, Légipresse 2023. 566 et les obs.
(35) L'art. 6-I-7 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 permettant de déterminer les contenus pour lesquels les acteurs de l'internet disposent d'obligations spécifiques et dont le manquement peut être pénalement sanctionné.
(36) La remarque pourrait valoir aussi pour les délits de l'art. 226-8.
(37) À titre d'ex., l'atteinte à la représentation peut être rapprochée de l'atteinte à l'honneur fondant la répression de l'injure et de la diffamation de l'art. 29, matérialisées par images ou paroles, v. de manière générale, E. Dreyer, Image des personnes, J.-Cl. Communication 2021, fasc. 40, spéc. § 14, mais le délit pourrait aussi être rapproché de l'usurpation d'identité ou même du happy slapping…
(38) À la différence d'autres infractions des art. 227-1 et s. du c. pén. qui concernent les mineurs victimes, le délit de l'art. 227-23 n'exige pas que l'auteur soit mineur.
(39) L'IA pourrait bien ici conduire à redessiner les limites de la répression dès lors que le dernier alinéa de l'art. 227-23 s'applique plus généralement lorsque le sujet a l'aspect physique d'un mineur, « sauf s'il est établi que cette personne était âgée de dix-huit ans au jour de la fixation ou de l'enregistrement de son image » ; or cette réserve, applicable au « vrai » sujet, ne s'applique pas au modèle de fiction qui pourrait être généré par une IA comme c'est le cas en matière de bandes dessinées ou de dessins animés.
(40) On pourrait aussi évoquer la transmission de l'art. 227-23, qui permet not. de réprimer le fait de transférer le contenu à une personne qui peut être chargée du montage.
(41) La conception du contenu y sera traitée de manière différente : condition préalable pour le délit de montage, elle est érigée en infraction par l'art. 227-23.