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Infractions de presse
/ Cours et tribunaux
03/05/2024
La Cour européenne des droits de l'homme à l'ère de la libération de la parole : arrêt de principe ou arrêt en opportunité ?
La Cour européenne des droits de l'homme juge que la condamnation pour diffamation publique d'une femme dénonçant des faits d'agression sexuelle a violé l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Elle considère que les juridictions françaises, en refusant d'adapter aux circonstances de l'espèce la notion de base factuelle suffisante et les critères de la bonne foi, ont fait peser sur la requérante une charge de la preuve excessive en exigeant qu'elle rapporte la preuve des faits qu'elle entendait dénoncer. De plus, le texte qui avait été diffusé par mail n'a entraîné, en tant que tel, que des effets limités sur la réputation de son prétendu agresseur. Enfin, le prononcé d'une condamnation pénale comporte, par nature, un effet dissuasif susceptible de décourager les intéressés de dénoncer des faits aussi graves qu'un harcèlement ou une agression sexuelle.
La vague #MeToo n'en finit pas de déferler, la houle s'étant formée aux États-Unis en 2016 avec le scandale de l'affaire Weinstein, avant de se renforcer et de gagner de nombreux pans de la société, notamment le monde de la littérature et du cinéma français qui connaît à rebours l'arrivée de cette lame de fond(1). La jurisprudence nationale a donc dû surfer sur cette vague et se confronter à la « libération de la parole » des femmes et aux accusations corrélatives portées ...
Cour européenne des droits de l'homme, 18 janvier 2024, Allée c/ France
Lorraine Gay
Avocat au Barreau de Paris
3 mai 2024 - Légipresse N°424
4515 mots
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(1) Par ex., v. R. Jeanticou, Haenel, Springora, Godrèche… Le #MeToo français se limitera-t-il aux violences sexuelles sur mineurs ? télérama.fr, 27 févr. 2024.
(2) Arrêt commenté, Légipresse 2024. 80 et les obs. ; Dr. soc. 2024. 305, étude P. Adam.
(3) V. par ex., TGI Paris, 17e ch. civ., 20 oct. 2010, Légipresse 2011, n° 279. 7.
(4) Civ. 1re, 28 sept. 2016, n° 15-21.823, Légipresse 2016. 577 et les obs. ; ibid. 617, comm. F. Gras ; D. 2016. 2447, note Y. Pagnerre ; ibid. 2209, édito. N. Dissaux ; ibid. 2017. 181, obs. E. Dreyer.
(5) Crim. 26 juin 2007, n° 06-84.135, D. 2007. 2238, obs. A. Darsonville ; AJ pénal 2007. 384 ; RSC 2008. 81, obs. Y. Mayaud ; Crim. 3 avr. 2002, n° 01-86.730.
(6) Crim. 26 nov. 2019, n° 19-80.360, Légipresse 2019. 667 et les obs. ; ibid. 2020. 108, étude C. Mas ; ibid. 193, étude N. Verly ; ibid. 322, étude N. Mallet-Poujol ; D. 2019. 2302 ; ibid. 2020. 567, chron. A.-L. Méano, L. Ascensi, A.-S. de Lamarzelle, M. Fouquet et C. Carbonaro ; AJ pénal 2020. 130, obs. J. Lasserre Capdeville ; Dr. soc. 2020. 550, chron. R. Salomon ; RSC 2020. 77, obs. Y. Mayaud.
(7) Art. 122-4 : « N'est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires. / N'est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte commandé par l'autorité légitime, sauf si cet acte est manifestement illégal. »
(8) Art. L. 1153-1 (version en vigueur jusqu'en 2022) : « Aucun salarié ne doit subir des faits : / 1° Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ; / 2° Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers. »Art. L. 1153-2 (version en vigueur jusqu'en 2022) : « Aucun salarié […] ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, […] pour avoir subi ou refusé de subir des faits de harcèlement sexuel tels que définis à l'article L. 1153-1, y compris, dans le cas mentionné au 1° du même article, si les propos ou comportements n'ont pas été répétés. »Art. L. 1153-3 (abrogé par la loi du 21 mars 2022) : « Aucun salarié […] ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire pour avoir témoigné de faits de harcèlement sexuel ou pour les avoir relatés. »
(9) Art. L. 4131-1 : « Le travailleur alerte immédiatement l'employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé […] »
(10) Crim. 5 mai 2023, n° 22-84.763.
(11) C. pén., art. 122-4.
(12) C. trav., art. L. 1152-2, L. 1153-3, L. 1154-1 et L. 4131-1.
(13) V. note 2.
(14) Crim. 11 avr. 2012, n° 11-87.688, Légipresse 2012. 343 et les obs. ; D. 2012. 1405 ; ibid. 2013. 457, obs. E. Dreyer.
(15) Crim. 14 juin 2022, n° 21-84.537, Légipresse 2022. 406 et les obs. ; ibid. 436, étude E. Derieux ; ibid. 2023. 119, étude E. Tordjman, O. Lévy et S. Menzer ; ibid. 182, chron. N. Verly ; ibid. 241, étude N. Mallet-Poujol ; D. 2022. 1154 ; ibid. 2023. 137, obs. E. Dreyer ; AJ pénal 2022. 428, obs. E. Raschel ; Dalloz IP/IT 2022. 513, obs. R. Mesa.
(16) Civ. 1re, 11 mai 2022, n° 21-16.497, Légipresse 2022. 276 et les obs. ; ibid. 421, étude R. Le Gunehec et A. Pastor ; ibid. 2023. 241, étude N. Mallet-Poujol ; D. 2022. 1071, note C. Bigot ; ibid. 1986, chron. X. Serrier, V. Le Gall, A. Feydeau-Thieffry, L. Duval, E. Buat-Ménard, V. Champ et S. Robin-Raschel ; ibid. 2023. 137, obs. E. Dreyer ; ibid. 855, obs. RÉGINE.
(17) Civ. 1re, 11 mai 2022, n° 21-16.156, Légipresse 2022. 276 et les obs. ; ibid. 421, étude R. Le Gunehec et A. Pastor ; ibid. 2023. 119, étude E. Tordjman, O. Lévy et S. Menzer ; D. 2022. 1071, note C. Bigot ; ibid. 2023. 137, obs. E. Dreyer ; ibid. 855, obs. RÉGINE.
(18) CEDH 27 juill. 2021, n° 29856/13, SIC c/ Portugal, sur la mise en cause d'un homme politique dans une aff. de pédophilie, la cour retenant que le traitement médiatique de cette aff. d'agressions sexuelles était de nature à créer une forte controverse portant sur un thème social important et relevait ainsi du débat d'intérêt général ; CEDH 13 déc. 2022, n° 417/15, RTBF c/ Belgique, Légipresse 2023. 12 et les obs. ; ibid. 502, chron. C. Bigot.