Accueil > Communications électroniques > Prédateurs numériques et meutes en ligne : l'appréhension du cyberharcèlement par le droit et la jurisprudence - Communications électroniques
Communication numérique
/ Chroniques et opinions
11/01/2024
Prédateurs numériques et meutes en ligne : l'appréhension du cyberharcèlement par le droit et la jurisprudence
L'article 222-33-2-2 du code pénal, institué par la loi n° 2014-873 du 4 août 2014, réprime les faits de harcèlement notamment « lorsqu'ils sont commis par l'utilisation d'un service de communication au public en ligne ou par le biais d'un support numérique ou électronique ». La définition du cyberharcèlement a donné lieu à une casuistique des juges du fond, rendant souhaitable une unification jurisprudentielle par la Cour de cassation. Cette incrimination peut néanmoins se révéler une arme efficace contre les agressions numériques qui se multiplient ces dernières années, en premier lieu sur les réseaux sociaux.
Le 6 novembre 2023, quelques jours seulement avant la journée nationale de lutte contre le harcèlement scolaire(1), la cour d'appel de Nancy relaxait quatre jeunes collégiens poursuivis pour harcèlement à l'encontre de l'un de leurs camarades, au motif qu'il n'était pas démontré que les actes commis aient porté une « atteinte effective à la santé physique ou psychique de la victime(2) ». La formule pourrait paraître anodine si l'on ne prend pas la peine de préciser que le jeune ...
Nicolas VERLY
Avocat au Barreau de Paris
Chargé de cours à l'Ecole de droit de la Sorbonne ...
11 janvier 2024 - Légipresse N°421
4614 mots
Veuillez patienter, votre requête est en cours de traitement...
(1) Le 9 nov. 2023 (education.gouv.fr/journee-nationale-de-lutte-contre-le-harcelement-l-ecole-941).
(2) Nancy, 6 nov. 2023.
(3) AFP, Suicide de Lucas : sa mère et le parquet général se pourvoient en cassation, 20minutes.fr, 13 nov. 2023.
(4) C. pén., art. 222-33-2, institué par la loi n° 2002-73 du 7 janv. 2002 de modernisation sociale ; v., par ex., Crim. 28 mars 2017, n° 15-86.509.
(5) C. pén., art. 222-33-2-1, institué par la loi n° 2010-769 du 9 juill. 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants ; v. par ex., Crim. 25 mars 2020, n° 19-82.123 ; Crim. 9 mai 2018, n° 17-83.623, D. 2018. 1013 ; AJ fam. 2018. 470, obs. F. Berdeaux ; AJ pénal 2018. 367, obs. C. Saas ; RSC 2018. 681, obs. Y. Mayaud.
(6) C. pén., art. 222-33-2-3, institué par la loi n° 2022-299 du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire. Le texte prévoit par ailleurs que les peines encourues sont portées à dix ans d'emprisonnement et à 150 000 € d'amende « lorsque les faits ont conduit la victime à se suicider ou à tenter de se suicider ».
(7) Cette circonstance aggravante est également prévue en matière de harcèlement sexuel, C. pén., art. 222-33-III-6°.
(8) Laissant entrevoir que les auteurs de ces faits sont majoritairement des hommes, et les victimes plus généralement des femmes, ainsi que l'a relevé le HCE dans un rapport n° 2017-11-16-VIO-030 publié le 16 nov. 2017, intitulé En finir avec l'impunité des violences faites aux femmes en ligne : une urgence pour les victimes.
(9) T. corr. Strasbourg, 5 déc. 2019 : poursuite en harcèlement à raison de 34 art. déjà condamnés pour diffamation.
(10) T. corr. Paris, 17e ch., 13 sept. 2023 ; T. corr. Paris, 10e ch., 1re sect., 12 déc. 2022.
(11) Paris, pôle 2 - 8e ch., 28 sept. 2022 ; Aix-en-Provence, 20 juin 2022.
(12) Crim. 14 sept. 2022, n° 22-80.085.
(13) T. corr. Paris, 17e ch., 13 sept. 2023.
(14) T. corr. Paris, 10e ch., 1re sect., 12 déc. 2022.
(15) T. corr. Paris, 17e ch., 13 sept. 2023.
(16) Crim. 2 sept. 2020, n° 19-82.471.
(17) T. corr. Strasbourg, 5 déc. 2019.
(18) Paris, pôle 2 - 8e ch., 31 janv. 2023 ; T. corr. Paris, 10e ch., 1re sect., 12 déc. 2022 ; T. corr. Paris, 24e ch., 20 avr. 2022.
(19) Versailles, 28 sept. 2021.
(20) Paris, pôle 2 - 8e ch., 31 janv. 2023 ; T. corr. Paris, 17e ch., 13 sept. 2023.
(21) C. Bigot, Pratique du droit de la presse, 4e éd., 2023.
(22) Crim. 9 mai 2018, préc. ; T. corr. Paris, 10e ch., 1re sect., 12 déc. 2022. La solution est d'ailleurs la même en matière de harcèlement non « cyber », Crim. 9 juin 2021, n° 20-85.965 (un doigt d'honneur adressé à deux reprises dans le même trait de temps ne caractérise pas la répétition exigée par l'art. 222-33-2-2).
(23) T. corr. Paris, 10e ch., 1re sect., 12 déc. 2022.
(24) Pour l'envoi d'« au moins 80 messages de la part du prévenu », Paris, pôle 2 - 8e ch., 28 sept. 2022.
(25) V. par ex., T. corr. Paris, 10e ch., 1re sect., 12 déc. 2022 ; T. corr. Paris, 24e ch., 20 avr. 2022 (dans cette dernière décision, le tribunal relève le « jeu d'influence des différents utilisateurs » du réseau social ayant servi de support au harcèlement).
(26) Paris, pôle 2 - 8e ch., 31 janv. 2023 ; T. corr. Paris, 17e ch., 13 sept. 2023.
(27) T. corr. Paris, 10e ch., 1re sect., 12 déc. 2022.
(28) Paris, pôle 2 - 8e ch., 31 janv. 2023 ; T. corr. Paris, 17e ch., 13 sept. 2023. Ce sera a fortiori le cas par l'utilisation de procédés permettant d'accroître la visibilité de leur agissements, à l'instar du hashtag sur X (Twitter). V. égal., Crim. 9 mai 2018, préc., jugeant que « des propos ou comportements répétés adressés à des tiers caractérisaient le délit de harcèlement moral, dès lors que le prévenu ne pouvait ignorer que ces propos ou comportements parviendraient à la connaissance de la personne qu'ils visaient ».
(32) Crim. 9 mai 2018, préc. ; Crim. 27 mars 2019, n° 18-82.178. Principe repris expressément par Paris, pôle 2 - 8e ch., 28 sept. 2022 et Nancy, 6 nov. 2023, préc.
(33) T. corr. Paris, 17e ch., 13 sept. 2023.
(34) Paris, pôle 2 - 8e ch., 31 janv. 2023 ; Aix-en-Provence, 20 juin 2022 ; Versailles, 28 sept. 2021 ; T. corr. Paris, 17e ch., 13 sept. 2023 ; T. corr. Paris, 10e ch., 1re sect., 12 déc. 2022 ; T. corr. Strasbourg, 5 déc. 2019.
(35) Paris, pôle 2 - 8e ch., 28 sept. 2022.
(36) T. corr. Paris, 24e ch., 20 avr. 2022 : « La libération de la parole, sous forme d'effet de meute avec 20 000 messages haineux, pouvait à tout moment laisser craindre que la parole ne provoque des actes matériels et la réalisation des crimes et délits tels que ceux évoqués dans les tweets. »
(37) Crim. 2 sept. 2020, préc.
(38) Ibid. Le pourvoi soutenait au contraire que « le harcèlement moral, lorsqu’il consiste en des actes reprochés au prévenu ayant eu pour objet une dégradation des conditions de vie de la victime se traduisant par une atteinte à sa santé physique ou mentale, suppose la démonstration d’un dol spécial caractérisé par la conscience et l’intention du prévenu de dégrader les conditions de vie de la victime. »
(39) T. corr. Paris, 10e ch., 2e sect., 7 juill. 2021, et, en appel, Paris, pôle 2 - 8e ch., 31 janv. 2023.
(40) Paris, pôle 2 - 8e ch., 28 sept. 2022.
(41) Aix-en-Provence, 20 juin 2022. V. égal., Versailles, 28 sept. 2021, jugeant que, « si la liberté d'expression est une liberté fondamentale », elle ne saurait autoriser à tenir des propos « à caractère insultant, haineux, humiliant et dégradant ».
(42) Crim. 9 mai 2018, n° 18-90.007.
(43) Dès lors, comme le résume le tribunal, « qu'elles ne permettent pas à un individu de savoir qu'il se place sous cette qualification au moment où il rend public un message et qu'il dépend des agissements d'autres individus pour que le message acquière un caractère répétitif ».
(44) En ce que, selon le résumé de la question par le tribunal, cette disposition reviendrait « à contourner les infractions d'injure ou de diffamation spécialement prévues par la loi du 29 juillet 1881 », il serait « incohérent de considérer que l'envoi répété de messages écrits sur une plateforme de communication au public en ligne serait plus grave que les interactions physiques répétées commises au préjudice de la victime ».
(45) T. corr. Paris, 10e ch., 2e sect., 7 juill. 2021 et, en appel, Paris, pôle 2 - 8e ch., 31 janv. 2023.
(46) T. corr. Paris, 10e ch., 1re sect., 12 déc. 2022.
(47) T. corr. Paris, 10e ch., 2e sect., 7 juill. 2021.
(48) Qui avait, de fait, pour conséquence de dissuader le min. public d’engager des poursuites cumulant le délit de cyberharcèlement avec d’autres infraction (v. par ex., T. corr. Paris, 10e ch., 1re sect., 12 déc. 2022).
(49) Paris, pôle 2 - 8e ch., 31 janv. 2023.
(50) Crim. 15 déc. 2021, n° 21-81.864, D. 2022. 154, note G. Beaussonie ; AJ pénal 2022. 34, note C.-H. Boeringer et G. Courvoisier-Clément ; RSC 2022. 311, obs. X. Pin ; ibid. 323, obs. Y. Mayaud ; RTD com. 2022. 188, obs. B. Bouloc : « L'interdiction de cumuler les qualifications lors de la déclaration de culpabilité doit être réservée, outre à la situation dans laquelle la caractérisation des éléments constitutifs de l'une des infractions exclut nécessairement la caractérisation des éléments constitutifs de l'autre, aux cas où un fait ou des faits identiques sont en cause et où l'on se trouve dans l'une des deux hypothèses suivantes. Dans la première, l'une des qualifications, telles qu'elles résultent des textes d'incrimination, correspond à un élément constitutif ou une circonstance aggravante de l'autre, qui seule doit alors être retenue. Dans la seconde, l'une des qualifications retenues, dite spéciale, incrimine une modalité particulière de l'action répréhensible sanctionnée par l'autre infraction, dite générale. »
(51) Crim. 9 juin 2022, n° 21-80.237, D. 2022. 1153 ; ibid. 2118, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, S. Mirabail et E. Tricoire ; AJ pénal 2022. 429, obs. H. Génin ; RSC 2022. 811, obs. X. Pin ; RTD com. 2022. 896, obs. B. Bouloc.
(52) Qui avait pourtant déjà connu quelques précédents en matière de harcèlement, dont le cumul avait été autorisé avec le délit de dégradation de l'art. 322-1 c. pén. (Crim. 27 mars 2019, préc.), avec le délit d'appels téléphoniques malveillants de l'art. 222-16 c. pén. (Crim. 23 mai 2018, n° 17-85.040) et avec celui de diffamation (T. corr. Strasbourg, 5 déc. 2019).
(53) Crim. 14 sept. 2022, préc.
(54) T. corr. Paris, 17e ch., 13 sept. 2023.
(55) Crim. 14 sept. 2022, préc.
(56) Par ex., divulgation d'information attentatoires à l'intimité de la vie privée : 1 an d'emprisonnement ; usurpation d'identité numérique : 1 an d'emprisonnement ; diffamation, injure ou provocation discriminatoire : 1 an d'emprisonnement, etc.
(57) En application des art. 132-76 et 132-77 c. pén., les peines sont doublées lorsque la peine encourue est inférieure à 3 ans, ce qui porte la peine encourue à 4 ans en cas de cyberharcèlement discriminatoire.
(58) V. not., Paris, pôle 2 - 8e ch., 31 janv. 2023 ; Paris, pôle 2 - 8e ch., 28 sept. 2022 ; T. corr. Paris, 10e ch., 1re sect., 12 déc. 2022 ; T. corr. Paris, 24e ch., 20 avr. 2022 ; T. corr. Strasbourg, 5 déc. 2019.
(59) Aix-en-Provence, 20 juin 2022.
(60) T. corr. Paris, 17e ch., 13 sept. 2023.
(61) Versailles, 28 sept. 2021 : 2 mois d'emprisonnement ferme. En première instance (T. corr. Versailles, 21 sept. 2020), le prévenu avait été condamné à une peine de 1 an ferme et s'était vu décerner un mandat de dépôt.
(62) V., pour mesure de confiscation prononcée, avant l'entrée en vigueur de l'article 222-33-2-2, dans le cadre d'un harcèlement sanctionné sur le fondement des violences volontaires, Crim. 25 juill. 2018, préc.
(63) Sur cette disposition, déjà commentée et vivement critiquée : N. Verly et N. Bénoit, L'identification des auteurs de diffamations et injures à l'aune du nouvel article 60-1-2 du code de procédure pénale : chronique d'une mort annoncée ?, Légipresse 2022. 538.
(64) Pour une relaxe des hébergeurs n'ayant pas communiqué les données d'identification sollicitées dans le cadre de plusieurs procédures de harcèlement de meute, T. corr. Paris, 17e ch., 27 mars 2023.
(65) L’efficacité du texte pourrait encore être accrue en cas de vote d’une peine de « bannissement » des réseaux sociaux pour les cyberharceleurs, actuellement en discussion au Parlement dans le cadre du projet de loi « visant à sécuriser et réguler l’espace numérique ».
(66) T. corr. Paris, 17e ch., 13 sept. 2023 : « le délit de harcèlement moral, même aggravé par la circonstance prévue à l'article 132-77 du code pénal, n'étant pas visé à l'article 2-6 du code de procédure pénale prévoyant les conditions d'intervention des associations en dehors des infractions prévues par la loi du 29 juillet 1881 » ; v. égal., T. corr. Paris, 10e ch., 1re sect., 12 déc. 2022.
(67) V. not., Circ. du ministre de l’Éducation nationale du 24 janv. 2022 relative à la généralisation de l’éducation aux médias et à l’information (BOEN n° 4 du 24 janv. 2022).
(68) M. Duguet et P. Lecouvré, Harcèlement scolaire : le gouvernement annonce la généralisation des cours d’empathie à la rentrée de septembre 2014, francetvinfo.fr, 27 sept. 2023.