Le tribunal judiciaire constate la nullité d'un contrat de cession « gratuite » de droits d'auteur conclu sous seing privé. En effet, les prescriptions d'ordre public de l'article 931 du code civil, qui exigent à peine de nullité qu'une donation entre vifs soit conclue par acte notarié, n'ont pas été respectées, pas plus que les conditions de l'article L. 131-3 du code de la propriété intellectuelle, qui imposent une mention distincte, dans le contrat de cession de droits, pour chaque droit cédé et la délimitation précise du domaine d'exploitation.
Dans les secteurs de la création et du divertissement, il est fréquent que des parties à un contrat prévoient la cession à titre gratuit d'un droit immatériel (droit d'auteur, droit voisin, droit à l'image, droit sur un événement sportif, marque, etc.), que cela soit pour la globalité d'une opération ou pour certaines modalités de celle-ci – la diffusion à titre promotionnel uniquement, par exemple. Lors de la conclusion de ces actes, dans la vie des affaires, les parties pensent ...
Tribunal judiciaire, Paris, (3e ch. 1re sect.), 6 juillet 2023, Pavel F. c/ New Dissidents Foundation et a.
Julien Grosslerner
Avocat au Barreau de Paris
Samuel Brami
Juriste
Cabinet Simon Associés
6 novembre 2023 - Légipresse N°418
4256 mots
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(1) TJ Paris, 3e ch., 3e sect., 8 févr. 2022, n° 19/14142, M. X. c/ Akis Technology et M. Y., C. Madi, La cession de droit intellectuel à titre gratuit est une donation. Les MAJ de l'IRPI n° 36, mars 2022, p. 3 ; J.-C. Galloux, D. 2022. 1433 ; P. Kamina, Une cession à titre gratuit est-elle nécessairement une donation ?, CCE 2022. Comm. 25 ; S. Bailey, H. Choquet et P. Bonduelle, RLDI juill. 2023. 205.
(2) TJ Paris, ord. réf., 12 avr. 2023, n° 23/50949, Filatiev c/ New Dissidents Foundation et a.
(3) TJ Paris, 3e ch., 1re sect., 6 juill. 2023, n° 23/02616, Légipresse 2023. 456 et les obs.
(4) Toutefois, si le juge avait considéré que la cession n'était pas une donation, aurait-il pu/dû déclarer la nullité d'un acte du fait de l'absence d'une condition de forme que la loi n'impose pas ? La question se pose dans la mesure où le juge est tenu, d'une part, de donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination proposée par les parties (C. pr. civ., art. 12, al. 2), mais d'autre part, ne peut changer cette dénomination lorsque les parties l'ont lié, par accord exprès, par les qualifications et points de droit auxquels elles entendent limiter le débat, sauf à contrevenir à l'interdiction qui lui est faite de juger ultra petita (C. pr. civ., art. 5 et 12, al. 3).
(5) Même si dans ce cas on peut se demander pourquoi il n'y a pas eu simple transaction.
(6) Paris, 4e ch., sect. B, 25 nov. 2005, n° 04/02005, L'Harmattan : « Mais considérant que l'article L. 122-7 du CPI relatif à la cession du droit de reproduction d'une œuvre prévoit qu'une telle cession peut être gratuite ; qu'il n'est nullement précisé que dans ce cas, le cessionnaire s'interdirait d'exploiter commercialement une telle œuvre. Qu'il doit néanmoins, en application de l'article L. 131-3 du code de la propriété intellectuelle, délimiter l'étendue des droits cédés ; que l'auteur reste ainsi libre, si du moins, il a une claire conscience de ce qu'il cède à titre gratuit, de renoncer à percevoir des droits patrimoniaux sur l'exploitation de son œuvre […] »
(7) TJ Paris, 3e ch., 3e sect., 8 févr. 2022, préc.
(8) Et ce depuis la loi n° 57-298 du 1er mars 1957 (art. 30 et 31 devenus respectivement art. L. 122-7 et L. 131-2 CPI).
(9) Admettant la qualification de donation entre vifs aux cessions à titre gratuit de droit de propriété intellectuelle, E. Pouillet, Traité théorique et pratique de la propriété littéraire et artistique et du droit de représentation, 3e éd., Marchal et Billard, 1908, n° 376 (« Puisque le droit de propriété littéraire et artistique peut être cédé, il peut être également donné […] par donation entre vifs […] Les règles ordinaires en matière de donation […] doivent alors être suivies » ; P.-Y. Gautier et N. Blanc, Droit de la propriété littéraire et artistique, LGDJ, 2021, n° 605-606 ; F. Pollaud-Dulian, Le droit d'auteur, 2e éd., Economica, 2014, n° 1418 ; M. Vivant et J.-M. Bruguière, Droits d'auteur et droits voisins, 4e éd., Dalloz, 2019, n° 714-715 ; T. Azzi, La cession à titre gratuit du droit d'auteur, RIDA 3/2013. 2. À l'inverse, excluant la qualification, A. Lucas, H.- J. Lucas-Schloetter et C. Bernault, Traité de la propriété littéraire et artistique, 5e éd., LexisNexis, 2017, n° 774 ; N. Blanc, Les contrats du droit d'auteur à l'épreuve de la distinction des contrats nommés et innomés, Dalloz, vol. 293, 2010 ; C. Caron, obs. ss Civ. 1re, 12 janv. 2001, CCE 2001. Comm. 34 (pour qui « l'existence d'une obligation d'exploitation exclut la qualification »).
(10) F. Strauss, Comment Truffaut et Godard ont-ils pu être amis ?, Télérama, 13 oct. 2014 ; C. Duguet et A. Guigue, Truffaut-Godard : Scénario d'une rupture, documentaire, Morgane Production, 2015 ; A. Guigue, Truffaut & Godard, CNRS Éditions, 2023.
(11) TJ Paris, 3e ch., 3e sect., 8 févr. 2022, préc.
(12) P. Kamina, préc.
(13) Toujours en cours au jour de la publication du présent art.
(14) A.- E. Kahn, J.-Cl. PLA, fasc. 1437, n° 4 ; Étude du CNT issue du colloque « Sonorisation de spectacle et droits voisins : les démarches en cas d'utilisation d'une musique enregistrée », janv. 2016 ; v., contra, A. Branger, La gratuité en droit d'auteur, thèse, Université Paris-Sarclay, 2018, p. 53-55, n° 51.
(15) V. par ex., Versailles, 22 oct. 2005, n° CT0012 : « Considérant que toute personne dispose sur son image ou sur l'utilisation qui en est faite d'un droit exclusif qui lui permet de s'opposer à sa diffusion sans son autorisation expresse et spéciale ; […] que, dès lors que le droit de l’image revêt les caractéristiques essentielles des attributs d’ordre patrimonial, il peut valablement donner lieu à l’établissement de contrats, soumis au régime général des obligations, entre le cédant, lequel dispose de la maîtrise juridique sur son image, et le cessionnaire, lequel devient titulaire des prérogatives attachées à ce droit […] ».
(16) Com. 7 mai 2019, n° 17-15.621, AJ fam. 2019. 313, obs. S. Paillard : « […] qu'ayant relevé […] que l'article 902 du code civil, selon lequel toutes personnes, sauf celles déclarées incapables, peuvent disposer par donation entre vifs […] n'exclut pas les personnes morales […] ».
(17) Sur la notion de don sur internet, v. not. P.-Y. Gautier, op. cit., n° 532.
(18) V., C. civ., art. 1107, donnant la définition du contrat à titre gratuit.
(19) Civ. 1re, 2 févr. 1970, n° 68-12.873, Bull. civ. I, n° 41, au sujet d'une action en révocation pour ingratitude d'une donation déguisée d'une vente à vil prix : « [La prétendue donatrice] n'établissant pas son intention libérale, ne démontrait pas la simulation alléguée. »
(20) Civ. 1re, 1er oct. 1986, n° 85-13.514 P ; Com. 4 déc. 1990, n° 88-18.566, P ; Civ. 1re, 26 sept. 2012, n° 11-10.960, P, D. 2012. 2308 ; AJDI 2012. 777 ; AJ fam. 2012. 559, obs. C. Vernières.
(21) Civ. 1re, 4 nov. 1981, n° 80-12.255.
(22) H. Capitant, Vocabulaire juridique, 10e éd., PUF, 2014, p. 264.
(23) Ibid.
(24) F. Chabas, H.-L. Mazeaud et J. Mazeaud, Obligations : théorie générale, 9e éd., t. II, LGDJ, 1998, p. 91, n° 100.
(25) Paris, 1er juill. 1998, n°98-19-990, Picasso, RIDA 4/1999. 390.