Une clause de cession de droits de propriété intellectuelle insérée dans un contrat de travail au profit de l'employeur n'encourt pas le grief de cession globale d'œuvres futures dès lors qu'elle ne vise pas globalement les œuvres objet de la cession et qu'elle ne porte pas sur des œuvres futures, mais sur des œuvres réalisées, la cession n'opérant qu'au fur et à mesure de la réalisation.
L'arrêt confirmatif rendu par la Cour d'appel de Paris (pôle 5 - 1re ch.) le 25 janvier 2023 a été particulièrement remarqué. Il statue, en effet, sur une question centrale qui impacte la quasi-totalité de l'industrie de la culture et des médias, alors qu'elle ne fait l'objet que d'une poignée d'arrêts et de quelques pages dans les meilleurs traités de droit d'auteur. Il s'agit de concilier le sacro-saint principe de la prohibition de la cession globale des œuvres futures, posé ...
(1) Ce sujet du droit d'auteur des salariés a fait couler beaucoup d'encre. Outre plusieurs thèses récentes (not. L. Drai, Le droit du travail intellectuel, LGDJ, 2005), v., par ex., J.-Cl. travail, v° Créations de salariés, fasc. 18-26, par G. Blanc-Jouvan, et la longue bibliographie citée ; L. Drai, La création salariée au prisme de la rupture du contrat de travail, Propr. intell. 2007, no 23, p. 167 ; Les créations intellectuelles des salariés, JCP 2021. 1188.
(2) Pour un rappel de la problématique de l'époque, F. Pollaud-Dulian, Ombre et lumière sur le droit d'auteur des salariés, JCP 1999. 150. Et les prises de parole appelant à une réforme du droit d'auteur dans la presse, P. Lantz, C.-H. Dubail, L. Bérard-Quélin et P. Jannet, Vers une réforme du droit d'auteur dans la presse écrite, Légipresse 2008. 157 ; P. Lantz, Presse écrite et droits d'auteur : quelles réformes ?, Légipresse 2008. 167.
(4) Certains appellent ainsi de leurs vœux un véritable régime de la création salariée. V., par ex., M. Vivant, Pour une épure de la propriété intellectuelle, in Mélanges A. Françon, Dalloz, 1995, p. 415 et s., qui propose un statut de la « création de dépendance ».
(5) H. Desbois, Le droit d'auteur en France, 3e éd., Dalloz, 1978, no 537 bis.
(6) A. Lucas, L'énigmatique article L. 131-1 du code la propriété intellectuelle, JCP 2007. 100051.
(7) P.-Y. Gautier avec N. Blanc, Propriété littéraire et artistique, LGDJ, 2021, no 580. Dans un sens différent, A. et H.-J. Lucas, A. Lucas-Schloetter et C. Bernault estiment que, si la prohibition ne devait viser que les clauses concernant toutes les œuvres futures, « le législateur aurait parlé pour ne rien dire, tant l'interdiction serait facile à tourner », in Traité de la propriété littéraire et artistique, 5e éd., LGDJ, 2017, no 760.
(8) Bien entendu le CDD ou le contrat de travail temporaire conduisent à une autre approche, mais ces types de contrats sont dérogatoires – en théorie – et ne se poursuivent pas en principe sur une longue période de temps.
(9) Civ. 1re, 4 févr. 1986, JCP 1987. 20872, note approbative R. Plaisant. Sur cette question dans le domaine de la publicité, C. Bigot, Droit de la création publicitaire, LGDJ, 1997, nos 215 et s.
(11) Paris, pôle 6 - 10e ch., 31 mai 2011, no 08/08703. Arrêt cassé sur des questions de pur droit du travail par Soc. 10 juill. 2013, no 11-22.200, Propr. intell. 2013, no 49, p. 391, obs. Bruguière. M. Vivant et J.-M. Bruguière, in Droits d'auteur et droits voisins, 4e éd., 2019, p. 373, no 327, donnent à cet arrêt une portée importante, mais à vrai dire, cela paraît osé. La Cour de cassation ne statue que sur les moyens qui lui sont soumis, c'est une règle de base, et il n'y en avait aucun sur le terrain de l'art. L. 131-1 CPI. Il eût, en effet, fallu qu'il y ait un pourvoi incident, or ce n'était pas le cas.
(12) Paris, pôle 6 - 7e ch., 8 nov. 2012, no 10/11152. Là encore, arrêt cassé sur un sujet de droit du travail, aucun moyen de cassation fondé sur l'art. L. 131-1 CPI, Soc. 7 janv. 2015, no 13-20.224, CCE 2015. Comm. 31, obs. C. Caron.
(13) Paris, pôle 5 - 1re ch., 6 févr. 2013, n° 11/02408, Légipresse 2013. 266 et les obs. ; ibid. 299, Étude S. Colombet et A. Colombier.
(14) Rennes, 7e ch., 6 nov. 2013, no 12/03297.
(15) Versailles, 21e ch., 21 janv. 2021, no 18/04047, CCE 2021. Comm. 27, obs. P. Kamina.
(16) V. l'ensemble des références, dans la note de C. Caron préc., sous Soc. 7 janv. 2015.
(17) Civ. 1re, 21 nov. 2006, no 05-19.294, D. 2007. 316, obs. P. Allaeys ; RTD com. 2007. 363, obs. F. Pollaud-Dulian ; CCE 2007. Comm. 3, obs. C. Caron.
(18) Soc. 7 janv. 2015, préc. V. égal., dans le même sens, Versailles, 22 févr. 2019, no 17/04881.
(19) En ce sens, G. Blanc-Jouvan, L'auteur salarié : pour une cession automatique encadrée des droits d'auteur au bénéfice de l'employeur, Propr. intell. 2022, no 85, p. 6.
(20) En effet, dans le silence du contrat et au regard du droit du travail, la rémunération est réglée « au travailleur en raison de l'emploi de ce dernier » (C. trav., art. L. 3221-3).
(21) V. les décisions citées par P. Kamina, obs. sous l'arrêt commenté, préc.
(22) Pour prolonger sur ce sujet, G. Blanc-Jouvan, préc. ; C. Caron, L'adaptation du droit d'auteur de la création salariée à l'entreprise, Légicom 2003, no 29, p. 13.
(23) N. Binctin, Droit de la propriété intellectuelle, 7e éd., LGDJ, 2022, no 88.
(24) A. Bensamoun, La titularité des droits patrimoniaux sur une création salariée : du paradis artificiel à l'artifice du paradis, RLDI janv. 2011. 56. V. égal., de la même auteure, Les créations salariées : véritable oxymore du droit d'auteur ?, D. 2014. 2351, là encore, la formulation est élégante.