L'obligation pour les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne, prévue à l'article 17 de la directive 2019/790, de contrôler les contenus téléversés par les utilisateurs, n'est pas contraire à la liberté d'expression et d'information garantie par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Le législateur de l'Union a posé une limite claire et précise aux mesures pouvant être exigées en excluant, en particulier, des mesures filtrant et bloquant des contenus licites lors du téléversement.
L'article 17 de la directive 2019/790(1), qui instaure un régime inédit de responsabilité des grandes plateformes de partage de contenus en ligne au titre du droit d'auteur et des droits voisins susceptibles de protéger ces contenus, est le fruit d’âpres négociations entre intérêts divergents et sensibilités juridiques différentes. À telle enseigne que, le lecteur s'en souvient peut-être, sous son premier nom d'article 13, il faillit ne pas voir le jour, et ne fut sauvé qu'in ...
Cour de Justice de l'Union européenne, 26 avril 2022, Républ. de Pologne c/ Parl. UE et Cons UE
Vincent Varet
Docteur en droit - Avocat au barreau de Paris Varet Près société d'avocats
12 juillet 2022 - Légipresse N°404
6128 mots
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(1) Dir. du 17 avr. 2019 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les dir. 96/9/CE et 2001/29/CE. V. La responsabilité des services de partage en ligne de contenus protégés : une révolution en droit d'auteur ? L'article 17 de la directive (UE) 2019/790 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché numérique, Légipresse 2020. 398 s.
(2) Rappelons que les éditeurs de presse sont venus grossir les rangs des titulaires de droits par l'effet de l'art. 15 dir. 2019/790, qui leur reconnaît un droit exclusif de reproduction et de communication au public visant à leur permettre d'autoriser ou d'interdire l'utilisation en ligne de leurs publications de presse par des fournisseurs de services de la société de l'information.
(3) En invoquant, plus souvent que de raison, la qualité de fournisseur d'hébergement et le régime de responsabilité atténué qui lui est associé.
(4) Il est piquant de constater que la liberté d'expression, instaurée par la DDH pour protéger les citoyens contre l'arbitraire et la censure des États, soit aujourd'hui invoquée par l'un d'entre eux pour contester un texte européen qui lui déplaît – probablement pour des raisons de politique interne. Mais sans doute est-ce l'une des conséquences inévitables de cette « machine à fabriquer des compromis » que constitue l'UE.
(5) Pour une analyse détaillée de ce régime, v. not., P. Sirinelli, Le nouveau régime applicable aux fournisseurs de services de partage de contenus en ligne, Dalloz IP/IT 2019. 288 ; M. Vivant, Une responsabilité ad hoc pour les sites de partage, CCE 2019. Dossier 8, p. 35 ; A. Lucas-Schloetter, L'article 17 de la directive 2019/790 sur la responsabilité des plateformes de partage de contenus culturels : clarification de règles préexistantes ou nouveau régime sui generis, Propr. intell. 2021, no 78, p. 6 ; F. Pollaud-Dulian, Téléversement et responsabilité des prestataires de services de l'internet : encore et toujours l'article 17 de la directive n° 2019/790, RTD com. 2021. 77 ; C. Alleaume, L'article 17 de la directive (UE) 2019/790 : une (fragile) responsabilité des fournisseurs de services de partage en ligne de contenus protégés par un droit d'auteur ou un droit voisin, Légipresse 2019. 530.
(6) Sauf si ce dernier agit à titre commercial ou si son activité de partage de contenus génère des revenus significatifs : dans ces cas, l'internaute doit obtenir auprès des titulaires des droits une autorisation autonome.
(7) Dir. 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur, dite dir. « relative au commerce électronique ».
(8) V., en dernier lieu, postérieur à la dir. mais rendu sous l'empire du droit antérieur, CJUE 22 juin 2021, aff. C-682/18 et C-683/18, YouTube et Cyando.
(9) V. not. CEDH 18 déc. 2012, Ahmet Yildirim c/ Turquie.
(10) V. not. CJUE 8 déc. 2020, aff. C-626/18, Pologne c/ Parl. UE et Cons. UE.
(11) V. infra, concl.
(12) Pt 46 de l'arrêt.
(13) Selon sa propre jurisprudence ; v. not. CJUE 16 juill. 2020, aff. C-311/18, Facebook Ireland et Schrems, D. 2020. 2432, note C. Castets-Renard ; AJ contrat 2020. 436, obs. T. Douville ; Dalloz IP/IT 2020. 640, obs. B. Bertrand et J. Sirinelli ; Rev. crit. DIP 2020. 874, Eclairages A. d'Ornano ; ibid. 2022. 287, étude U. Kohl ; RTD eur. 2021. 175, obs. B. Bertrand ; ibid. 973, obs. F. Benoît-Rohmer .
(14) Pt 73 de l'arrêt, et la Cour de citer, à l'appui de cette affirmation, l'arrêt CEDH 16 juin 2015, n° 64569/09, Delfi AS c/ Estonie, RTD eur. 2016. 341, obs. F. Benoît-Rohmer.
(15) V. infra, II.
(16) V. infra, II.
(17) Elle l'avait déjà utilisé pour affirmer que l'art. 17 respecte le « contenu essentiel » de la liberté d'expression.
(18) Pt 90 de l'arrêt.
(19) Pt 91 de l'arrêt.
(20) V. not., en doctrine, P. Sirinelli, préc. ; F. Pollaud-Dulian, préc. ; M. Vivant, préc.
(21) V. en particulier les pts 80, 85, 86, 90 et 91 de l'arrêt.
(22) V. supra, I.
(23) Concl. de l'avocat général Henrik Saugmandsgaard Øe présentées le 15 juill. 2021 dans l'aff. C-401/19, pt 167 s., pt 171s., et spéc. 197 s.
(24) La responsabilité des services de partage en ligne de contenus protégés : une révolution en droit d'auteur ? Légipresse 2021. 420, obs. V. Varet.
(25) Pt 201 des concl.
(26) Pt 167 des concl., qui évoque une « divergence fondamentale de vues ».
(27) Pt 86 de l'arrêt.
(28) CJUE 3 oct. 2019, aff. C-18/18, Glawischnig-Piesczek c/ Facebook Ireland, Légipresse 2020. 29 et nos obs.
(29) Les concl. de l'avocat général dans l'aff. rapportée, qui cite à plusieurs reprises cette décision, vont en ce sens : il indique que, selon lui, les enseignements de cette dernière dépassent le domaine de la diffamation, la question de l'interdiction d'une obligation générale de surveillance étant transversale – pts 112 et 113, et note 134.