La chambre criminelle de la Cour de cassation approuve l'arrêt ordonnant la confiscation et la destruction de dessins faussement attribués à Modigliani. Elle considère que de telles mesures ont un effet dissuasif et répondent à l'impératif d'intérêt général de lutte contre la contrefaçon. Pour la Cour, la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) soulevée, portant sur les dispositions des alinéas 2 et 3 de l'article L. 335-6 du code de la propriété intellectuelle qui permettent le prononcé de ces sanctions, ne présente pas de caractère sérieux (1re espèce).
À l'inverse, la première chambre civile rejette la demande de destruction d'une contrefaçon d'un tableau de Chagall, estimant qu'une telle mesure serait disproportionnée. Pour la Cour, l'apposition de la mention « reproduction » au dos de l'œuvre litigieuse suffisait à garantir une éviction de ce tableau des circuits commerciaux (2e espèce).
« Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. » À cet article L. 122-4 du code de la propriété intellectuelle, l'article L. 335-3, alinéa 1er, du même code précise : « Est également un délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d'une œuvre de l'esprit en violation des droits de l'auteur tels qu'ils sont ...
Cour de cassation, (ch. crim.), 3 novembre 2021, Monsieur M. Cour de cassation, (1re ch. civ. ), 24 novembre 2021, Consorts M. et a.
Xavier Près
Avocat - Docteur en droit, associé, Varet-Près-Killy, société d'avocats
9 mars 2022 - Légipresse N°400
5176 mots
Veuillez patienter, votre requête est en cours de traitement...
(1) V. sur ce point, spéc. P-Y Gautier, Droit de la propriété littéraire et artistique, LGDJ 2021. 883 ; E. Dreyer, J.-Cl. PLA, v° Contrefaçons et fraudes en matière littéraire et artistique. Éléments constitutifs. Sanctions, fasc. 20, ibid., v° Procédures et sanctions. Contrefaçon. Preuve, compétence et sanctions, fasc. 1611 (CPI, art. L. 332-1 à L. 332-4, L. 335-2 et L. 335-3 ainsi que L. 335-10 à L. 335-18).
(2) Les litiges portaient sur la contrefaçon, non sur les « faux artistiques » sanctionnés sur le fondement de la loi du 9 févr. 1895 sur les fraudes en matière artistique (dite « loi Bardoux »), applicable aux faussaires et aux intermédiaires ayant sciemment participé à des transactions sur les œuvres illicites (professionnels du marché de l'art, experts, galeristes, commissaires-priseurs…) et dont l'une des sanctions prévues est aussi la destruction. Sur tous ces points, v. spéc., F. Duret Robert, Droit du marché de l'art 2020/2021, Dalloz Action, 2020, p. 411 s. V. aussi, D. Gaudel, Droit d'auteur et faux artistiques, RIDA 1/1992. 151 (distinguant ainsi les deux notions : « Traditionnellement, on admet que le délit de faux artistique concerne l'apposition d'une fausse signature sur une œuvre, alors que le délit de contrefaçon consiste à reproduire tout ou partie de la forme matérielle d'une œuvre préexistante »).
(3) Crim. 3 nov. 2021, no 21-81.356, Légipresse 2021. 589 et les obs. ; RTD com. 2021. 952, obs. B. Bouloc.
(4) Civ. 1re, 24 nov. 2021, no 19-19.942, Légipresse 2021. 588 et les obs. ; D. 2021. 2132.
(5) Crim. 11 août 2021, no 21-81.356, préc.
(6) Crim., 30 juin 1976, no 75-93296, concernant déjà la Conv. EDH.
(7) V. sur ce point, les récents travaux du groupe de travail sur le contrôle de conventionnalité de la Cour de cassation, rapport 2020 citant parmi la « multiplication des hypothèses de contestation de la loi nationale au regard des droits fondamentaux » deux exemples en lien avec l'affaire commentée, Civ. 1re, 6 juill. 2017, no 16-18.595 (droit des œuvres de l'esprit, confronté à la liberté de création ou à la liberté d'entreprendre), Légipresse 2017. 361 et les obs. ; ibid. 489, Étude T. Douville ; RTD eur. 2018. 338, obs. A. Jeauneau et Crim. 12 juin 2019, no 18-83.396, Bull. crim. n° 105 (peine de confiscation du patrimoine, confrontée au droit au respect des biens), D. 2019. 1230 ; ibid. 1858, obs. C. Mascala ; AJ pénal 2019. 444, obs. Y. Mayaud, cette dernière décision étant d'autant plus intéressante que la décision sous commentaire concerne également les mesures de confiscation en sus de la destruction d'une œuvre, la première étant souvent le préalable à la seconde.
(8) Les comités d'artistes se sont multipliés ces dernières années, ils ont classiquement pour mission d'assurer, en accord avec l'artiste ou après son décès, la défense et le rayonnement de son œuvre, mais aussi et surtout de délivrer des certificats d'authenticité, v. spéc., V. Huerre, Les enjeux juridiques de l'expertise d'œuvre d'art pour les comités d'artistes, thèse Paris 2 Panthéon-Assas, mars 2021.
(9) La Cour de cassation assimile ainsi un peu rapidement « faux artistique » et « œuvre contrefaisante ». V. sur ce point nos précisions apportées en introduction du présent commentaire, note 2.
(10) TGI Paris, 3e ch., 4e sect., 23 mars 2017, n° 13/00100 (et aussi n° 10/00800, 2e affaire du même jour portant aussi sur un Chagall) avec notre commentaire, Contrefaçon - Chagall dans les prétoires pour faux artistiques, Juris art etc. 2017, p. 6.
(12) Une claire distinction est ainsi opérée entre propriété corporelle et propriété intellectuelle. V. sur ce point, pour plus de détails, « Détruire ou ne pas détruire, une question sans fin », infra. V. toutefois, de manière plus nuancée, O. Wang, Faux Chagall : Pas de destruction de l'œuvre contrefaisante, Dalloz actualité, 8 déc. 2021 (« le moyen semblait en effet confondre l'œuvre de l'esprit et son support, dans la mesure où le fait que l'œuvre soit contrefaisante n'implique aucunement que la propriété du support soit illégitime »).
(13) Faut-il préciser que la vérité, fût-elle judiciaire, est relative, que des erreurs existent et que la notion même de « faux » artistiques a évolué au fil des siècles, ainsi que cela a été observé, J.-C. Marin, Le faux en art, colloque (discours inaugural), Cour de cassation, colloque du 17 nov. 2017 (« À cet égard, il est intéressant de noter que des chefs-d'œuvre de la sculpture grecque sont aujourd'hui admirés à travers des copies romaines, dont beaucoup avaient été vendues aux patriciens romains comme des œuvres authentiques »).
(14) Crim. 11 août 2021, préc.
(15) V. supra, Détruire ou ne pas détruire, une question relevant de l'appréciation souveraine des juges du fond.
(16) V. s'agissant de la consécration par la CEDH de la propriété intellectuelle comme un droit fondamental, CEDH 5 juill. 2005, no 28743/03, Melnychouk c/ Ukraine, et surtout CEDH 11 oct. 2005, no 73049/01, Anheuser-Busch Inc. c/ Portugal, § 43 et CEDH 11 janv. 2007, no 73049/01, Anheuser-Busch Inc. c/ Portugal, § 66, RTD eur. 2008. 405, chron. J. Schmidt-Szalewski ; JCP E 2007. 1409 (la Cour ayant observé que « la propriété intellectuelle en tant que telle bénéficie sans conteste de la protection de l'article 1 du Protocole no 1 »). Et s'agissant de la reconnaissance de la valeur constitutionnelle de la propriété intellectuelle, d'abord, Cons. const. 16 janv. 1982, no 81-132 DC, consid. 16 : Juris-Data no 1982-300012, reconnaissant ainsi la valeur constitutionnelle du droit de propriété et observant que ce droit a fait l'objet depuis 1789 d'« une notable extension de son champ d'application à des domaines individuels nouveaux ». Puis pour son extension, comme domaine nouveau, à la propriété littéraire et artistique les premières décisions de 2006 et 2009, v. not., Cons. const. 27 juill. 2006, no 2006-540 DC, D. 2006. 2157, chron. C. Castets-Renard ; ibid. 2878, chron. X. Magnon ; ibid. 2007. 1166, obs. V. Bernaud, L. Gay et C. Severino ; RTD civ. 2006. 791, obs. T. Revet ; ibid. 2007. 80, obs. R. Encinas de Munagorri ; 10 juin 2009, no 2009-580 DC, AJDA 2009. 1132 ; D. 2009. 1770, point de vue J.-M. Bruguière ; ibid. 2045, point de vue L. Marino ; ibid. 2010. 1508, obs. V. Bernaud et L. Gay ; ibid. 1966, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny-Goy ; Dr. soc. 2010. 267, chron. J.-E. Ray ; RFDA 2009. 1269, chron. T. Rambaud et A. Roblot-Troizier ; Constitutions 2010. 97, obs. H. Périnet-Marquet ; ibid. 293, obs. D. de Bellescize ; RSC 2009. 609, obs. J. Francillon ; ibid. 2010. 209, obs. B. de Lamy ; ibid. 415, étude A. Cappello ; RTD civ. 2009. 754, obs. T. Revet ; ibid. 756, obs. T. Revet ; RTD com. 2009. 730, étude F. Pollaud-Dulian ; 22 oct. 2009, no 2009-590 DC, D. 2010. 1508, obs. V. Bernaud et L. Gay ; Constitutions 2010. 293, obs. D. de Bellescize ; RSC 2010. 214, obs. B. de Lamy ; RTD com. 2009. 730, étude F. Pollaud-Dulian.
(17) E. Dreyer, Contrefaçons et fraudes en matière littéraire et artistique, op. cit., citant en ce sens Com. 24 sept. 2003, no 01-11.504, D. 2003. 2683, et les obs., note C. Caron ; ibid. 2762, obs. P. Sirinelli ; RTD civ. 2003. 703, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid. 2004. 117, obs. T. Revet ; RTD com. 2004. 284, obs. F. Pollaud-Dulian ; ibid. 304, obs. J.-C. Galloux ; Juris-Data no 2003-020229.
(18) V. les développements précédents sur la « détention illicite »n, § 1.B, supra.
(19) 25 % seulement des QPC posées à la Cour de cassation sont renvoyées au Conseil constitutionnel, le taux étant encore plus bas pour la chambre criminelle selon le Bilan quantitatif et qualitatif de la QPC conduit par le groupe de travail commun au Conseil d'État et à la Cour de cassation sur la question prioritaire de constitutionnalité, du 16 mai 2018.
(20) Crim. 3 déc. 2019, no 19-90.033, Légipresse 2020. 15 et les obs.
(21) CPI, art. L. 335-3, al. 2.
(22) CPI, art. L. 335-2.
(23) Crim. 9 mars 2021, no 20-90.034.
(24) V. encore, par exemple, TGI Paris, 31e ch. corr., 19 déc. 2014 (refus de transmission de la QPC, soulevée dans l'affaire des reproductions en bronze de La Vague de Camille Claudel, portant sur la conformité des articles du CPI réprimant l'atteinte aux droits moraux de l'auteur au principe de la légalité des délits et des peines).