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Communication numérique
/ Décryptages
20/12/2021
Précisions sur le contrôle par le CSA de l'accès des mineurs aux sites pornographiques
Le décret n° 2021-1306 du 7 octobre 2021 précise les conditions d'application du dispositif d'intervention dévolu au Conseil supérieur de l'audiovisuel (et à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique à partir du 1er janvier prochain), en vertu de l'article 23 loi sur les violences conjugales du 30 juillet 2020, à l'égard des éditeurs de service de communication au public en ligne qui permettent à des mineurs d'avoir accès à un contenu pornographique, en violation de l'article 227-24 du code pénal. Le président du Tribunal judiciaire de Paris est alors saisi par le régulateur, après mise en demeure d'avoir à restreindre l'accès à des sites permettant la consultation de tels contenus.
1. – La loi no 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales comporte, comme son nom ne l'annonce pas, un chapitre consacré à la protection des mineurs. Il en est résulté plusieurs modifications du code pénal et du code de procédure pénale. Il en résulte également un article 23 qui n'est pas intégré ailleurs, et notamment pas dans la loi no 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, ou dans la loi no 2004-575 ...
Emmanuel DREYER
Professeur à l'Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris 1)
20 décembre 2021 - Légipresse N°398
4338 mots
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(1) En réalité, son président peut, d'une manière générale, agir en justice au nom de l'État pour l'accomplissement des missions confiées au CSA (Loi de 1986, art. 20). La solution n'a donc rien d'étonnant (v. aussi, P. Kamina, Droit de la communication audiovisuelle, LGDJ, 2021, p. 119, no 161).
(2) Par ailleurs, le CSA ne peut relever un fournisseur d'hébergement de son obligation de secret professionnel pour lui faire révéler le nom de la personne qui édite à titre non professionnel un site sur lequel des contenus pornographiques seraient accessibles sans restriction. Lui aussi est contraint de passer par l'autorité judiciaire (LCEN, art. 6, III, 2).
(3) L'éditeur n'a pas à être mis en cause puisque, à ce stade, il ne lui est plus rien demandé. Tout au plus, le CSA doit-il pouvoir justifier devant le juge d'une mise en demeure infructueuse. La logique voudrait tout de même que l'éditeur, qui conteste la décision prise d'empêcher l'accès à son site, dispose d'un droit de recours. Il faut lui reconnaître la possibilité de demander au juge même qui a pris la décision de rétracter celle-ci dès lors que les précautions prises pour limiter l'accès des mineurs paraissent suffisantes. On ne saurait soutenir, en effet, que l'éditeur a été suffisamment défendu par des fournisseurs d'accès qui se sont contentés de rappeler leur neutralité par rapport aux contenus.
(4) Par ailleurs, l'information donnée au procureur de la République ne devrait être ici qu'une confirmation car, dès qu'il constate l'infraction de l'art. 227-24 c. pén., le CSA est censé l'informer « sans délai » (C. pr. pén., art. 40, al. 2).
(5) Désormais, le président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond (et non plus en référé ou même, simplement, sur requête), peut prescrire « à toute personne susceptible d'y contribuer » toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d'un service de communication au public en ligne. L'action n'a plus à être dirigée à titre principal contre les fournisseurs d'hébergement et à titre subsidiaire contre les fournisseurs d'accès, ce qui relativise l'échec récent de deux associations de défense de l'enfance ayant assigné directement des fournisseurs d'accès pour leur demander en référé d'empêcher le trafic vers des sites pornographiques (TJ Paris, 8 oct. 2021, no 21/56149, Légipresse 2021. 517 et les obs.).
(6) Cette référence à l'art. 227-24 c. pén. paraît d'autant plus discutable que seul l'un des contenus a priori dangereux pour les mineurs, qu'il énumère, est visé : les sites comportant des messages à caractère violent, incitant au terrorisme, ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine ou à inciter des mineurs à se livrer à des jeux les mettant physiquement en danger, ne sont pas concernés (comp. E. Dreyer, Droit pénal spécial, LGDJ, 2020, p. 774, no 1434).
(7) Utiliser la menace de telles peines pour inciter les pornographes à se mettre en conformité paraît douteux (3 ans d'emprisonnement et 75 000 € d'amende contre une personne physique ou 5 fois ce montant contre une personne morale). C'est faire de la communication sur le dos du juge pénal en finissant par discréditer son action si aucune poursuite n'est engagée ou si les poursuites engagées aboutissent au prononcé de peines sans rapport avec ce qui a été annoncé.
(8) Il ne suffirait pas qu'un éditeur double la formalité de l'attestation sur l'honneur d'une information spécialement adressée aux mineurs les mettant en garde contre une exposition importante aux contenus pornographiques. Ce dispositif destiné à les dissuader d'entrer ne pourrait suffire dès lors qu'il laisse les mineurs libres de désobéir. Ici, il s'agit de les protéger de leurs propres tentations.
(9) On se souvient que le Conseil a jugé excessif le pouvoir d'empêcher l'accès à internet reconnu à cette autorité publique indépendante pour la défense des droits d'auteur et des droits voisins (Cons. const. 10 juin 2009, no 2009-580 DC, § 16, AJDA 2009. 1132 ; D. 2009. 1770, point de vue J.-M. Bruguière ; ibid. 2045, point de vue L. Marino ; ibid. 2010. 1508, obs. V. Bernaud et L. Gay ; ibid. 1966, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny-Goy ; Dr. soc. 2010. 267, chron. J.-E. Ray ; RFDA 2009. 1269, chron. T. Rambaud et A. Roblot-Troizier ; Constitutions 2010. 97, obs. H. Périnet-Marquet ; ibid. 293, obs. D. de Bellescize ; RSC 2009. 609, obs. J. Francillon ; ibid. 2010. 209, obs. B. de Lamy ; ibid. 415, étude A. Cappello ; RTD civ. 2009. 754, obs. T. Revet ; ibid. 756, obs. T. Revet ; RTD com. 2009. 730, étude F. Pollaud-Dulian).
(10) Dès lors que l'on admet la correspondance entre le nom de domaine et l'adresse IP du serveur sur lequel est enregistré un site, bloquer le nom empêche nécessairement l'accès au site puisque l'adresse IP du serveur ne peut plus être activée. Il est demandé ici aux fournisseurs d'accès de modifier ce lien afin de rediriger le trafic vers une page d'information propre au CSA.
(11) V., déjà, Décr. no 2011-2122 du 30 déc. 2011 relatif aux modalités d'arrêt de l'accès à une activité d'offre de paris ou de jeux d'argent et de hasard en ligne non autorisée, art. 1er ; v. aussi Décr. no 2015-125 du 5 févr. 2015 relatif au blocage des sites provoquant à des actes de terrorisme ou en faisant l'apologie et des sites diffusant des images et représentations de mineurs à caractère pornographique, art. 3, al. 4. Sur tout ceci, v. E. Dreyer, Droit de la communication, LexisNexis, 2018, p. 1093, no 1971.