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Communication numérique
/ Chroniques et opinions
17/10/2021
Lutte contre les discours de haine et les contenus illicites en ligne dans la loi du 24 août 2021 : de nouvelles obligations pour les plateformes sous le contrôle du CSA
La loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République comprend, dans son chapitre IV, un large volet visant à lutter contre les discours de haine et les contenus illicites en ligne. Anticipant la transposition du futur Digital Services Act européen (DSA), le législateur a créé un article 6-4 dans la loi pour la confiance en l'économie numérique (LCEN) du 21 juin 2004. Celui-ci impose aux plateformes de partage de contenus, réseaux sociaux et moteurs de recherche, de nouvelles obligations : alors que certaines sont de simples obligations d'information ou de transparence, d'autres tendent à responsabiliser les opérateurs de plateforme dans l'usage que les utilisateurs font de leurs services, et les tiers dans l'usage des facultés de signalement qui doivent leur être proposées. La loi octroie en outre au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) des pouvoirs de supervision de ces processus de modération mis à la charge des plateformes (nouvel art. 62 de la loi du 30 sept. 1986 modifiée). En cas de non-respect de ces nouvelles obligations par les opérateurs, le CSA pourra prononcer des sanctions financières allant jusqu'à 20 millions d'euros ou 6 % du chiffre d'affaires mondial. La question se pose de savoir si cette promotion du régulateur et cette éviction du juge répressif suffisent à garantir la constitutionnalité du nouveau dispositif.
1. – La loi no 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République consacre un chapitre entier aux « dispositions relatives à la lutte contre les discours de haine et les contenus illicites en ligne ». Elle ajoute dans le code pénal un délit de mise en danger d'autrui (art. 223-1-1), modifie le code de procédure pénale pour permettre le recours aux procédures accélérées (comparution immédiate, comparution différée et convocation par ...
Emmanuel DREYER
Professeur à l'Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris 1)
17 octobre 2021 - Légipresse N°396
8152 mots
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(1) V., avançant quelques données statistiques, Rapport AN no 3797 du 25 janv. 2021 sur le projet de loi confortant le respect des principes de la République, p. 165.
(2) V., E. Dreyer, Présentation de la proposition de loi Avia, Légipresse 2020, HS#63. 13 ; Cons. const. 18 juin 2020, no 2020-801 DC, §§ 14 et s., Légipresse 2020. 336 et les obs. ; Légipresse 2020. 412, note E. Dreyer ; ibid. 2021. 240, étude N. Mallet-Poujol ; ibid. 291, étude N. Mallet-Poujol ; AJDA 2020. 1265 ; D. 2020. 1297, et les obs. ; ibid. 1448, entretien C. Bigot ; AJ pénal 2020. 407, note N. Droin ; Dalloz IP/IT 2020. 542, étude F. Potier ; ibid. 577, obs. B. Bertrand et J. Sirinelli.
(3) V., CE, ass., gén., avis, 3 déc. 2021, no 401549, sur un projet de loi confortant le respect, par tous, des principes de la République ; Étude d'impact du 8 déc. 2020. En revanche, la CNCDH a recommandé de différer l'adoption des dispositions étudiées ici dans l'attente de l'aboutissement des projets européens de Digital Services Act et de Digital Markets Act : Avis sur le projet de loi confortant le respect des principes de la République (A-2021-1), 28 janv. 2021, AJDA 2021. 270, chron. C. Malverti et C. Beaufils
(4) Rapport AN no 3797 du 25 janv. 2021, préc., p. 183 ; v. aussi Rapport Sénat no 454 du 18 mars 2021 sur le projet de loi confortant le respect des principes de la République, p. 20 et 176.
(5) Cons. const. 13 août 2021, no 2021-823 DC, § 85, Légipresse 2021. 393 et les obs. ; AJDA 2021. 1656 ; D. 2021. 1543, obs. C. const. ; AJ fam. 2021. 451, obs. Flore Capelier.
(6) Texte présenté par la Commission le 15 déc. 2020, actuellement en discussion.
(7) Ce « concours », on le sait, passe déjà par la mise à disposition des internautes d'une possibilité de signalement, ainsi que par une obligation de transparence quant aux moyens mis en œuvre à ce titre et par l'obligation d'informer les autorités publiques compétentes des contenus ainsi signalés, sous la menace de sanctions pénales (LCEN, art. 6-VI, 1). En revanche, l'obligation de blocage ou retrait des contenus litigieux, après signalement, n'est pas efficacement sanctionnée (v. E. Dreyer, Droit de la communication, LexisNexis, 2018, nos 670 et s.).
(8) La rédaction actuelle de ce texte remonte à la loi no 2016-1321 du 7 oct. 2016 pour une République numérique qui met formellement à la charge des plateformes une obligation d'information loyale, claire et transparente des consommateurs sur certaines caractéristiques de leurs services. Une définition des opérateurs de plateforme en ligne a été élaborée dans ce cadre qui trouverait bien mieux sa place dans la LCEN puisque le législateur lui reconnaît une portée générale (v. déjà, E. Dreyer, Fausse bonne nouvelle : la loi du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l'information, Légipresse 2019. 19 ; Légicom 2019. 75).
(9) V., suggérant d'exclure les moteurs de recherche du champ d'application de la loi, Rapport Sénat no 454 du 18 mars 2021, préc., p. 21 et 177.
(10) Rapport AN no 4239 du 9 juin 2021 sur le projet de loi confortant le respect des principes de la République et de lutte contre le séparatisme, t. 1, p. 91.
(11) Rapport Sénat no 454 du 18 mars 2021, préc., p. 178.
(12) La proposition de règlement relatif à un marché intérieur des services numériques se contente, elle, d'exclure de son champ d'application les micro-entreprises et les « petites entreprises » au sens du droit européen (art. 16).
(13) Rapport AN no 4239 du 9 juin 2021, préc., p. 89.
(14) V. Rapport Sénat no 454 du 18 mars 2021, préc., p. 177.
(15) Ce double statut est beaucoup mieux énoncé dans la proposition de règlement européen relatif à un marché intérieur des services numériques, art. 14 et s.
(16) Le statut de « tiers de confiance » (« signaleur de confiance » dans la proposition de règlement européen, art. 19) est une des grandes innovations de la loi. Il est attribué, selon des modalités fixées par le CSA, « dans des conditions transparentes, non discriminatoires et à leur demande, aux entités qui disposent d'une expertise et de compétences particulières aux fins de la détection, de l'identification et du signalement des contenus [haineux], qui représentent des intérêts collectifs et qui présentent des garanties de diligence et d'objectivité ». Un traitement prioritaire doit être réservé aux signalements émanant de ces tiers compte tenu des compétences dont ils disposent. Non seulement, les opérateurs de plateforme gagnent là en expertise mais le dispositif lui-même gagne en légitimité. Cela équivaut à associer la société civile à cette opération de nettoyage. On imagine que les associations, visées aux articles 48-1 et suivants de la loi du 29 juillet 1881, habilitées pour exercer les droits reconnus à la partie civile dans les poursuites engagées à raison de la publication de contenus haineux, seront principalement concernées (v., aussi, évoquant le Fonds pour le civisme en ligne de Facebook, Rapport AN no 4239 du 9 juin 2021, préc., p. 92). L'idée de censure privée est ainsi atténuée par ce regard extérieur qui est là pour rappeler qu'il s'agit, en réalité, moins de faire respecter les conditions générales d'utilisation d'un service déterminé, que les termes mêmes de la loi.
(17) Toutefois, cette obligation d'information ne s'applique pas lorsqu'une autorité publique le demande pour des raisons d'ordre public ou à des fins de prévention et de détection des infractions pénales ainsi qu'à des fins d'enquêtes et de poursuites. Le secret reste gage d'efficacité dans l'esprit des parlementaires (Rapport Sénat no 454 du 18 mars 2021, préc., p. 179).
(18) Rappelons que, dans sa décision no 2020-801 DC du 18 juin 2020, préc., le Conseil a jugé que : « En l'état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu'à l'importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l'expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d'accéder à ces services et de s'y exprimer » (§ 4). Une telle affirmation peut sembler contestable car il existe une pluralité de plateformes et non une plateforme unique, en situation de monopole, à laquelle il faudrait garantir l'accès. Ce motif impose au législateur de marcher sur des œufs.
(19) Ce seuil n'a pas été évoqué lors des discussions parlementaires. En revanche, la proposition de règlement européen qualifie de « très grandes plateformes » (soumise à un régime du même ordre) les « plateformes en ligne fournissant leurs services à un nombre mensuel moyen de bénéficiaires actifs du service au sein de l'Union égal ou supérieur à 45 millions » (art. 25).
(20) Le CSA est également chargé de promouvoir l'adoption par les services de plateforme de partage de vidéos des chartes prévues à l'article 4 de la loi no 2020-1266 du 19 oct. 2020 visant à encadrer l'exploitation commerciale de l'image d'enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne (art. 15-1). Par ailleurs, en vertu de l'art. 17-1, al. 2, de la loi du 30 sept. 1986, le CSA peut être saisi de tout différend entre un utilisateur et un fournisseur de plateforme de partage de vidéos relatif à l'application de l'article 60 évoqué ci-dessus.
(21) Idem, en matière environnementale, où le CSA doit encourager l'adoption de codes de bonne conduite sectoriels et transversaux, appelés « contrats climat », pour permettre de réduire les publicités relatives à des biens et services ayant un impact négatif sur l'environnement (art. 14, al. 5).
(22) En réalité, cette explication donnée lors des débats parlementaires n'apparaît guère satisfaisante : c'est l'application de la plupart des dispositions de la loi nouvelle qui sera tenue en échec par l'entrée en vigueur du règlement européen si elles en contredisent les prévisions.
(23) Le CSA devra lui-même publier chaque année un bilan de l'application de ces dispositions.
(24) Pour mémoire, on rappellera qu'en vertu de l'article 19-I, 1°, de la loi du 30 sept. 1986 le CSA peut recueillir, « sans que puissent lui être opposées d'autres limitations que celles qui résultent du libre exercice de l'activité des partis et groupements politiques mentionnés à l'article 4 de la Constitution », auprès des plateformes de partage de vidéos ainsi que des opérateurs de plateforme en ligne, « toutes les informations nécessaires pour s'assurer du respect des obligations qui sont imposées à ces derniers ».
(25) Toutefois, le montant de la sanction prononcée en cas de refus de communiquer les informations demandées par le régulateur, ou en cas de communication d'informations fausses ou trompeuses, ne peut excéder 1 % du chiffre d'affaires annuel mondial total de l'exercice précédent.
(26) V., toutefois, R. Le Gunehec, Lutte contre les abus de la liberté d'expression en ligne, la simplicité et le juge, Légipresse 2020. 423.