La directive sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique, dite « DAMUN »[[note:1]], du 17 avril 2019, modifie en profondeur l'utilisation sur les plateformes contributives des œuvres protégées par le droit d'auteur et autres objets relevant des droits voisins. En effet, l'article 17 oblige ces intermédiaires, sur la base des informations adressées par les titulaires, à empêcher ou supprimer le téléchargement de certains contenus non autorisés afin d'échapper à leur responsabilité. Mais ce filtrage des contenus, à l'aide d'outils informatiques, est-il compatible avec la liberté d'expression et d'information des utilisateurs de ces services de partage ? Comment assurer un juste équilibre entre les droits de propriété des titulaires et l'intérêt du public à la libre circulation de l'information ?
Le délai de transposition de la directive DAMUN a expiré le 7 juin 2021, jour du colloque que j'ai eu le plaisir d'organiser avec Jérôme Huet. On ne pouvait rêver meilleure date pour cette rencontre, le jour où tout est fixé, où les États membres doivent s'être appropriés la norme européenne, dans une démarche d'harmonisation du droit… Pourtant, ce texte récent a déjà connu une histoire mouvementée et celle-ci s'écrit encore. Elle débute par un rapport français au Conseil ...
Alexandra Bensamoun
Professeure de droit privé Université Paris-Saclay (Évry)
27 septembre 2021 - Légipresse N°395
3670 mots
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(1) Dir. UE no 2019/790 du 17 avr. 2019 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE, sur laquelle v. not., V.-L. Benabou, La directive droit d'auteur dans le marché unique numérique ou le pendule du sourcier, JCP 2019. 693 ; E. Treppoz, Premiers regards sur la directive droit d'auteur dans le marché numérique, JCP A juill. 2019. 1343 ; F. Pollaud-Dulian, Le droit d'auteur et les droits voisins en demi-teinte dans le marché numérique, RTD com. 2019. 648.
(2) P. Sirinelli, J.-A. Benazeraf et A. Bensamoun, Rapport de la mission « Articulation des directives 2000/31 et 2001/29 », CSPLA, nov. 2015.
(3) COM(2016) 593 final.
(4) F. Pollaud-Dulian, Téléversement et responsabilité des prestataires de services de l'internet : encore et toujours l'article 17 de la directive no 2019/790, RTD com. 2021. 77 ; M. Vivant, Une responsabilité ad hoc pour les sites de partage (commentaire de l'article 17 de la directive), CCE oct. 2019. Dossier 8 ; P. Sirinelli, Le nouveau régime applicable aux fournisseurs de services de partage de contenus en ligne, Dalloz IP/IT 2019. 288 ; C. Alleaume, L'article 17 de la directive (UE) 2019/790 : une (fragile) responsabilité des fournisseurs de service de partage en ligne de contenus protégés par un droit d'auteur ou un droit voisin, Légipresse 2019. 530 ; A. Bensamoun, L'article 17 de la directive “Digital Single Market” ou comment la légitimité d'un droit se pare des atours de la valse… in La légitimité de la propriété intellectuelle, Légipresse, hors-série no 62, janv. 2020, p. 89.
(5) C. Caron, La miraculée du droit d'auteur, CCE 2019. Repère 5.
(6) Communication de la Commission, Guidance on Article 17 of Directive 2019/790 on Copyright in the Digital Single Market, COM(2021) 288 final.
(7) V. en ce sens la définition donnée à l'article 2, 6) du fournisseur de services de partage de contenus en ligne : « Le fournisseur d'un service de la société de l'information dont l'objectif principal ou l'un des objectifs principaux est de stocker et de donner au public l'accès à une quantité importante d'œuvres protégées par le droit d'auteur ou d'autres objets protégés qui ont été téléversés par ses utilisateurs, qu'il organise et promeut à des fins lucratives » (nous soulignons).
(8) Comp. CJUE, gr. ch., 22 juin 2021, YouTube et Cyando, aff. jtes C-682/18 et C-683/18, qui considère, sur le fondement du droit antérieur à la directive, que les plateformes de partage de contenus ne réalisent pas d'acte de communication au public par la simple mise à disposition de l'infrastructure.
(9) Art. L. 137-3, I : « […] sans préjudice des autorisations qu'il doit obtenir au titre du droit de reproduction pour les reproductions desdites œuvres qu'il effectue ».
(10) Civ. 1re, 12 juill. 2012, n° 11-13.666, Google France (Sté) c/ Bac films (Sté), D. 2012. 2075, note C. Castets-Renard ; ibid. 2071, concl. C. Petit ; ibid. 2343, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny ; ibid. 2836, obs. P. Sirinelli ; Légipresse 2012. 480 et les obs. ; ibid. 566, comm. P. Allaeys ; RTD com. 2012. 771, obs. F. Pollaud-Dulian ; RIDA 2012. 565 et 433, obs. P. Sirinelli.
(11) Pour une présentation précise des technologies et des usages, v. les rapports du CSPLA : J.-P. Mochon et S. Humbert, Vers une application effective du droit d'auteur sur les plateformes numériques de partage : état de l'art et propositions sur les outils de reconnaissance des contenus, janv. 2020 ; J.-P. Mochon et A. Goin, Les outils de reconnaissance de contenus sur les plateformes de partage : propositions pour la mise en œuvre de l'article 17 de la directive sur le droit d'auteur dans le marché unique numérique, janv. 2021 (disponibles en ligne, sur le site du ministère de la Culture/CSPLA).
(12) V. art. 17, § 9. – Le nouveau régime prévoit la garantie du bénéfice des exceptions, par un mécanisme de plainte directement auprès des fournisseurs, et de recours extra-judiciaire, confié en France à l'Hadopi, future ARCOM (v. projet de loi relatif à la régulation et à la protection de l'accès aux œuvres culturelles à l'ère numérique ; CMP, séance publique prévue le 21 sept. 2021), sans préjudice d'un éventuel recours judiciaire.
(13) Manifestant son opposition à cette nuance : av. gén. H. Saugmandsgaard Øe, concl. du 15 juill. 2021, Pologne contre Parlement et Conseil, aff. C-401/19, pt 229.
(14) Concl. du 15 juill. 2021 préc., pts 42 et s.
(15) Pour une analyse plus détaillée des arguments, v. A. Bensamoun, L'article 17 de la directive 2019/790 ou le retour à l'opposabilité des droits : une mesure d'équilibre en équilibre…, RIDA avr. 2020. 69.
(16) Pts 57 et s.
(17) Pt 113.
(18) Pt 80.
(19) Pts 92 et s.
(20) Pts 132 et s.
(21) Pts 149 et s.
(22) Pts 158 et s.
(23) La Commission l'indique d'ailleurs clairement dans ses lignes directrices : « L'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne dans l'affaire C-401/192 aura des répercussions sur la mise en œuvre de l'article 17 par les États membres et sur les orientations. Les orientations devront peut-être être revues à la suite de cet arrêt ».