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Accueil > Infractions de presse > #BalanceTonPorc : l’action en diffamation visant la journaliste Sandra Muller est rejetée en appel - Infractions de presse

Diffamation
/ Jurisprudence


01/04/2021


#BalanceTonPorc : l’action en diffamation visant la journaliste Sandra Muller est rejetée en appel



Cour d'appel, Paris, (pôle 2 - ch. 7), 31 mars 2021, Sandra M. et a. c/ Eric B.
 

Quelques jours après les révélations dans la presse américaine, en 2017, de ce qui allait devenir « l’affaire Weinstein », la journaliste française Sandra Muller, qui édite La lettre de l’audiovisuel, a mis en ligne sur le compte Twitter de la publication le message suivant : « #balancetonporc !! toi aussi raconte en donnant le nom et les détails un harcèlement sexuel que tu as connu dans ton boulot. Je vous attends ». Le même jour, elle a posté un nouveau message : « « Tu as de gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit » Eric Brion ex patron de Equidia #balancetonporc ». L’intéressé a assigné en diffamation l’initiatrice du -devenu célèbre- hashtag ainsi que sa société éditrice. Le tribunal a jugé que les propos étaient diffamatoires. Il n’a admis ni l’exception de vérité, en l’absence de jugement pénal définitif condamnant Eric Brion pour harcèlement sexuel envers la journaliste, ni l’excuse de bonne foi. Les juges ont estimé que bien que les propos relevaient d’un sujet d’intérêt général, Sandra Muller avait manqué de prudence dans son tweet, en employant des termes virulents pour qualifier le demandeur, lequel était dans ce contexte assimilé au producteur Harvey Weinstein, et que les propos litigieux avaient dégénéré en des attaques personnelles. La journaliste a fait appel.

La cour d’appel confirme tout d’abord que les propos présentaient un caractère diffamatoire. Elle considère que le hashtag #balancetonporc créé par Sandra Muller vise à dénoncer le harcèlement sexuel au sens général (et pas uniquement les faits réprimés par le code pénal ou le code du travail), dans un cadre professionnel mais sans nécessité d’un lien de subordination, à savoir tous les comportements à connotation sexuelle, par paroles ou actes, non consentis et de nature à porter atteinte à la dignité des femmes. Ce fait de harcèlement sexuel au sens commun qu’impute Sandra Muller à Eric Brion est attentatoire à l’honneur ou à la considération, dans la mesure où il est contraire aux règles morales communément admises dans la société française.

Puis la cour écarte l’offre de preuve rapportée par l’appelante. En effet, les documents produits par Sandra Muller (réponse d’Eric Brion à son tweet, réaction d’un consultant en communication ayant travaillé avec celui-ci) sont insuffisants pour rapporter la preuve parfaite du fait imputé à l’intéressé, et ceux qui ont été produits ultérieurement ne peuvent pas être examinés au titre de la vérité des faits.

Sur la bonne foi, la cour note que les propos poursuivis s’inscrivent bien dans le cadre d’un débat d’intérêt général, dès lors qu’ils visent à dénoncer les comportements à connotation sexuelle et non consentis de certains hommes vis à vis des femmes. Il apparaît que les mouvements #balancetonporc et #MeToo ont été très suivis, ont été salués par diverses autorités ou personnalités et ont contribué à libérer la parole des femmes, leur limite étant que celles-ci ne dénoncent pas des hommes inconsidérément sur les réseaux sociaux en proférant des accusations mensongères à leur égard. La cour relève ensuite, s’agissant de la base factuelle, que l’appelante rapportait diverses publications écrites par l’intimé, postérieures à son tweet, dans lequel il s’exprimait sur la présente affaire. Les juges énoncent que si la règle générale est que lorsqu’une personne s’exprime, elle doit disposer dès ce moment-là des éléments suffisants lui permettant de le faire, il en va différemment au cas présent où les propos allégués n’ont pas été tenus en présence de tiers et où les explications ultérieurement données par l’intimé confirment au moins pour partie les déclarations de la journaliste. Les propos poursuivis s’inscrivaient ainsi dans un débat d’intérêt général et reposaient sur une base factuelle suffisante. Par ailleurs, l’animosité personnelle de la journaliste envers Eric Brion n’est pas établie en l’espèce. Si les termes « balance » et « porc » peuvent apparaître assez violents, ils demeurent cependant suffisamment prudents, selon la cour. Même si Eric Brion a pu souffrir d’être le premier homme dénoncé sous le hashtag #balancetonporc, le bénéfice de la bonne foi doit être reconnu à Sandra Muller.

La cour d’appel conclut que le prononcé d’une condamnation, même seulement civile, porterait une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression et serait de nature à emporter un effet dissuasif pour l’exercice de cette liberté. Le jugement est donc infirmé. Eric Brion et son conseil ont indiqué qu'ils envisageaient de se pourvoir en cassation.

1er avril 2021 - Légipresse N°392
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