« Morte née », « vidée de sa substance », « explosion à l'envol »… les qualificatifs ne manquent pas pour formuler l'ampleur de la censure de la loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dite « Loi Avia », par le Conseil constitutionnel. Nous publions dans ce numéro une analyse critique de cette décision, ainsi que deux articles qui envisagent l'avenir de la répression des contenus haineux sur internet après cette censure.
Légiférer, c'est prendre des risques. Il en va a fortiori ainsi dans le champ d'une liberté fondamentale, lorsqu'il s'agit d'en prévenir et sanctionner les abus. Une députée courageuse vient de l'apprendre à ses dépens : on ne touche qu'en tremblant à la liberté d'expression. Il faut même que la main tremble tellement qu'elle ne parvienne plus à fixer le trait de ce qui est permis ou interdit afin de garantir l'exercice le plus large possible de cette liberté. Voilà, sommairement ...
Emmanuel DREYER
Professeur à l'Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris 1)
27 août 2020 - Légipresse N°384
5463 mots
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(1) Seul écho dans la décision à la modernité des réseaux, le rappel de ce que « en l'état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu'à l'importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l'expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d'accéder à ces services et de s'y exprimer » (§ 4. V. déjà, Cons. const. 10 juin 2009, no 2009-580 DC, Loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, § 12, AJDA 2009. 1132 ; D. 2009. 1770, point de vue J.-M. Bruguière ; ibid. 2045, point de vue L. Marino ; ibid. 2010. 1508, obs. V. Bernaud et L. Gay ; ibid. 1966, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny-Goy ; Dr. soc. 2010. 267, chron. J.-E. Ray ; RFDA 2009. 1269, chron. T. Rambaud et A. Roblot-Troizier ; Constitutions 2010. 97, obs. H. Périnet-Marquet ; ibid. 293, obs. D. de Bellescize ; RSC 2009. 609, obs. J. Francillon ; ibid. 2010. 209, obs. B. de Lamy ; ibid. 415, étude A. Cappello ; RTD civ. 2009. 754, obs. T. Revet ; ibid. 756, obs. T. Revet ; RTD com. 2009. 730, étude F. Pollaud-Dulian). Ce droit est rappelé sans limite, à charge pour le législateur d'encadrer son exercice sous le contrôle d'un Conseil constitutionnel particulièrement scrupuleux : ce droit n'est donc pas contrebalancé par des principes de même valeur.
(2) L'autorité administrative en question est, au sein de la Direction générale de la police nationale, l'Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication (Décr. n° 2015-125 du 5 janv. 2015, art. 1).
(3) La loi du 13 nov. 2014, qui étend ce dispositif aux propos provoquant au terrorisme, n'a pas été soumise à un contrôle a priori de constitutionnalité. V. sur ce texte, E. Dreyer, Droit de la communication, LexisNexis, 2018, nos 1974 et s.
(4) V., Cons. const. 10 mars 2011, n° 2011-625 DC, Loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, §§ 7 et 8, AJDA 2011. 532 ; ibid. 1097, note D. Ginocchi ; D. 2011. 1162, chron. P. Bonfils ; ibid. 2012. 1638, obs. V. Bernaud et N. Jacquinot ; AJCT 2011. 182, étude J.-D. Dreyfus ; Constitutions 2011. 223, obs. A. Darsonville ; ibid. 581, chron. V. Tchen ; RSC 2011. 728, chron. C. Lazerges ; ibid. 789, étude M.-A. Granger ; ibid. 2012. 227, obs. B. de Lamy.
(5) Le Conseil n'en dit mot et, pourtant, la décision en question est soumise à réexamen (Décr. n° 2015-125 du 5 janv. 2015, art. 4) et au contrôle d'une personnalité qualifiée de la CNIL (LCEN, art. 6-1, al. 3 et 4).
(6) Cons. const. 27 juill. 2000, no 2000-433 DC, Loi modifiant la loi du 30 sept. 1986, § 61, D. 2001. 1838, obs. N. Jacquinot.
(7) Le Conseil a précisé que ces dispositions « ne sauraient avoir pour effet d'engager la responsabilité d'un hébergeur qui n'a pas retiré une information dénoncée comme illicite par un tiers si celle-ci ne présente pas manifestement un tel caractère ou si son retrait n'a pas été ordonné par un juge » (Cons. const. 10 juin 2004, n° 2004-496 DC, § 9, AJDA 2004. 1534, note J. Arrighi de Casanova ; ibid. 1937 ; ibid. 1385, tribune P. Cassia ; ibid. 1497, tribune M. Verpeaux ; ibid. 1537, note M. Gautier et F. Melleray, note D. Chamussy ; ibid. 2261, chron. J.-M. Belorgey, S. Gervasoni et C. Lambert ; D. 2005. 199, note S. Mouton ; ibid. 2004. 1739, chron. B. Mathieu ; ibid. 3089, chron. D. Bailleul ; ibid. 2005. 1125, obs. V. Ogier-Bernaud et C. Severino ; RFDA 2004. 651, note B. Genevois ; ibid. 2005. 465, étude P. Cassia ; RTD civ. 2004. 605, obs. R. Encinas de Munagorri ; RTD eur. 2004. 583, note J.-P. Kovar ; ibid. 2005. 597, étude E. Sales). Cette réserve d'interprétation justifie que le caractère manifeste de l'illicéité ait été consacré dans la proposition de loi Avia.
(8) V. déjà, R.-O. Maistre, Point d'étape : vers un nouveau modèle de régulation des plateformes de contenus, Légipresse 2019. 459.
(9) A. Battesti, Facebook présente son Conseil de surveillance, Légipresse 2019. 527. Ajoutons que la Commission européenne retient également un délai de 24 heures pour le retrait de propos provoquant dans sa proposition de règlement relatif à la prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne (COM(2018)0640 – C8-0405/2018 – 2018/0331(COD)).