1re espèce - Doit être requalifiée en contrat de travail la relation liant un dessinateur du Monde rémunéré à la pige à la société éditrice. Celui-ci démontre qu'il recevait chaque semaine des instructions afin de réaliser des dessins destinés à illustrer des événements ou des thèmes précis choisis par la rédaction du quotidien, et percevait en contrepartie une rémunération mensuelle d'un montant constant.-
2e espèce - Ne peut bénéficier du statut de journaliste professionnel un photographe dont les tâches consistent essentiellement à apporter une contribution technique aux interviews et reportages réalisés par la société de presse qui l'emploie, et qui ne tire pas de cette collaboration le principal de ses ressources. Le plaignant ne peut prétendre au bénéfice de la présomption de salariat prévue à l'article L. 7112-1 du code du travail.-
3e espèce - Une rédactrice d'un site d'information engagée par le biais de contrats de commande d'une œuvre de contribution à un programme multimédia, et rémunérée en droit d'auteurs pour réaliser des notices dans le domaine culturel, ne démontre pas qu'elle aurait reçu des directives impératives dans l'exercice de son travail et qu'elle serait donc soumise à un lien de subordination. Dès lors, elle ne justifie pas de l'existence d'un contrat de travail à durée indéterminée.-
4e espèce - La plaignante ayant participé à la rédaction d'articles pour une association à caractère social et éducatif dont l'édition de publications constituait une activité accessoire, ne peut se prévaloir de la qualité de journaliste professionnelle dès lors qu'elle n'est pas employée par une entreprise de presse ou une publication disposant d'une indépendance éditoriale.
Dans un article intitulé « Sur une philosophie de l'expression », Albert Camus proclamait cet adage demeuré célèbre : « mal nommer un objet, c'est ajouter au malheur de ce monde ». Il indiquait également un peu plus avant : « le langage est seulement une machine à fabriquer du doute »(1).
En invitant les corporations des juristes et des journalistes à définir ce qu'était cette dernière activité, on ne pouvait donc qu'aboutir à un résultat paradoxal : la définition ...
Cour de cassation, (ch. soc.), 12 février 2020, n° 18-10.263, M. L. c/ Sté Éditrice du Monde Cour de cassation, (ch. soc.), 12 février 2019, n° 17-31.662 M. U. S. c/ Sté no Factory Cour de cassation, (ch. soc.), 12 février 2020, no 17-31.724 et n° 17-31.725, Mme B. et SNJ c/ Groupe Figaro Cour de cassation, (ch. soc.), 12 février 2020, n° 19-10.737 Mme X. c/ FSJU
Frédéric Gras
Avocat au Barreau de Paris
6 juillet 2020 - Légipresse N°383
4133 mots
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(1) Camus Albert, Sur une philosophie de l'expression, Poésie 44 no 17, déc. 1943-févr. 1944, p. 21.
(2) Loi no 2008-67 du 21 janv. 2008 ratifiant l'ord. no 2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail, art. 3.
(3) On renverra sur ce point au sketch de Raymond Devos « Parler pour ne rien dire », Archives INA.
(4) Soc. 12 févr. 2020, no 19-10.737, Légipresse no 380, mars 2020 p. 152.
(5) Soc. 25 sept. 2013, no 12-17.516, Légipresse 2013. 594 et les obs. ; ibid. 676, Étude F. Gras ; D. 2013. 2278 ; RDT 2013. 699, obs. G. Auzero ; JAC 2013, n° 8, p. 13, obs. L.T. ; Soc. 20 janv. 2016, no 14-18.718, Légipresse 2016. 80 et les obs. ; JAC 2016, n° 34, p. 13, obs. X. Aumeran ; Soc. 1er déc. 2016, no 15-19.177, D. 2016. 2523 ; RDT 2017. 122, obs. G. Auzero ; Légipresse 2017. 16 et les obs. ; JAC 2017, n° 43, p. 14, obs. X. Aumeran ; Soc. 29 mars 2017, no 15-28.228, Légipresse 2017. 248 et les obs. ; ibid. 273, Étude ; pour une tendance similaire en droit administratif, CE 22 juin 2001, no 219930, Lebon.
(6) Soc. 12 févr. 2020, no 17-31.725, Le Figaro-Evene, SNJ partie intervenante, Légipresse 2020. 153 et les obs. ; Soc. 12 févr. 2020, no 17-31.662 ; Soc. 12 févr. 2020, no 18-10.263, Légipresse 2020. 152 et les obs..
(7) Le pourvoi nous apprend qu'il facturait et adressait des « notes d'auteur ». L'imprécision du mode de rémunération étonne alors qu'elle est un élément essentiel au débat.
(8) Soc, 12 févr. 2020, no 17-31.662. L'arrêt d'appel renvoie l'affaire devant le Tribunal de commerce de Paris.
(9) CE 20 avr. 2005, no 270289, Lebon ; CE 8 juill. 2005, no 270298.
(10) Le pourvoi nous indique que si les sommes déclarées aux impôts étaient supérieures à celles versées par la SARL no Factory, leur montant demeurait « inférieur au SMIC ». La société de spectacle attire la main-d'œuvre, mais elle ne paie pas nécessairement…
(11) Soc. 12 févr. 2020, no 17-31724, Le Figaro-Evene, SNJ partie intervenante, préc.
(12) Le pourvoi se limite à invoquer le statut de journaliste, ce qui laisse à penser que le salariat, hors statut de journaliste, n'avait pas été invoqué au fond. La revendication de la qualité de journaliste aura donc eu un effet collatéral fatal alors que celui d'intermittent du spectacle aurait pu être plus fructueux. Mais il est toujours facile de réécrire l'histoire.
(13) L'argument aurait mérité développement, ce d'autant plus que la périodicité des montants cités, 495 € et 1585 €, sur l'année n'est pas donnée.
(14) Le pourvoi indiquait pourtant que le tarif des prestations étaient fixés par la société no Factory et que les périodes de travail étaient imposées en fonction des dates de concert.
(15) Soc. 12 févr. 2020, Le Monde, no 18-10.263, préc.
(16) La Cour de cassation le déclare comme « rémunéré à la pige » mais la formulation est impropre pour un collaborateur dont le pourvoi indique qu'il percevait des honoraires. La pige perçue par un journaliste doit prendre la forme d'un salaire en application de l'article L. 311-3-16° du code de la sécurité sociale. Le pourvoi incident de la société éditrice vise des « relevés de piges ou d'honoraires entre avril 1982 et le 31 octobre 2013 » et la cour d'appel évoque des relevés d'honoraires depuis 2005. Le mode de rémunération est donc, ici encore, incertain alors même qu'il constitue un élément essentiel permettant de conforter ou de détruire la présomption de contrat de travail posée par l'article L. 7112-1 du code du travail.
(17) Soc. 12 oct. 1961, La Nouvelle République du Centre Ouest, Bull.
(18) CE 6 févr. 1981, no 16599 ; Soc. 1er avr. 1992, no 88-42.951 ; Soc. 18 juill. 2001, no 99-44.594.