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Marque
/ Décryptages


20/05/2020


Le « nouveau droit des marques » : aspects de procédure



Le décret n° 2019-1316 du 9 décembre 2019 complétant l'ordonnance no 2019-1169 du 13 novembre 2019 est venu préciser les modalités pratiques des procédures devant l'INPI, ainsi que de recours. Si la procédure d'enregistrement de marque ne connait que quelques évolutions, la procédure d'opposition est, en revanche, profondément réformée. Entrées en vigueur le 1er avril 2020, les demandes administratives en déchéance ou en nullité d'une marque devant l'INPI, sont les grandes nouveautés de la réforme. Les procédures en contrefaçon initiées devant le tribunal judiciaire ont été également modifiées. La nécessaire articulation entre procédure judiciaire et procédure administrative implique la mise au point de stratégies procédurales nouvelles.

Eléonore Gaspar
Avocat, DTMV & associés avocats
Pas d'autre article de cet auteur pour le moment.
Jérôme Tassi
Avocat, Oris avocats
Pas d'autre article de cet auteur pour le moment.
 

I - L'acquisition du droit sur la marque

L'ordonnance no 2019-1169 du 13 novembre 2019 relative aux marques de produits ou de services a apporté de nombreuses modifications substantielles et procédurales de sorte que les praticiens doivent assimiler ce « nouveau droit des marques »(1). L'ordonnance a été complétée par le décret no 2019-1316 du 9 décembre 2019 qui précise notamment les modalités pratiques des procédures devant l'INPI, ainsi que les modalités de recours. Si la procédure d'enregistrement de marque ne connait que quelques évolutions (A), la procédure d'opposition est, en revanche, profondément réformée (B).

A – L’enregistrement de la marque

L'article L. 712-1 du code de la propriété intellectuelle est inchangé : « La propriété de la marque s'acquiert par l'enregistrement ». L'enregistrement demeure seul constitutif du droit, sans interférence d'une quelconque condition d'usage, à l'exception toutefois de la marque notoirement connue au sens de l'article 6 bis de la Convention d'Union de Paris.

1 - Les préparatifs du dépôt de marque

Pour préparer efficacement un dépôt de marque, il faut anticiper les exigences de recevabilité du dépôt prévues principalement à l'article L. 712-2 du code : « La demande d'enregistrement est présentée et publiée dans les formes et conditions fixées par le présent titre et précisées par décret en Conseil d'État. Pour bénéficier d'une date de dépôt, elle doit comporter notamment la représentation de la marque, l'énumération des produits ou des services pour lesquels l'enregistrement est demandé, l'identification du demandeur et être accompagnée de la justification du paiement de la redevance de dépôt ».

a - Le déposant

L'identification du déposant était déjà exigée par l'article R. 712-3 du code de la propriété intellectuelle. En pratique, il faut indiquer :

– les nom, prénom et adresse pour une personne physique. Le nom d'usage peut être mentionné en dessous des nom et prénoms, à l'exclusion de toute autre indication(2). La jurisprudence sanctionne de nullité le dépôt réalisé sous pseudonyme(3) ;

– la dénomination sociale (ou raison sociale) et l'adresse du siège social pour une personne morale. Le numéro SIREN est optionnel.

Toutefois, l'INPI n'exige pas de preuve de l'identité du déposant (carte d'identité ou extrait Kbis). Il est donc important pour le praticien de vérifier au préalable la véracité de ces informations.

Le dépôt au nom d'une société en cours de formation est possible (le cas étant prévu dans le formulaire en ligne). Il faudra ensuite que le déposant vise le dépôt de marque dans l'annexe des actes accomplis au nom et pour le compte de la société en cours de formation, puis procède à la régularisation du dépôt au RNM après constitution de la société(4). La régularisation est essentielle pour que la marque appartienne bien à la société et soit opposable aux tiers.

Si le déposant n'est pas domicilié dans un État membre de l'Union européenne ou de l'EEE, il devra impérativement constituer un mandataire (avocat ou conseil en propriété intellectuelle)(5).

En cas de pluralité de déposants, il est impératif de désigner un mandataire commun. La désignation peut être régularisée après le dépôt.

b - La liste des produits et services

Le déposant doit indiquer précisément la liste des produits et/ou services pour lesquels il revendique une protection(6). L'emploi des libellés de la classification de Nice n'est pas impératif, mais il sera nécessaire d'indiquer les numéros de classes auxquels ces produits et/ou services se réfèrent. Le déposant devra anticiper les produits et services pour lesquels la marque sera exploitée à moyen terme mais il est préférable d'éviter les libellés trop larges, sous peine de créer des conflits artificiels avec des droits antérieurs et de risquer des demandes en déchéance cinq ans après l'enregistrement de la marque.

2 - Les modalités du dépôt de marque

Le dépôt de marque s'effectue uniquement en ligne sur le site de l'INPI après création d'un compte(7). Tous les échanges ultérieurs entre l'INPI et le déposant ont lieu via ce compte.

La condition de représentation graphique a été supprimée, mais, en fonction du type de marque, l'INPI a prévu des modalités particulières pour la représentation du signe. Par exemple, pour une marque sonore, il est désormais possible de déposer un fichier audio(8).

Pour bénéficier d'une date de dépôt, il faut procéder au paiement de la redevance. Auparavant, il existait une taxe unique de 210 € pour 1 à 3 classes. Désormais, la taxe à payer est de 190 € pour une classe et 40 € par classe supplémentaire. Ce nouveau système de classes devrait limiter la pratique antérieure de dépôts systématiques en 3 classes.

3 - L'examen de la demande de marque

Dans la continuité des règles antérieures, l'INPI ne vérifie pas si la demande porte atteinte à des droits antérieurs(9). En revanche, l'INPI procède à un contrôle du respect des exigences prévues à l'article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle (1° à 10°). En pratique, cet examen est plus sévère depuis quelques années. Une notification peut intervenir dans les quatre mois du dépôt, soit après l'expiration du délai d'opposition. Enfin, il faut signaler une nouveauté lors de l'examen de la marque : les observations de tiers peuvent être formulées par tout tiers, sans condition d'intérêt, dans les deux mois suivant la publication au BOPI. Ces observations peuvent concerner les motifs absolus, mais pas les motifs relatifs qui relèvent de l'opposition. La procédure d'observations de tiers, peu utilisée avant l'ordonnance, présente ainsi un intérêt accru puisqu'elle permet à tout tiers de faire valoir ses arguments sur les motifs absolus d'une demande de marque sans dévoiler son identité.

4 - Dix ans après l'enregistrement : le renouvellement

L'INPI doit désormais informer le titulaire de marque au plus tard six mois avant l'expiration, ce qui constitue une nouveauté par rapport à la pratique antérieure. La marque peut désormais être renouvelée au cours d'un délai d'un an précédant le jour d'expiration de l'enregistrement, alors que le délai n'était que de six mois antérieurement. Les taxes de renouvellement ont été augmentées. Il convient désormais de régler la somme de 290 € pour la première classe et 40 € par classe supplémentaire. Il est toujours possible de renouveler dans le délai de grâce de six mois, en payant une redevance de retard de 145 €.

B - La procédure d'opposition

La procédure d'opposition, qui existe depuis la loi du 4 janvier 1991, est substantiellement réformée par l'ordonnance du 13 novembre 2019. Les nouvelles règles sont en vigueur depuis le 11 décembre 2019. L'opposition demeure une procédure administrative rapide et peu coûteuse. Les nouveaux fondements possibles, la concentration de l'opposition ainsi que le renforcement des pouvoirs de l'INPI en matière d'usage devraient entrainer cependant une complexification de celle-ci.

1 - Les nouveaux fondements

Auparavant, l'opposition pouvait être fondée sur une marque antérieure, une marque notoirement connue, une indication géographique ou le nom l'image ou la renommée d'une collectivité territoriale. À ces fondements qui sont conservés, l'ordonnance a ajouté principalement la dénomination sociale (ou raison sociale), le nom commercial, l'enseigne ou le nom de domaine, dont la portée n'est pas seulement locale. En revanche, les droits d'auteur, les dessins et modèles ou les droits de la personnalité n'ont pas été prévus comme fondements pour une opposition.

L'opposition nécessite une qualité à agir puisque seules les personnes prévues à l'article L. 712-4-1 du code peuvent former opposition en fonction des droits invoqués. Aucune condition d'intérêt à agir n'est exigée.

Une nouveauté essentielle est que l'opposition peut désormais être formée sur la base de plusieurs droits antérieurs, sous réserve qu'ils appartiennent au même titulaire et soient invoqués dès la demande initiale. La concentration de l'opposition constitue une avancée importante par rapport à la situation antérieure où il était nécessaire de former une opposition par droit antérieur invoqué.

La pluralité de droits invoqués a un impact financier limité : selon l'arrêté du 9 décembre 2019, la nouvelle taxe d'opposition est de 400 € avec une taxe additionnelle de 150 € par droit supplémentaire invoqué.

2 - Le contrôle de l'usage de la marque antérieure

Les pouvoirs de l'INPI dans le contrôle de l'usage de la marque antérieure (lorsqu'elle est enregistrée depuis plus de 5 ans) sont considérablement renforcés. D'une part, la marque antérieure ne sera réputée enregistrée, dans le cadre de l'opposition, que pour les produits ou services pour lesquels un usage sérieux a été prouvé ou de justes motifs de non-usage établis. Antérieurement, la preuve de l'usage pour un des produits et services valait exploitation pour l'intégralité des produits et services, ce qui limitait fortement les débats sur l'usage en présence de marques avec des libellés larges. D'autre part, le contrôle de l'usage par l'INPI était essentiellement formel et une opposition ne pouvait être clôturée qu'en cas de défaut de pertinence avéré des pièces produites. Le nouvel article L. 712-5-1 du code de la propriété intellectuelle donne au directeur de l'INPI le pouvoir de vérifier réellement le sérieux de l'exploitation ou le juste motif de non-exploitation pour chaque produit et service. Compte tenu des délais d'opposition (v. ci-après), l'opposant aura tout intérêt à anticiper la collecte des preuves d'usage lorsque sa marque est enregistrée depuis plus de cinq ans.

3 - La procédure devant l'INPI

L'opposition doit toujours être formée dans les deux mois suivants la publication de la demande au BOPI, sans obligation de faire appel à un avocat ou un conseil en propriété industrielle. En revanche, il est désormais possible d'introduire une opposition « formelle » et de soumettre les moyens et pièces au soutien de l'opposition dans le délai d'un mois suivant cette opposition.

L'opposition se déroulera schématiquement de la façon suivante :

SCHEMA 1

Une opposition moyenne devrait donc durer entre six et neuf mois en fonction du nombre d'observations des parties. Les délais étant assez courts, notamment pour prouver l'usage de la marque antérieure, les praticiens devront anticiper la collecte des preuves lorsque la marque invoquée est enregistrée depuis plus de cinq ans. Par rapport à la procédure antérieure à l'ordonnance, le projet de décision, qui était rendu par l'INPI et sur lequel les parties pouvaient faire leurs observations, est supprimé.

La règle « silence vaut rejet » s'applique à la nouvelle procédure d'opposition, dans un délai de trois mois à compter de la fin de la phase d'instruction, à savoir « dès lors qu'une partie n'a pas présenté d'observations à l'expiration des délais mentionnés aux 1° à 5° de l'article R. 712-16-1 et, au plus tard, le jour de la présentation des observations orales ». La date de fin d'instruction est notifiée aux parties.

La décision d'opposition peut faire l'objet d'un recours devant la cour d'appel spécialisée du lieu où demeure le requérant. Le recours doit être effectué dans le délai d'un mois suivant la notification de la décision d'opposition. Il s'agit d'un recours en annulation, comme antérieurement, et non en réformation. Par rapport à la procédure antérieure, la représentation par avocat est désormais obligatoire. Cela se justifie car la procédure est largement modifiée en s'inspirant de la procédure d'appel de droit commun du code de procédure civile, avec notamment un délai de trois pour la communication de ses premières conclusions par le requérant. Elle permet également le recours à la communication des conclusions par voie électronique, sauf en ce qui concerne l'INPI.

Le schéma est le suivant :

SCHEMA 2

La présence du Ministère public n'est désormais plus obligatoire, mais il peut intervenir s'il le souhaite. La durée d'un recours devant la cour d'appel devrait être comprise entre douze et dix-huit mois, ce qui est plus long que les délais résultant de la procédure antérieure.

J. T.

II - Le contentieux

A - La procédure en déchéance et en nullité

Sur le plan procédural, les apports essentiels de l'ordonnance du 13 novembre 2019 sont l'introduction, en France, de demandes administratives en déchéance ou en nullité d'une marque devant l'INPI. Ces nouvelles procédures devant l'INPI sont entrées en vigueur le 1er avril 2020 et s'appliquent pour toutes les marques existantes, indépendamment de leur date de dépôt ou d'enregistrement. L'objectif de ces nouvelles procédures est de déjudiciariser le contentieux de la déchéance et de la nullité pour que l'INPI puisse le traiter rapidement.

Auparavant, seuls les tribunaux judiciaires pouvaient connaître de ces demandes directes en déchéance ou nullité. La condition d'intérêt à agir ainsi que les risques inhérents à toute action judiciaire limitaient le nombre de ces demandes. Il est vraisemblable que ces nouvelles procédures devant l'INPI connaissent un succès important en raison de l'absence d'intérêt à agir, de leur rapidité, et de leur coût financier raisonnable. En ce qui concerne la déchéance, l'objectif est également de libérer plus facilement les registres du nombre très important de marques non-exploitées.

La procédure devant le tribunal judiciaire n'est pas modifiée, sous réserve des compétences exclusives de l'INPI. Seules les procédures devant l'INPI seront détaillées.

1 - Dispositions spécifiques à la demande en déchéance devant l'INPI

L'article L. 716-5 du code de la propriété intellectuelle prévoit une compétence exclusive de l'INPI pour les demandes en déchéance directes contre une marque française ou un dépôt international désignant la France (pour tous les motifs prévus pas les textes : non-exploitation, dégénérescence ou caractère trompeur).

Cependant, les tribunaux judiciaires spécialisés demeurent compétents dans deux cas :

– lorsque la demande en déchéance est formée à titre principal ou reconventionnel de façon connexe à toute autre demande relevant de la compétence du tribunal ;

– lorsque la demande en déchéance est formée alors que soit des mesures probatoires, soit des mesures provisoires ou conservatoires ordonnées afin de faire cesser une atteinte à un droit de marque sont en cours d'exécution avant l'engagement d'une action au fond.

En cas de non-respect de la compétence exclusive de l'INPI, la demande en déchéance sera déclarée irrecevable par le tribunal, qui devra relever d'office cette fin de non-recevoir.

Alors qu'une demande en déchéance devant un tribunal nécessite la preuve d'un intérêt à agir, cette condition n'est pas exigée pour former une demande en déchéance devant l'INPI. Toute personne pourra donc demander la déchéance d'une marque, éventuellement via un cabinet d'avocats comme cela est déjà le cas devant l'EUIPO. Cette hypothèse rend complexe la répartition de compétence puisqu'une personne attaquée en contrefaçon de marque pourrait former une demande reconventionnelle en déchéance devant le tribunal et demander simultanément à un homme de paille de former une déchéance pour non-exploitation devant l'INPI. Cette situation est problématique pour le titulaire de marque puisqu'il y aura deux actions parallèles avec des demandeurs en déchéance différents, et probablement une décision de l'INPI avant celle du tribunal. Par ailleurs, une partie pourrait former préventivement une demande principale en déchéance devant l'INPI par l'intermédiaire d'un homme de paille pour se préserver la possibilité de former ultérieurement une demande reconventionnelle devant le tribunal en cas d'action en contrefaçon à son encontre. Cela permettrait de contourner la règle d'autorité de chose jugée qui sera appliquée aux décisions de l'INPI.

2 - Dispositions spécifiques à la demande en nullité devant l'INPI

L'article L. 716-5 du code de la propriété intellectuelle opère une répartition de compétence entre l'INPI et le tribunal judiciaire pour statuer sur les demandes en nullité des marques françaises et des dépôts internationaux désignant la France, principalement en fonction des droits invoqués ou de la situation procédurale au jour de la demande.

Schématiquement, la répartition est la suivante :

SCHEMA 3

En cas de non-respect de la compétence exclusive de l'INPI, la demande en nullité sera déclarée irrecevable par le tribunal, qui devra relever d'office cette fin de non-recevoir.

Cette répartition de compétence n'interdit pas à celui qui reçoit une mise en demeure d'introduire une action en nullité devant l'INPI, éventuellement par l'intermédiaire d'un homme de paille lorsque cette demande concerne des motifs absolus. Celui qui subit une saisie-contrefaçon ou une demande d'interdiction provisoire pourrait également agir devant l'INPI par l'intermédiaire d'un homme de paille pour essayer de contourner la compétence exclusive des juridictions judiciaires.

Comme en matière de déchéance, il n'y a pas d'intérêt à agir à établir devant l'INPI alors que cette condition est expressément maintenue devant les tribunaux. En revanche, pour les motifs relatifs, l'article L. 716-2 du code de la propriété intellectuelle prévoit logiquement que seuls ont qualité à agir les titulaires des droits antérieurs invoqués (y compris les bénéficiaires d'un droit exclusif d'exploitation sur la marque antérieure, sauf stipulation contraire du contrat).

Comme pour l'opposition, la demande en nullité pourra être fondée sur plusieurs motifs et sur plusieurs droits antérieurs sous réserve qu'ils appartiennent au même titulaire et qu'ils soient mentionnés dans la demande initiale.

L'article L. 716-2-3 du code prévoit qu'une demande en nullité sera irrecevable si celui qui agit ne démontre pas, sur requête du titulaire de la marque attaquée un usage sérieux de la marque pour les produits et services visés (i) dans les cinq ans précédant la date à laquelle la demande en nullité a été formée et (ii) dans les cinq ans précédant la date de dépôt ou la date de priorité de la marque attaquée en nullité.

L'article L. 716-2-4 introduit également des cas spécifiques d'irrecevabilité de la demande en nullité :

– (i) Lorsque le titulaire de la marque servant de base à la demande n'établit pas, sur requête du titulaire de la marque contestée, qu'à la date de dépôt ou à la date de priorité de cette marque contestée, la marque antérieure, susceptible d'être annulée pour défaut de caractère distinctif ou pour descriptivité, avait acquis un caractère distinctif par l'usage ;

– (ii) Dans le cas d'une marque antérieure similaire, lorsque le titulaire de la marque servant de base à la demande n'établit pas, sur requête du titulaire de la marque contestée, qu'à la date de dépôt ou à la date de priorité de cette marque contestée, la marque antérieure avait acquis un caractère suffisamment distinctif susceptible de justifier l'existence d'un risque de confusion dans l'esprit du public ;

– (iii) Lorsque le titulaire de la marque antérieure qui invoque une renommée au sens du 2° du I de l'article L. 711-3 n'établit pas, sur requête du titulaire de la marque contestée, que cette marque était renommée à la date de dépôt ou à la date de priorité de cette marque contestée.

3 - Dispositions communes

Sur le plan financier, l'arrêté du 9 décembre 2019 a introduit une taxe de 600 € pour chaque demande en nullité ou en déchéance, avec une taxe additionnelle de 150 € par droit supplémentaire invoqué en nullité.

La demande en déchéance ou en nullité devant l'INPI suivra le schéma procédural suivant selon l'article R. 716-6 du code de la propriété intellectuelle :

SCHEMA 4

Les textes prévoient des hypothèses de suspension, notamment sur demande conjointe des parties, pendant un délai de 4 mois renouvelable deux fois, ou à l'initiative de l'INPI dans l'attente d'informations et d'éléments susceptibles d'avoir une incidence sur l'issue du litige ou la situation des parties. Dans un souci d'indépendance, l'agent de l'INPI qui aura instruit la demande d'enregistrement ne pourra pas statuer sur la demande en nullité ou en déchéance.

Une nouveauté procédurale est l'introduction d'une disposition analogue à l'article 700 du code de procédure civile par l'article L. 716-1-1 du code de la propriété intellectuelle pour les demandes en déchéance et en nullité. L'INPI mettra à la charge de la partie perdante une partie des frais exposés par la partie gagnante selon un barème fixé par arrêté ministériel.

Comme en matière d'opposition, les demandes en déchéance et en nullité seront soumises à l'application de la règle « silence vaut rejet ». La règle s'appliquera après un délai de trois mois suivant la date de fin d'instruction, qui sera notifiée aux parties. Il faut espérer que cette règle n'ait pas vocation à s'appliquer, même si le demandeur pourra toujours demander les motifs de la décision implicite en application de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration.

Enfin, l'article R. 716-13 du code la propriété intellectuelle prévoit que les décisions rendues par l'INPI auront autorité de la chose jugée en cas d'identité de partie, d'objet et de cause.

4 - Les recours devant la cour d'appel et le pourvoi en cassation

Contrairement au recours contre les oppositions qui sont des recours en annulation, les recours contre les décisions de l'INPI en matière de déchéance ou de nullité sont des recours de plein contentieux. Les parties pourront donc produire de nouvelles pièces et invoquer des moyens et prétentions nouveaux sous réserve de leur recevabilité. Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises devant l'INPI même si leur fondement juridique est différent. Ces recours sont suspensifs, ce qui est logique compte tenu de l'importance de la décision pour les droits des parties.

Sous ces réserves, la procédure de recours contre les décisions de l'INPI en déchéance et en nullité est quasi-identique à celle applicable en matière de recours sur opposition (v. schéma ci-dessus). Sauf dispositions contraires prévus aux articles R. 411-19 et suivants du code de la propriété intellectuelle, les appels sont formés, instruits et jugés conformément aux dispositions du code de procédure civile. Les praticiens devront être vigilants sur le formalisme de l'acte de recours et des conclusions ultérieures.

L'INPI n'est pas partie à l'instance devant la cour d'appel, mais il est entendu et mis en mesure de présenter des observations écrites et orales.

Le pourvoi en cassation est ouvert aux parties dans le délai de deux mois suivant la notification de la décision par le greffe de la cour d'appel. L'INPI a également le droit de former un pourvoi.

J. T.

B - L'action en contrefaçon

L'article 8 de l'ordonnance no 2019-1169 du 13 novembre 2019, entré en vigueur le 1er avril 2020, a modifié de façon substantielle le Chapitre VI du Titre 1er du Livre VII du code de la propriété intellectuelle afin d'introduire une Section I sur les procédures administratives en nullité et en déchéance. Les procédures en contrefaçon initiées devant le tribunal judiciaire vont s'en trouver modifiées, avec une nécessaire articulation entre procédure judiciaire et procédure administrative et donc, la mise au point de stratégies procédurales nouvelles. En effet, désormais, lorsque des actions administratives en nullité ou déchéance sont préalablement engagées, il n'y a plus un contentieux unique avec une concentration des moyens en demande et en défense dans une même instance devant une même juridiction.

Le contentieux de la contrefaçon fait désormais l'objet de la Section II de ce Chapitre VI du Titre 1er du Livre VII du code de la propriété intellectuelle.

S'agissant de l'action en contrefaçon, l'ordonnance introduit des modifications substantielles avec de nouvelles irrecevabilités (1) et une nouvelle définition de la qualité à agir en contrefaçon (2). Sans que cela résulte de la directive (UE) 2015/2436, l'ordonnance fait par ailleurs le choix de modifier les règles de calcul de la prescription de l'action (3).

1 - Les nouveaux moyens de défense – la place de l'usage et le droit d'intervention

Le nouvel article L. 716-4-3 du code de la propriété intellectuelle sanctionne d'irrecevabilité l'action en contrefaçon, lorsque sur requête du défendeur, le titulaire de la marque ne prouve pas l'usage sérieux de celle-ci – ou le juste motif de non-usage – dans les cinq années qui ont précédé l'introduction de l'action en contrefaçon. C'est ainsi qu'est transposé l'article 17 de la directive (UE) 2015/2436 selon lequel le titulaire d'une marque ne peut interdire l'usage d'un signe que dans la mesure où il n'est pas susceptible d'être déchu de ses droits au moment où l'action est intentée. Comme moyen de défense, et sans même solliciter la déchéance de la marque invoquée, le défendeur à l'action en contrefaçon peut ainsi demander à ce que le titulaire prouve son usage à la date de l'introduction de l'action. À défaut, l'action en contrefaçon est irrecevable.

La place de l'usage est encore renforcée lorsque le signe dont l'usage est contesté dans le cadre de l'action en contrefaçon est une marque enregistrée postérieurement à la marque invoquée. En effet, le nouvel article L. 716-4-5, alinéa 2, du code de la propriété intellectuelle − qui renvoie aux articles L. 716-2-3 et L. 716-2-4 relatifs aux nouvelles irrecevabilités de l'action en nullité − sanctionne également d'irrecevabilité l'action en contrefaçon, lorsque sur requête du défendeur, le titulaire de la marque invoquée ne prouve pas qu'à la date de dépôt ou de priorité de la marque postérieure, la marque invoquée susceptible d'être déchue à cette date ne faisait pas l'objet d'un usage sérieux, ou qu'il n'existait pas de juste motif pour son non-usage, ou encore qu’elle avait acquis un caractère distinctif suffisant pour justifier l’existence d’un risque de confusion qui n'était pas renommée à cette date. Ainsi, c'est à la date du dépôt ou de la priorité de la marque postérieure qu'il convient de se placer pour apprécier l’acquisition du caractère distinctif par l’usage, la renommée ou l'usage sérieux de la marque invoquée à l'appui de l'action en contrefaçon.

Ce nouveau moyen de défense, qui constitue la transposition du droit d'intervention du titulaire d'une marque enregistrée postérieurement comme moyen de défense dans une procédure en contrefaçon de l'article 18 de la directive, confère un nouvel avantage substantiel aux titulaires de marques enregistrées qui vient s'ajouter à la forclusion par tolérance. En effet, l'enregistrement de marque présente l'avantage de figer la situation des droits antérieurs pouvant être invoqués. Si à la date du dépôt ou de la priorité, la marque antérieure était susceptible d'être déchue, elle ne pourra plus être opposée à la marque postérieure, même si l'usage de cette marque antérieure venait à être repris. De la même façon, un caractère distinctif ou une renommée de la marque première acquis postérieurement à la date de dépôt ou de priorité de la marque seconde ne peuvent lui être opposés. Ces dispositions devraient modifier les stratégies de dépôt et la façon dont les recherches d'antériorités sont analysées. Sauf à vouloir se prémunir d'une quelconque coexistence sur le marché de marques identiques, il n'est plus forcément indispensable d'intenter des actions en déchéance contre toutes les marques antérieures gênantes enregistrées depuis plus de cinq années et qui ne seraient pas exploitées.

En tout état de cause et à la condition qu'une action administrative en déchéance n'ait pas été engagée préalablement à l'action en contrefaçon ou à la saisie-contrefaçon, le défendeur à l'action en contrefaçon peut toujours à titre reconventionnel solliciter la déchéance de la marque invoquée à l'appui de l'action en contrefaçon. Dans ce cas, la déchéance est prononcée à la date de la demande en déchéance ou à l’expiration du dernier délai de cinq ans d’absence d’usage.

Dès lors que la recevabilité de l'action en contrefaçon est conditionnée par l'usage de la marque invoquée à la date où l'action en contrefaçon est introduite, mais aussi à la date du dépôt ou de la priorité de la marque postérieure dont l'usage est contesté, le défendeur bénéficie de nouveaux moyens de défense. La reprise de l'usage postérieurement à l'une de ces dates ne permet pas d'échapper à l'irrecevabilité, et ce, même si elle constitue toujours un moyen efficace de ne pas être sanctionné par la perte du droit à la suite d'une demande reconventionnelle en déchéance. A contrario, l'action en contrefaçon sur la base d'une marque dont l'usage a cessé depuis moins de cinq ans à ces deux dates est recevable. La marque pourrait toutefois être par la suite déchue dans le cadre d'une demande en déchéance.

D'après l'ordonnance, ces nouveaux moyens de défense introduits par les articles L. 716-4-3 et L. 716-4-5 du code de la propriété intellectuelle constituent des causes d'irrecevabilité – ce qui n'était pas évident à déterminer à la lecture des articles 17 et 18 de la directive –, c'est-à-dire de fins de non-recevoir. Or depuis le décret no 2019-1333 du 11 décembre 2019, pour les instances introduites depuis le 1er janvier 2020, ces fins de non-recevoir relèvent de la compétence exclusive du juge de la mise en état jusqu'à son dessaisissement. Cela engendrera nécessairement une multiplication des incidents complexes devant ce dernier, portant sur des moyens de défense essentiels, qui touchent déjà au fond du litige. Il s'agira en effet d'apprécier, à une date donnée, parfois même remontant à plusieurs années, l'usage sérieux, l’acquisition du caractère distinctif ou même la renommée de la marque invoquée à l'appui de l'action en contrefaçon. Il est toutefois possible qu'il soit considéré que la fin de non-recevoir nécessite que soit tranchée au préalable une question de fond et, qu'en application de l'article 786, 6°, du code de procédure civile, le juge de la mise en état renvoie l'affaire devant la formation de jugement.

Les articles relatifs à ces nouvelles irrecevabilités sont applicables aux instances introduites à compter du 11 décembre 2019 et feront vraisemblablement l’objet de nombreuses décisions.

SCHEMA 5

Place de l'usage de la marque antérieure dans le cadre d'une action en contrefaçon

2 - La qualité à agir

L'ordonnance a modifié la définition des personnes habilitées à introduire une action civile en contrefaçon, en ouvrant la possibilité pour le licencié non exclusif d'engager cette action, à certaines conditions que le titulaire y ait consenti et sauf stipulation contraire du contrat.

En application de l'ancien article L. 716-5 du code de la propriété intellectuelle, étaient seuls recevables à agir en contrefaçon le propriétaire de la marque et le licencié exclusif, sauf stipulation contraire du contrat, si après mise en demeure le titulaire n'exerçait pas ce droit. Le licencié non exclusif ne pouvait pas engager l'action en contrefaçon. Il était seulement recevable à intervenir dans l'instance engagée par une autre partie afin d'obtenir la réparation du préjudice qui lui était propre.

En application du nouvel article L. 716-4-2 du code, peuvent désormais engager l'action civile en contrefaçon le titulaire de la marque mais également « le licencié avec le consentement du titulaire, sauf stipulation contraire du contrat. Toutefois, le bénéficiaire d'un droit exclusif d'exploitation peut agir en contrefaçon si, après mise en demeure, le titulaire n'exerce pas ce droit dans un délai raisonnable ».

Outre la modification de terminologie avec le remplacement de « propriétaire » par « titulaire », cet article permet au licencié non exclusif d'engager l'action en contrefaçon, à condition d'agir avec le consentement du titulaire. Le licencié exclusif peut toujours engager une action si, après mise en demeure, le titulaire de la marque n'agit pas lui-même. Il est cependant précisé désormais que le titulaire doit avoir agi « dans un délai raisonnable » (le troisième alinéa de l'article 25 de la directive qualifiant ce délai d'« approprié »).

Dès lors qu'en application de l'article L. 716-6 du code, est ouverte à « toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon » la possibilité de faire procéder à une saisie-contrefaçon, le licencié non exclusif qui agit avec le consentement du titulaire est désormais également recevable à faire procéder à une saisie-contrefaçon.

Le nouvel article L. 716-4-2 du code de la propriété intellectuelle est entré en vigueur le 11 décembre 2019.

On peut rappeler que le défaut de qualité à agir est également une fin de non-recevoir qui relève pour les instances introduites depuis le 1er janvier 2020 de la compétence exclusive du juge de la mise en état.

3 - La prescription de l'action en contrefaçon

En application de la loi no 2019-486 du 22 mai 2019 (loi PACTE), l'ordonnance a également modifié les règles relatives à la prescription de l'action en contrefaçon. Si celle-ci se prescrit toujours par cinq ans, l'article L. 716-4-2 du code prévoit que le point de départ de ce délai court « à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître le dernier fait lui permettant de l'exercer ». Cette nouvelle définition de la prescription se rapproche de l'article 2224 du code civil en se référant à la connaissance effective ou qu'aurait dû avoir le titulaire du droit. Elle s'en éloigne toutefois en se référant non pas « aux faits lui permettant de l'exercer », mais au « dernier fait », supposant ainsi un point de départ unique du délai de prescription.

La jurisprudence avait déjà fait partir la prescription de la date de la connaissance. En revanche, il existe des incertitudes sur l'interprétation à donner à la formule « le dernier fait ». Permet-elle une indemnisation de tous les actes de contrefaçon commis sans limite de temps, dès lors que l'action aurait été engagée dans les cinq ans de la connaissance du dernier fait et ainsi empêcher une prescription partielle pour les actes commis plus de cinq ans avant l'introduction de l'action ? La question est cruciale pour l'évaluation de la masse contrefaisante et des dommages-intérêts. Jusqu'à quand peut-on remonter dans le temps ? Cet allongement du délai de prescription n'est-il pas par ailleurs créateur d'insécurité juridique ? Ces règles de prescription sont sans doute à lire en combinaison avec l'article 2232 du code civil selon lequel le report du point de départ de la prescription ne peut pas avoir pour effet de porter le délai de prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter de la naissance du droit. L'interprétation de cette nouvelle règle sera sans doute l'objet d'un contentieux fourni.

E.G.

20 mai 2020 - Légipresse
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