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Liberté d'expression
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03/10/2019
Rap et débat d'intérêt général : quand le juge mêle utilement rigueur et bienveillance
L'idée que le rap puisse contribuer au débat d'intérêt général a été initiée par les juges du fond et une partie de la doctrine. La Cour de cassation n'avait pas eu l'occasion de prendre position à ce sujet, ce qui est chose faite depuis un arrêt du 11 décembre 2018. La Cour ne se contente pas de reconnaître l'utilité du rap, elle confirme au passage le rôle central que le juge joue quant à l'appréciation de ce mouvement musical. En effet, le rap se caractérise par une certaine singularité d'écriture que le juge doit prendre en compte lorsqu'il lui revient d'apprécier les propos au regard des infractions pénales existantes.
Assez étrangement, on notera que si les notes d'arrêts foisonnent sur certaines affaires alors même que leur intérêt est relativement limité, non du point de vue de l'espèce jugée, mais du point de vue de l'apport pour le droit en vigueur, on relèvera en revanche que certaines espèces, tel l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 11 décembre 2018 au sujet d'un morceau de rap controversé(1), n'ont pas eu droit aux mêmes égards. Faudrait-il alors en conclure que le commentateur ...
Nathalie Droin
Maître de conférences à l'Université de Bourgogne
3 octobre 2019 - Légipresse N°374
6684 mots
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(1) Crim. 11 déc. 2018, n° 18-80.525, Légipresse 2019. 13 et les obs.. Pour une rare note v., L. François, Provocation à la discrimination : consolidation du choix de la « rigueur ». À propos de la chanson de rap Nique la France, Légipresse 2019. 219.
(2) V. pour les plus anciennes, Civ. 1re, 10 janv. 1990, Bull. civ. I, no 11 et Civ. 1re, 29 oct. 1990, Bull. civ. I, no 226 ; JCP 1990. IV. 424 ; D. 1990. IR 276 ; pour une plus récente illustration, Crim. 14 nov. 2017, no 16-84.945, Légipresse 2017. 592.
(3) Crim. 28 févr. 2017, no 16-80.522, Légipresse 2017. 183 ; D. 2017. 904, note D. Roets ; JA 2017, n° 558, p. 9, obs. S. Zouag.
(4) Au motif que les Corses ne constituent pas une nation, Crim. 3 déc. 2002, Bull. crim. no 218 ; Dr. pénal 2003. Comm. 3, obs. M. Véron ; JCP 2003. IV. 1249.
(5) Au motif que leur identité tient, non à une origine religieuse ou ethnique, mais à un choix politique fait au cours de la guerre d'Algérie, v. en ce sens, Crim. 12 sept. 2000, Légipresse 2000, no 177, III, p. 214 ; TGI Paris, 17e ch., 20 oct. 2006, Légipresse 2006, no 237, I, p. 171 ; Montpellier, 13 sept. 2007, Légipresse 2008, no 248, III, p. 7, obs. N. Verly et L. Merlet ; Crim. 31 mars 2009, Bull. crim. no 61 ; Légipresse 2009, no 263, III, p. 135, note G. Tillement.
(6) Lyon, 4e ch., 12 janv. 2018, Légipresse 2018. 255.
(7) P. Piot, De l'interprétation du rap par le juge judiciaire, Gaz. Pal. 12 févr. 2019, no 341t1, p. 25.
(8) Pour un ex. récent, Crim. 8 janv. 2019, n° 17-81.396,Légipresse 2019. 9 et les obs. ; ibid. 213, obs. B. Domange ; D. 2019. 512, note E. Raschel ; JA 2019, n° 595, p. 11, obs. X. Delpech.
(9) C'est en effet à la juridiction strasbourgeoise que l'on doit l'usage de cette notion pour « justifier » l'expression de certains propos revêtant pourtant un caractère outrageant, CEDH 8 juill. 1999, Surek c/ Turquie, no 26682/95, AJDA 2000. 526, chron. J.-F. Flauss.
(10) Ce qui a permis de sanctionner la provocation indirecte à la haine voir même insidieuse, v. en ce sens, Crim. 12 avr. 1976, Bull. crim. no 112 ; Crim. 14 mai 2002, no 01-85.482 ; Crim. 1er févr. 2017, no 15-84.511, AJDA 2017. 256 ; D. 2017. 961, note C. Saas ; AJ pénal 2017. 175, note E. Dreyer ; AJCT 2017. 288, obs. S. Lavric.
(11) Crim. 7 juin 2017, n° 16-80.322, D. 2017. 1814, note C. Bigot ; ibid. 2018. 208, obs. E. Dreyer ; AJ pénal 2017. 398, obs. J.-B. Thierry ; Crim. 14 nov. 2017, no 16-84.945, Légipresse 2017. 592 ; Crim. 9 janv. 2018, no 16-87.540 et n° 17-80.491, D. 2019. 216, obs. E. Dreyer.
(12) Paris, pôle 2 - 7e ch., 28 juin 2012, no 11/9903, Légipresse 2012. 476 et les obs. .
(13) J. Pradel et M. Danti-Juan, Droit pénal spécial, 6e éd., 2014, Cujas, p. 341, no 495 ; Rép. pén., v° Injures publiques et non publiques, par E. Dreyer, § 67.
(14) L'appréhension des discours de haine par les juridictions françaises : entre travail d'orfèvre et numéro d'équilibriste, La Revue des droits de l'homme [En ligne], 14 | 2018
(15) Crim. 14 nov. 2017, no 16-84.945.
(16) Crim. 28 févr. 2017, n° 16-80.522, D. 2017. 904, note D. Roets ; JA 2017, n° 558, p. 9, obs. S. Zouag.
(17) D. Roets, La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse à l'épreuve du « racisme anti-français », D. 2017. 904.
(18) Pour une illustration récente, v. Crim. 17 sept. 2019, n° 18-85.306. La Haute juridiction a confirmé l’arrêt de la cour d’appel considérant que les éléments constitutifs du délit de provocation n’étaient pas réunis, les propos ne visant que les musulmans salafistes et non l’ensemble de la communauté arabo-mulsulmane.
(19) À rapprocher de Versailles, 8e ch., 18 févr. 2016, Légipresse 2016. 138 ; ibid. 226, obs. J. Englebert. Dans cette espèce, concernant le rappeur Orelsan, les juges d'appel se sont appuyés sur l'intégralité du texte pour caractériser l'absence d'élément intentionnel.
(21) Pour mémoire, il s'agissait des termes suivants : « c'est l'union sacrée contre l'envahisseur, le barbare, le sauvage contre l'ennemi intérieur – mais on va pas se laisser faire, se laisser bâillonner, on va pas lâcher l'affaire ».
(22) V. dans le même sens, v. la décision rendue par la Cour d’appel de Rouen au sujet du morceau « France » du groupe Sniper, Rouen, ch. corr., 14 déc. 2005, no 2005-297833, CCE 2006. Comm. no 102, obs. A. Lepage.
(23) Ce dernier doit tenir compte du genre et du mode d'expression, v. en ce sens, Versailles, 8e ch., 18 févr. 2016, préc. : dans cette espèce, la cour d'appel rappelle que la création artistique fait l'objet d'un régime de liberté renforcé « afin de ne pas investir le juge d'un pouvoir de censure qui s'exercerait au nom d'une morale nécessairement subjective de nature à interdire des modes d'expression souvent minoritaires, mais qui sont aussi le reflet d'une société vivante et qui ont leur place en démocratie ».
(25) Expression empruntée à D. Dechenaud, J.-Cl. Lois pénales spéciales, Presse et communication, v° Injure publique, fasc. 90, § 27.
(26) V. à propos de l'usage du terme « fasciste », notre contribution : « L'expression des politiques : une marge de manœuvre confortable, des bornes étroites », Lexbase édition Pénale, no 11 du 20 déc. 2018.
(27) V. à titre d'illustration, Crim. 20 sept. 2016, no 15-82.942, no 15-82.941, no 15-82.944, pour une note critique, P. Conte, Les limites admissibles de la liberté d'expression, Dr. pénal 2016. Comm. 173.
(28) V. à propos du terme « pédé », Crim. 30 mars 2016, n° 14-88.144, D. 2017. 181, obs. E. Dreyer.
(29) Rouen, ch. corr., 14 déc. 2005, préc.
(30) V., N. Droin, Le juge et le rap, RD publ. 2016. 1377.
(31) Versailles, 8e ch., 18 févr. 2016, préc.
(32) V. en ce sens, J. Englebert, L'œuvre artistique, « miroir effrayant » de la société – À propos de la relaxe justifiée du rappeur Orelsan, Légipresse 2016. 226.
(33) Crim. 11 mars 2008, n° 06-84.712, Bull. crim. no 59 ; D. 2008. 2256, note J. Lapousterle ; ibid. 2009. 1779, obs. J.-Y. Dupeux et T. Massis ; AJ pénal 2008. 237 ; Crim. 11 juin 2013, n° 12-83.487, Légipresse 2013. 456 et les obs. ; ibid. 497, Étude B. Ader ; D. 2013. 1551 ; AJCT 2013. 472, obs. S. Lavric.
(34) À titre d'illustration, Crim. 9 déc. 2014, n° 13-87.477, Légipresse 2015. 207 et les obs. ; Crim. 13 déc. 2016, n° 16-80.812, AJ pénal 2017. 192, obs. C. Girault.
(35) V. not., Crim. 26 mai 1987, no 86-94.690 ; Crim. 20 sept. 2016, préc.
(36) V. pour un ex. récent, Crim. 8 janv. 2019, préc.
(37) En dépit du fait qu'elle soit rendue dans une affaire où c'est l'injure « ségrégationniste » qui est au fondement des poursuites… et non une injure envers un particulier.
(38) Nous nous permettons de renvoyer à la note du professeur Roets qui contient d'autres extraits éclairants quant au message porté par le morceau, D. Roets, La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse à l'épreuve du « racisme anti-français », préc.
(39) TGI Paris, 17e ch., 25 oct. 2011, no 0911323030, Légipresse 2011. 590 et les obs..
(40) Paris, pôle 2 - 7e ch., 28 juin 2012, no 11/9903, Légipresse 2012. 476 et les obs..
(41) Versailles, 8e ch., 18 févr. 2016, préc.
(42) J. Englebert, « L'œuvre artistique, « miroir effrayant » de la société – À propos de la relaxe justifiée du rappeur Orelsan », préc.
(43) Précisément les propos suivants « Pour mission exterminer les ministres et les fachos… / La France est une garce et on s'est fait trahir /…/ La haine c'est ce qui rend nos propos vulgaires… / Frère je lance un appel, on est là pour tout niquer / Leur laisser des traces et des séquelles avant de crever ».
(44) Rouen, ch. corr., 14 déc. 2005, préc.
(45) TGI Paris, 17e ch., 25 oct. 2011, préc.
(46) Versailles, 8e ch., 18 févr. 2016, préc.
(47) X. Daverat, Un an de droit de la musique, CCE avr. 2019, no 4, chron. 6.
(48) V. en ce sens, la relaxe d'un rappeur antibois poursuivi sur le fondement du délit de diffamation publique envers un citoyen chargé d'un mandat public pour les paroles d'une de ses chansons visant le maire de Nice, et faisant allusion à certains goûts de luxe de l'intéressé, à des pratiques policières douteuses, à la mafia et à une situation de non-droit, sans rapporter de fait précis. La cour a considéré que « la cour d'appel, qui a souverainement analysé la portée des éléments extrinsèques invoqués par la partie civile, a, à bon droit, retenu que les propos incriminés n'imputaient aucun fait précis, portant atteinte à l'honneur et à la considération de la partie civile et de nature à être, sans difficulté, l'objet d'une preuve ou d'un débat contradictoire », Crim. 28 févr. 2018, no 17-81.123.
(49) X. Daverat, Un an de droit de la musique, préc.
(50) V., N. Droin, Le juge et le rap, préc., spéc. p. 1390-1393.
(51) TGI Paris, 17e ch., 8 déc. 2017, no 16237000118, Légipresse 2018. 192 et les obs..
(52) TGI Paris, 17e ch., 19 mars 2019, no 18269000625, Légipresse 2019. 200, et les obs..
(53) On sera néanmoins un peu plus critique sur l'accueil de la constitution de partie civile des associations de lutte contre le racisme, dans la mesure les personnes de couleur blanche n'appartiennent pas à une ethnie ou une nation déterminée…
(54) V. égal., la conclusion de L. François, Provocation à la discrimination : consolidation du choix de la « rigueur », préc.