La directive sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique[[note:1]] ou « DAMUN » a occupé l'espace médiatique et politique depuis plusieurs mois, avec divers rebondissements épiques, et notamment à propos de ses fameux articles 15 et 17. Une autre directive a été publiée le même jour, tout aussi importante, mais qui a moins retenu l'attention générale : la directive (UE) 2019/789 du 17 avril 2019 « établissant des règles sur l'exercice du droit d'auteur et des droits voisins applicables à certaines transmissions en ligne d'organismes de radiodiffusion et de retransmissions de programmes de télévision et de radio, et modifiant la directive 93/83/CEE du Conseil », qu'il reviendra aux États membres de transposer d'ici le 7 juin 2021. Le présent article a pour objectif de présenter les apports essentiels de cette autre directive et certaines de ses conséquences pratiques, ce qui nécessite de revenir sur l'histoire de la relation parfois mouvementée entre le droit d'auteur appliqué à la diffusion de programmes de télévision et de radio, et le droit européen. Compte tenu de la richesse des sujets, l'article n'abordera toutefois pas toutes les questions posées par le texte.
Depuis les origines de l'Union européenne, un des objectifs affirmés de la Commission européenne est de créer un marché unique sans entrave à l'échelle européenne, et plus particulièrement, un espace audiovisuel unique. Il s'agit, selon la Commission, de garantir un plus large accès aux contenus dans l'Union et de toucher de nouveaux publics. L'objectif entre alors nécessairement en contradiction avec la structure même d'un droit d'auteur et de droits voisins reposant sur des ...
Gilles Vercken
Avocat au Barreau de Paris Cabinet Vercken & Gaullier
Virginie Tabary
Avocat au Barreau de Paris
Cabinet Vercken & Gaullier
18 juillet 2019 - Légipresse N°372
9616 mots
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(1) Dir. (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avr. 2019 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE.
(2) V., V. L. Benabou, Droits d'auteur, droits voisins et droit communautaire, Bruylant, Bruxelles, 1997.
(3) V. Les positions exprimées in Observatoire Européen de l'Audiovisuel, Online (re)transmission of TV programmes – Summary of the workshop, 21 juin 2017, www.obs.coe.int.
(4) Si on écarte les « débordements » territoriaux, liés à la diffusion hertzienne, qui avaient déjà suscité des débats juridiques.
(5) Cf. not. Memorandum des secrétariats (Bureau international de l'OMPI et Secrétariat de l'UNESCO), Œuvres audiovisuelles et phonogrammes, Document préparatoire pour le Comité d'experts gouvernementaux OMPI/UNESCO, 26 mars 1986 in Le Droit d'auteur, OMPI, juill.-août 1986, no 7-8, p. 184 et s., et tout particulièrement :- Principe AW 13 : « (…) le processus de communication se situe à la fois dans le pays qui est à l'origine des signaux porteurs de programmes et dans tous les pays qui sont couverts par l'“empreinte” du satellite (et au public desquels les œuvres audiovisuelles ainsi communiqués (diffusées) sont destinés) » ;- Principe AW 14 : « (…) les lois nationales applicables sont à la fois la loi du pays qui est à l'origine des signaux porteurs du programme et la loi de chaque pays couvert par l'“empreinte” du satellite (…) ».
(6) V., Les accords CISAC de Sydney de 1987 décrits par Dr. M. Ficsor, in La gestion collective du droit et des droits connexes, OMPI, Genève, 2002, p. 117 et s.
(7) Sur l'ensemble de ces questions et des débats juridiques, v. l'excellente thèse d’E. Deliyanni, Le droit de représentation des auteurs face à la télévision transfrontalière par satellite et par câble, LGDJ, Paris, 1993.
(8) Dir. 93/83/CEE du Conseil, du 27 sept. 1993, relative à la coordination de certaines règles du droit d'auteur et des droits voisins du droit d'auteur applicables à la radiodiffusion par satellite et à la retransmission par câble.
(9) V. Règl. (UE) 2017/1128 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 relatif à la portabilité transfrontalière des services de contenu en ligne dans le marché intérieur.
(10) Pour ceux qui veulent tout savoir sur le sujet sans oser le demander, nous renvoyons à l'avis du Conseil de la Propriété intellectuelle Belge en date du 30 mars 2017, intitulé « La technique de l'injection directe de signaux porteurs de programmes dans les réseaux câblés : implications en matière de droits d'auteur et actualité ». On remarquera aussi que le terme « directe » est trompeur, puisqu'il y a bien l'intervention d'un tiers pour transmettre le signal au public – ce qui serait mieux reflété par le terme « indirecte ». Mais c'est bien l'injection de l'organisme de radiodiffusion au distributeur qui est « directe ».
(11) Dir. 2014/26/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 févr. 2014 concernant la gestion collective du droit d'auteur et des droits voisins et l'octroi de licences multiterritoriales de droits sur des œuvres musicales en vue de leur utilisation en ligne dans le marché intérieur.
(12) Sur la distinction entre distributeurs autonomes ou non autonomes, v. CJUE 13 oct. 2011, aff. C-431/09 et C-432/09, Airfield e.a. c/ Agicoa Belgium BVBA, D. 2012. 2836, obs. P. Sirinelli ; RTD com. 2011. 750, obs. F. Pollaud-Dulian.
(13) Sauf limitations imposées par le contrat entre l'organisme et le titulaire des droits sur le film, la liberté contractuelle ayant été préservée.
(14) Ou ceux de la dir. 2018/1808 du 14 nov. 2018, particulièrement complexe, qui a notamment modifié l'art. 2, § 3, b) de la dir. 2010/13 dite « SMA » du 10 mars 2010.
(15) V. not. son art. 5, § 3 (exception d'enseignement), ou encore son art. 9, § 2 (œuvres et autres objets protégés indisponibles dans le commerce).
(16) EBU, ECSA, GESAC et ICMP, Recommendation for the licensing of broadcast-related online activities, 4 avr. 2014.
(17) V., Dir. 2014/26/UE, préc., art. 32 : « Les exigences du présent titre ne s'appliquent pas aux organismes de gestion collective lorsqu'ils octroient, sur la base de l'agrégation volontaire des droits demandés, dans le respect des règles de concurrence au titre des articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, une licence multiterritoriale de droits en ligne sur des œuvres musicales demandés par un radiodiffuseur afin de communiquer au public ou de mettre à la disposition du public ses programmes de radio ou de télévision au moment même de leur première diffusion ou ultérieurement, de même que tout contenu en ligne, y compris les prévisualisations, produit par ou pour le radiodiffuseur qui présente un caractère accessoire par rapport à la première diffusion de son programme de radio ou de télévision ».
(18) Mais la solution laisse perdurer la limite territoriale au titre de la radiodiffusion elle-même, et les problématiques que pose cette limite en cas de rattachement possible à plusieurs pays. De plus la mise à disposition est exclue (v. CJUE 14 juill. 2005, aff. C-192/04, Lagardère Active Broadcast, pt 19 : « (…) dans le cas d'une radiodiffusion telle que celle en cause au principal, la directive 93/83/CEE du Conseil, du 27 septembre 1993, relative à la coordination de certaines règles du droit d'auteur et des droits voisins du droit d'auteur applicables à la radiodiffusion par satellite et à la retransmission par câble, ne s'oppose pas à ce que la redevance pour l'utilisation de phonogrammes soit régie non seulement par la loi de l'État membre sur le territoire duquel est établie la société émettrice, mais également par la législation de l'État membre dans lequel se situe, pour des raisons techniques, l'émetteur terrestre diffusant ces émissions en direction du premier État », RTD com. 2005. 728, obs. F. Pollaud-Dulian.
(19) Et alors que l'écoute de la radio par les services sur internet augmente de plus en plus (v. CSA, Rapport, Radio musicales et streaming audio, publié le 25 janv. 2019).
(20) CJUE 16 mars 2017, aff. C-138/16, AKM / Zürs.net, RTD com. 2018. 95, obs. F. Pollaud-Dulian.
(21) Sur la gestion collective obligatoire et ses justifications, voir la thèse incontournable de Sylvie Nérisson, La gestion collective des droits des auteurs en France et en Allemagne : quelle légitimité ?, IRJS, Paris, 2013, p. 295.
(22) Avec parfois l'exigence des organismes de radiodiffusion de percevoir une partie des rémunérations du producteur générées par la retransmission.
(23) CJUE 1er juin 2006, aff. C-169/05, Uradex, pt 19 et s., RTD com. 2006. 603, obs. F. Pollaud-Dulian.
(24) CJUE 1er mars 2017, aff. C-275/15, ITV Broadcasting Limited e.a. c/ TVCatchup Limited e.a., pts 20 et 21, D. 2017. 506 ; Dalloz IP/IT 2017. 465, obs. V.-L. Benabou ; JAC 2017, n° 45, p. 12, obs. E. Scaramozzino , ou encore CJUE 7 déc. 2006, aff. C-306/05, SGAE, pt 30, D. 2007. 1236, obs. J. Daleau, note B. Edelman ; RTD com. 2007. 85, obs. F. Pollaud-Dulian.
(25) La Belgique a été précurseur en adoptant une loi relative à l'injection directe dès le 25 novembre 2018, dont la définition est similaire à celle de la directive (v. Loi modifiant le livre I « Définitions » et le livre XI « Propriété intellectuelle » du code de droit économique concernant le secteur audiovisuel, numac2018014991, art. 2). Le texte est d'ailleurs beaucoup plus clair et protecteur des titulaires de droits que la directive.
(26) CJUE 19 nov. 2015, aff. C-325/14, SBS c/ SABAM, Dalloz IP/IT 2016. 85, obs. V. L. Benabou ; JAC 2016, n° 31, p. 6, obs. E. Scaramozzino ; RTD com. 2016. 110, obs. F. Pollaud-Dulian.
(27) Dir. 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information, art. 3.1 : « Les États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d'autoriser ou d'interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l'endroit et au moment qu'il choisit individuellement ».
(28) V., par ex., E. Ulmer, Protection des auteurs lors de la transmission par satellite des programmes de radiodiffusion, RIDA no 93, juill. 1977, p. 5 et s., ou encore C. Masouyé, Quid du droit d'auteur dans l'utilisation des satellites spatiaux ?, RIDA no 72, avr. 1972, p. 11 et s.
(29) V. les décisions hollandaises « Norma » et « Chellomédia » citées in C. Caron, La transmission d'œuvres et d'interprétations vers et à partir d'un satellite ou vers un organisme de radiodiffusion par câble relève-t-elle des monopoles ?, CCE 2009. Étude 21.
(30) V., par ex., V. L. Benabou, Arrêt SBS : l'injection directe n'est pas un acte de communication au public, Dalloz IP/IT 2016. 85 ; F. Jean et J. Grosslerner, Télévision – éditeur, distributeur : qui communique au public ? (et qui doit payer ?), Legipresse no 340, juill./août 2016, p. 415 ; J.-M. Bruguière, Prop. intell. no 58, janv. 2016, chron. p. 49, ou encore F. Pollaud-Dulian, Droit de communication au public. Satellite. Injection directe, RTD com. 2016. 110.
(31) En ce sens, v. not. A. Lucas-Schloetter, Télévision numérique et droit de communication au public, LEPI 1/2016, no EDPI-216003-21601, p. 2 ; V. L. Benabou, préc. ; F. Jean et J. Grosslerner, préc.
(32) P. Sirinelli, Le droit de communication au public, RIDA no 256, avr. 2018, p. 57 et s.
(33) E.-P. Rochiccioli, Point de vue sur la législation applicable aux nouveaux médias, en France, dans le domaine des droits d'auteurs, RIDA no 148, avr. 1994, p. 17 et s.
(34) D. Gaudel, La distribution par câble et la diffusion par satellite des œuvres de l'esprit in Droit d'auteur et droits voisins. La loi du 3 juillet 1985, Colloque de l'IRPI (Paris, 21 et 22 nov. 1985), Librairies Techniques, 1986, p. 67 et s., spéc. p. 78.
(35) E.-P. Rochiccioli, préc., p. 41.
(36) La disposition fait alors écho à l'art. 11 bis de la Convention de Berne, dont le 1° du premier alinéa reconnait aux auteurs le droit d'autoriser la radiodiffusion de leurs œuvres, et le 2° dudit alinéa le droit d'autoriser la communication au public, par fil ou sans fil, de l'œuvre ainsi radiodiffusée, « lorsque cette communication est faite par un autre organisme que celui d'origine ».
(37) Au début des travaux préparatoires de la loi du 3 juillet 1985, la disposition devenue l'art. L. 132-20, 3°, visait pourtant toutes les hypothèses d'émission vers un satellite, sans distinction selon que l'organisme de radiodiffusion diffusait par ailleurs ses signaux par voie hertzienne, ou par tout autre moyen que ce soit (v. par. ex., D. Gaudel, préc., not. p. 78).
(38) En ce sens, v. not., A. Lucas-Schloetter, préc. ; L. Marino, op. cit. (à quel endroit ???) ; V. L. Benabou, préc. ; F. Jean et J. Grosslerner, préc.
(39) CISAC, Rapport sur les collectes mondiales 2018 – Données de 2017, nov. 2018, p. 19 et 21.
(40) Étude de Ampere Analysis – non publiée – citée in SAA, « Une étude montre que l'injection directe est la principale technique de transmission en Europe », www.saa-authors.eu.
(41) Reste à déterminer si cette analyse concrète doit se faire par pays, ou sur l’ensemble de l’Union européenne.
(42) Nous renvoyons également à ce propos à la décision de la Cour de cassation belge en date du 30 sept. 2016, qui avait indiqué que faute de « retransmission », le régime de la gestion collective de la dir. 93/83/CEE ne trouvait pas à s'appliquer, ainsi qu'à l'avis du Conseil de la propriété intellectuelle belge du 30 mars 2017 préc.
(43) E.-P. Rochiccioli, préc., p. 51.
(44) V. dir. 2014/26/UE, préc., art. 16, transposé en droit français à l'art. L. 324-6 du CPI.
(45) V. dir. 2014/26/UE, préc., art. 21.
(46) V. la dernière version du projet de traité, publiée le 24 avr. 2019 sur le site de l'OMPI (« Texte de synthèse révisé sur les définitions, l'objet de la protection, les droits à octroyer d'autres questions », 5 avr. 2019, SCCR/38/10).