(auteur, réf. de texte ou de décision…)
Recherche
(auteur, réf. de texte ou de décision…)
Enews Legipresse
Le club Légipresse
Vidéos
Jusqu'où une juridiction peut-elle contraindre un réseau social à procéder au retrait de contenus diffamatoires ? L'avocat général de la CJUE rend ses conclusions
Une injonction de cessation de diffusion de commentaires diffamatoires (voire injurieux), délivrée par une juridiction à un hébergeur qui exploite un réseau social, peut-elle être étendue à des déclarations textuellement identiques et/ou de contenus équivalent à ceux ayant été qualifiés d’illicites par la juridiction saisie, et ce au niveau mondial ?
Ces questions sont posées à la CJUE par la Cour suprême autrichienne, à l’occasion d’un litige opposant une députée et porte-parole des Verts à Facebook, à la suite de la publication, par un utilisateur du réseau social, de commentaires la concernant : « sale traîtresse du peuple », « idiote corrompue », membre d’un « parti de fascistes ». Ces commentaires pouvaient être consultés par tout utilisateur. La députée demandait le retrait des allégations identiques et/ou de « contenus équivalents ».
Ainsi, la CJUE va être invitée à préciser les portées personnelles et matérielle des obligations qui peuvent être imposées à un hébergeur, sans que cela conduise à imposer une obligation générale en matière de surveillance, interdite en vertu de l’article 15, par. 1, de la directive 200/31/CE sur le commerce électronique. L’avocat général Szpunar a rendu, le 4 juin, ses conclusions. Il faudra attendre plusieurs mois avant de savoir si la Cour les suivra.
Concernant les informations identiques à celle ayant été qualifiées d’illicites
Au terme d’une analyse détaillée de la directive et de la jurisprudence de la Cour en la matière, M. Szpunar conclut que la surveillance active n’est pas inconciliable avec la directive 2000/31, dès lors que son objet est ciblé sur le cas spécifique d’une atteinte. En outre, il rappelle que le caractère ciblé d’une obligation en matière de surveillance devrait être envisagé, en prenant en considération la durée de cette surveillance ainsi que les précisions relatives à la nature des atteintes visées, à leur auteur et à leur objet.
Il en conclut que Facebook peut être contrainte de rechercher et d’identifier tous les commentaires identiques à un commentaire dont l’illicéité a été constatée. Les « informations identiques » visent les reproductions manuelles et exactes de l’information qualifiée d’illicite ainsi que les reproductions automatisées, effectuées grâce à la fonction de « partage ».
Les informations équivalentes à celle ayant été qualifiées d’illicites
L’avocat général observe d’emblée que la notion de « commentaires équivalents » donne lieu à des difficultés d’interprétation, la juridiction de renvoi ne précisant pas le sens de ces expressions. Il déduit toutefois que cette référence vise les informations qui « divergent à peine » de l’information initiale ou les situations dans lesquelles « le message reste, en substance, inchangé ». Ainsi, pour M. Szpunar une reproduction de l’information ayant été qualifiée d’illicite comportant une erreur de frappe ainsi que celle ayant une syntaxe ou ponctuation nuancée, constitue une « information équivalente ». Toutefois, il n’est « pas évident que l’équivalence visée par la deuxième question n’aille pas au-delà de tels cas », prend-il le soin de préciser. Il observe en outre que contrairement aux violations de droit de propriété intellectuelle, il est « inhabituel qu’un acte diffamatoire reprenne les termes exacts d’un acte de même nature ». Aussi, la simple référence à des actes de même nature ne pourrait pas jouer le même rôle qu’en matière de violation du droit de propriété intellectuelle.
En tout état de cause, et dès lors que sont susceptibles d’être affectés la portée d’une obligation en matière de surveillance ainsi que l’exercice des droits fondamentaux en présence, l’avocat général énonce qu’une juridiction statuant sur le retrait de telles informations équivalentes doit garantir que les effets de son injonction sont clairs, précis et prévisibles. Ce faisant, celle-ci doit mettre en balance les droits fondamentaux en présence et tenir compte du principe de proportionnalité.
Ainsi, l’avocat général est d’avis qu’un hébergeur peut être contraint d’identifier des informations équivalant à celle qualifiée d’illicite dès lors que celles-ci proviennent du même utilisateur. Il conviendrait alors de lui assurer la possibilité de contester, devant un juge, les mesures d’exécution adoptées par un hébergeur au cours de la mise en œuvre d’une injonction. En revanche, l’identification d’informations équivalant à celle qualifiée d’illicite provenant d’autres utilisateurs nécessiterait la surveillance de la totalité des informations diffusées au moyen d’une plateforme de réseau social. Cela irait à l’encontre du rôle neutre du prestataire, conduirait à une censure, et n’assurerait pas de juste équilibre entre la protection des droits de la personnalité, la liberté d’entreprise et la liberté d’expression. En outre, cela nécessiterait de développer des solutions techniques coûteuses pour l’hébergeur.
Sur la question du retrait au niveau mondial
L’avocat général examine enfin la question de savoir si un hébergeur peut être contraint de retirer des contenus qui ont été qualifiés d’illicites en vertu du droit national d’un État membre, non seulement au niveau de cet État membre, mais également au niveau mondial.
A titre liminaire, il observe que contrairement aux règles de compétence, le droit de l’Union n’a pas harmonisé les règles matérielles en matière d’atteinte à la vie privée et aux droits de la personnalité, y compris la diffamation, ni les règles de conflit en la matière. La situation est donc a priori différente de celle concernant la portée territoriale du déréférencement dans l’affaire Google, sur laquelle le même avocat Szpunar a rendu ses conclusions en janvier dernier, dans la mesure où les règles en matière de protection des données sont harmonisées.
Puis, l’avocat général analyse :
-L’étendue territoriale de la compétence des juridictions d’un État membre
La directive « commerce électronique » ne réglemente pas la compétence pour statuer sur des injonctions. En revanche, les règles de compétence du Règlement n° 1215/20012 s’appliquent aux litiges en matière de suppression de contenus diffamatoires mis en ligne. Contrairement à ce que soutient Facebbok, l’avocat général juge qu’en principe, la juridiction d’un Etat membre peut statuer sur le retrait de contenus en dehors du territoire de cet État membre, l’étendue territoriale de sa compétence ayant un caractère universel. Ainsi, une juridiction d’un État peut être empêcher de statuer sur un retrait au niveau mondial, non pas en raison d’une question de compétence mais d’une question de fond.
-La portée territoriale d’une obligation de retrait
L’avocat général observe que rien n’indique que la situation de l’espèce en cause puisse relever du champ d’application du droit de l’Union et, partant, des règles de droit international ayant une incidence sur l’interprétation du droit de l’Union. Par conséquent, il considère que la portée territoriale d’une obligation de retrait imposée à un hébergeur dans le cadre d’une injonction n’est réglementée ni par l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2000/31, ni par aucune autre disposition de cette directive.
Il en conclut que cette disposition ne s’oppose pas à ce qu’un hébergeur soit contraint de retirer des informations diffusées au moyen d’une plateforme de réseau social au niveau mondial.
Toutefois « tant par souci d’exhaustivité que dans l’hypothèse où la Cour ne suivrait pas » sa proposition, l’avocat général prend le soin de formuler quelques remarques supplémentaires en ce qui concerne le retrait des informations diffusées au moyen d’une plateforme de réseau social au niveau mondial. Évoquant notamment « la courtoisie internationale », il juge que la juridiction devrait dans la mesure du possible, limiter les effets extraterritoriaux de ses injonctions en matière d’atteinte à la vie privée et aux droits de la personnalité. Ainsi, au lieu de supprimer le contenu, la juridiction pourrait le cas échéant, ordonner de rendre impossible l’accès à ces informations à l’aide du géoblocage.