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La publication d'un communiqué judiciaire ordonnée à titre de réparation civile complémentaire jugée disproportionnée
Le directeur de la publication du Monde, ainsi que deux journalistes, ont été condamnés pour diffamation publique envers un particulier, en qualité d'auteur et de complices, à respectivement 1 000 et 1 500 euros d'amende chacun, de même qu'à des intérêts civils, pour avoir publié sur le site internet du journal un article intitulé "Swissleaks : révélations sur un système international de fraude fiscale" puis, le surlendemain un dossier dans le quotidien intitulé "Comptes secrets en Suisse ; le Gotha des évadés fiscaux français". La partie civile, un célèbre acteur américain visé par les articles, incriminait les passages suivants : "Leur révélation est susceptible d'embarrasser de nombreuses personnalités, de l'humoriste français Gad Elmaleh au roi du Maroc Mohamed VI en passant par l'acteur américain John Malkovitch" ; "Le Gotha des évadés - Les clébrités - L'acteur américain M. Malkovitch a déclaré n'avoir pas connaissance du compte à Genève qui porte son nom".
La Cour de cassation, dans un premier temps, rejette les griefs des journalistes contre l'arrêt d'appel, qui, selon elle, reviennent à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances extrinsèques aux propos litigieux, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus. Ainsi, c'est à bon droit que la cour a estimé que les propos litigieux laissaient entendre que la partie civile avait participé à un vaste mouvement d'évasion fiscale impliquant d'autres personnes en vue, et que cette imputation est de nature à porter atteinte à l'honneur et à la considération de l'intéressé. D'autre part, une telle allégation, qui ne procédait pas d'une enquête sérieuse sur la situation spécifique de cette personnalité, ne reposait pas sur une base factuelle suffisante pour justifier que les prévenus puissent exciper de leur bonne foi à son égard, en dépit de l'intérêt général s'attachant au sujet sur lequel portaient les publications en cause.
En revanche, la Cour, au visa de l'art. 10 de la Conv. EDH et 593 du code de procédure pénale rappelle que la liberté d'expression ne peut être soumise à des ingérences que constituent les réparations civiles que dans les cas où celles-ci, prévues par la loi et poursuivant un but légitime dans une société démocratique, constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 de l'art. 10 et ne portent pas une atteinte disproportionnée à l'exercice de cette liberté. En outre, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
En l'espèce, l'arrêt a confirmé la décision des premiers juges d'ordonner, à titre de réparation civile complémentaire, une mesure de publication d'un communiqué judiciaire, pour la durée d'un mois consécutif, tant sur la page d'accueil du site internet du journal que sur la première page du journal, en prescrivant que la taille des caractères du texte soit portée de 0.5 cm à 1.5 cm. La Cour de cassation juge qu'en se déterminant ainsi, sans répondre à l'argumentation développée par les prévenus et la société éditrice, civilement responsable, dans leurs conclusions régulièrement déposées devant elle, selon laquelle une telle mesure de publication, exceptionnelle dans son principe et ses modalités, excédait ce qui était strictement nécessaire à la réparation intégrale du préjudice invoqué par la partie civile et s'apparentait dès lors à une sanction non prévue par la loi et, en tout état de cause, disproportionnée au regard de l'atteinte portée à la liberté d'expression du journal en question, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
L'arrêt est cassé en ses seules dispositions ordonnant la double publication d'un communiqué judiciaire. Toutes les autres dispositions sont expressément maintenues.