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Droit à l'oubli
/ Cours et tribunaux
12/11/2018
Archives de presse en ligne versus droit à l’oubli : la Cour européenne tranche en faveur du droit du public à l’information
Deux ressortissants allemands condamnés en 1993 pour l’assassinat d’un acteur populaire, dénonçaient devant la Cour EDH le refus des juridictions nationales d’interdire à une station de radio et deux journaux de garder accessibles sur leurs sites internet des reportages relatifs à leur procès et leur condamnation. Ils se plaignaient devant la Cour EDH d’une atteinte à leur droit au respect de leur vie privée (art. 8).
La Cour souligne la fonction accessoire de la presse consistant à constituer des archives à partir d'informations déjà publiées et à les mettre à la disposition du public.
Mettant en œuvre les critères précédemment énoncés dans le contexte de la mise en balance des droits en présence (vie privée / liberté d'expression), elle souligne notamment que la manière de traiter un sujet relève de la liberté d'expression journalistique et que l'art. 10 de la Conv. EDH laisse aux journalistes le soin de décider quels détails doivent être ou non publiés, sous la condition que ces choix répondent aux normes éthiques et déontologiques de la profession.
Aux termes de son examen, la Cour juge que l’Etat allemand n'a pas manqué à ses obligations positives de protéger le droit des requérants au respect de leur vie privée.
Le corpus jurisprudentiel sur le « droit à l’oubli » ne cesse de s’enrichir. Après le fondamental et abondamment commenté arrêt Google Spain de la Cour de justice de l’Union européenne en 2014 (1), et un arrêt aussi net que celui rendu le 26 mai 2016 par la Cour de cassation(2), c’est au tour de la Cour européenne des droits de l’Homme d'exprimer sa doctrine sur cette question et sur la problématique des archives de presse en ligne.
La Cour de Strasbourg a déjà ...
Cour européenne des droits de l'homme, 28 juin 2018, M.L et W.W c/ Allemagne
Renaud Le Gunehec
Avocat au Barreau de Paris - Normand et associés
Johanna Prévost
Avocat au Barreau de Paris
12 novembre 2018 - Légipresse N°363
3766 mots
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(1) CJUE,13 mai 2014, affaire n° C-132/12, Google Spain
(2) Civ 1re, 26 mai 2016, n°15-17729.
(3) CEDH, 20 mars 2009, Times Newspapers Ltd c. Royaume-Uni (n°1 et 2), requêtes n°3002/03 et 23676/03, dans le cadre d’un débat sur le régime de prescription des procédures de presse en Common Law.
(4) CEDH, 16 juillet 2013, Wegrzynowski et Smolczewski c. Pologne, requête n°33846/07.
(5) Non définitif au jour de la publication de cet article. En application des articles 43 et 44 de la Convention, les requérants peuvent demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre. Mais on sait à quel point la CEDH est avare de ce type de renvoi.
(6) Dossiers publiés sur les sites internet de la station de radio Deutschlandradio, de l’hebdomadaire Der Spiegel et du quotidien Mannheimer Morgen. L’affaire avait été d’autant plus médiatisée que la victime était un acteur de théâtre et de cinéma très populaire en Allemagne, Walter Sedlmayr, membre historique de la Kammerspiele de Munich et révélé au grand public au début des années 70 par les films de Rainer Werner Fassbinder et Hans-Jürgen Syberberg.
(7) Articles 17 du règlement 2016/679 du 27 avril 2016 et 40 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.
(8) Critères rappelés notamment dans Satakunnan Markkinapörssi Oy et Satamedia Oy c. Finlande du 27 juin 2017 (n°931/13), que la Cour mentionne dans sa décision.
(9) Dans le même sens la Cour cite son arrêt Axel Springer AG c. Allemagne du 7 février 2012 (n° 39954/08).
(10) Cass. Crim, 12 déc. 2017, n°16-86297
(11) Dans le champ de la protection des données à caractère personnel, on sait que cette question se pose au travers de la notion de durée nécessaire de conservation des données traitées, et de leur éventuelle péremption (article 40 de la loi informatique et libertés). Mais cette notion de durée du traitement est étrangère à la presse, qui n’en est pas redevable (article 67 de la loi).
(12) Préc.
(13) §90 : « les archives numériques constituent en effet une source précieuse pour l’enseignement et les recherches historiques, notamment en ce qu’elles sont immédiatement accessibles au public et généralement gratuites ».
(14) Il y a de nombreux points de contact entre les deux champs juridiques. A commencer par les notions de mise en balance des intérêts et de proportionnalité qui se trouvent énoncées très nettement dans le quatrième considérant de principe du RGPD : « le traitement des données à caractère personnel devrait être conçu pour servir l'humanité. Le droit à la protection des données à caractère personnel n'est pas un droit absolu ; il doit être considéré par rapport à sa fonction dans la société et être mis en balance avec d'autres droits fondamentaux, conformément au principe de proportionnalité ».
(15) Cf. §§ 80 et 85 de l’arrêt Google Spain : « Le traitement de données à caractère personnel réalisé par l’exploitant d’un moteur de recherche est susceptible d’affecter significativement les droits fondamentaux au respect de la vie privée » (…) « Le traitement par l’éditeur d’une page web, consistant dans la publication d’informations relatives à une personne physique, peut, le cas échéant, être effectué «aux seules fins de journalisme» et ainsi bénéficier, en vertu de l’article 9 de la directive 95/46, de dérogations aux exigences établies par celle-ci, tandis que tel n’apparaît pas être le cas s’agissant du traitement effectué par l’exploitant d’un moteur de recherche ». Cette dérogation, qui fait qu'en pratique les problématiques liées au traitement de données à caractère personnel sont presque totalement étrangères à la presse en ligne -pour son activité éditoriale du moins- se retrouve comme on sait à l'article 67 de notre loi informatique et libertés et à l'article 85 du RGPD.
(16) § 97 de l’arrêt : « la Cour note d’abord que c’est avant tout en raison des moteurs de recherche que les informations sur les requérants tenues à disposition par les médias concernés peuvent facilement être repérées par les internautes (…) les moteurs de recherche ne faisant qu’amplifier la portée de l’ingérence en question »