01/05/2014
« Parce que l'audiovisuel est toujours plus complexe et diversifié, la régulation doit être profondément modulée »
Les 29 avril et 6 mai derniers, le président du Conseil supérieur de l'audiovisuel, Olivier Schramek, a présenté le rapport annuel 2013 du Csa devant les commissions chargées des affaires culturelles du Sénat et de l'Assemblée nationale. Au-delà du bilan de l'activité du Conseil, le rapport comporte des propositions de modification de nature législative et réglementaire.
Nous reproduisons ici des extraits de cette intervention, qui insiste sur une nécessaire reconnaissance, pleine et entière, de la fonction de régulation économique incombant au Csa.
Celle-ci est notamment indispensable à l'accompagnement de la transition numérique.
Olivier Schrameck
Président du Conseil supérieur de l'audiovisuel
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«Cette audition devant la Commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale, après celle qui s'est tenue devant le Sénat le 29 avril, pour présenter, au nom du Conseil supérieur de l'audiovisuel, son rapport annuel pour l'année 2013 est pour moi une rencontre essentielle. Adopté en collège plénier le 12 mars, dès le premier trimestre de l'année, ce rapport a été adressé, conformément aux prescriptions législatives, au président de la République, au gouvernement et au Parlement.
Il m'apparaît très significatif que la loi du 15 novembre 2013 sur l'indépendance de l'audiovisuel public ait prévu la présentation du rapport devant les commissions chargées des affaires culturelles des deux assemblées.
Dès ma première audition devant vous, j'ai insisté sur l'importance primordiale que j'attachais à l'établissement d'une relation régulière, confiante et dense avec le Parlement, essentielle à la légitimité de l'autorité publique indépendante que je préside.
Ce lien s'est concrètement traduit tout au long de l'année 2013 par plusieurs auditions de moi-même et des autres membres du collège devant les parlementaires, que ce soit à l'occasion des débats sur la loi sur l'indépendance de l'audiovisuel public, ou à propos de thématiques particulières telles que le déploiement de la Tnt, le cinéma ou le sport.
[
] C'est donc inspirés par une conception de la régulation, incitative, itérative et participative, que nous exerçons nos missions tenant à la défense des principes de l'État de droit et de ses valeurs sociales et culturelles. Mais celles-ci dépendent également de la situation économique du secteur et du bon fonctionnement des marchés de l'audiovisuel, qui sont des conditions essentielles de la liberté de communication comme de la sauvegarde du pluralisme et de la promotion de la diversité culturelle.
Conscient du caractère fondamental de cette dimension économique de la régulation audiovisuelle, présente dès l'origine, le législateur a ouvert la voie de son renforcement. En 2013, ce rôle économique s'est illustré de multiples façons.
[
] La fonction économique du Conseil en 2013 s'est également traduite par une activité très soutenue d'observation, d'expertise et d'analyse, à travers notamment des avis à l'Autorité de la concurrence ou la publication de plusieurs études sur l'économie des médias. Ce sont au total plus de vingt avis et plus de trente études que le Csa a adoptés cette année.
Cette activité témoigne en particulier de l'attachement porté par le Conseil au soutien à la création culturelle, son financement et son exposition dans les médias. Un tel enjeu se situe au confluent des aspects socioculturels et économiques de la régulation, dont il illustre le caractère indissociable. À cet égard, en 2013, nous avons par exemple analysé l'exposition de la musique à la radio, de même que la mise en oeuvre du décret sur les services de médias audiovisuels à la demande (Smad). Sur ce dernier point, l'émoi suscité par l'arrivée prochaine en France du service américain Netflix révèle l'importance cruciale accordée par les acteurs français au développement de leurs services de vidéo à la demande. Notre bilan fait ressortir que la réglementation soulève, notamment par sa complexité, de réelles difficultés d'application, tant pour les éditeurs que pour le régulateur. Le Conseil y formule des préconisations en faveur d'une simplification du régime applicable aux Smad et un assouplissement de son cadre réglementaire,
afin de stimuler le développement des services numériques et d'encourager leur installation sur le territoire français.
La loi du 15 novembre 2013 a significativement ouvert la voie à une approche plus réactive et plus éclairée économiquement, notamment en développant le recours aux études d'impact préalables à nos décisions. Nous avons souhaité réfléchir aux conditions dans lesquelles le Csa pourrait accomplir pleinement sa mutation en devenant un véritable régulateur économique, dans une triple perspective.
La première est celle du fonctionnement des marchés de l'audiovisuel, qu'il s'agisse de l'acquisition des droits, de la distribution ou encore de la publicité. Nous souhaitons que soit affirmée par le législateur notre nécessaire mission d'analyse de ces marchés, consistant à les identifier, les délimiter, en apprécier le fonctionnement concurrentiel, préfigurer et anticiper leurs évolutions, afin de fournir aux opérateurs les indications claires et transparentes indispensables à la conduite de leurs projets.
Le deuxième aspect est celui des relations entre les acteurs de l'audiovisuel, que le Conseil peut contribuer à faciliter et faire fructifier. La mission de règlement des différends et de conciliation qui incombe au Csa est encore partielle, dès lors que tous n'y ont pas accès. Nous proposons la généralisation de cette compétence, conforme à notre vocation d'accueil et de dialogue.
Notre troisième préoccupation afférente à nos responsabilités économiques est celle de l'affirmation explicite d'une mission de gestion optimale du spectre. Au-delà de la faculté qui vient d'être ouverte de différer le lancement d'un appel à candidatures, nous devons garantir aux acteurs la meilleure utilisation possible de cette ressource rare et de très grande valeur du domaine public.
Cette reconnaissance pleine et entière de la fonction de régulation économique incombant au Csa est aussi indispensable à l'accompagnement de la transition numérique. En effet, la diversification des canaux de communication est un facteur d'émulation, mais porte en elle des effets potentiellement déstabilisants, notamment pour le financement de la création, du fait de l'inégalité des contraintes réglementaires entre services hertziens et non hertziens ou encore entre acteurs nationaux et non nationaux. Il importe d'appréhender l'économie de l'audiovisuel dans sa globalité, y compris dans ses composantes et ses potentiels numériques, conformément au principe de neutralité technologique.
Pour autant, il ne s'agit certainement pas de transposer aux nouveaux services numériques les modes de régulation aujourd'hui applicables aux télévisions et aux radios, et encore moins de conférer au Csa un quelconque pouvoir de censure à leur égard.
Parce que l'audiovisuel est toujours plus complexe et diversifié, la régulation doit être profondément modulée. Les spécificités et apports de l'internet, son caractère éminemment interactif et décentralisé, son indifférence aux frontières nationales, sa culture de liberté intransigeante, justifient une approche particulière, reposant sur la libre adhésion, l'incitation et l'encouragement des bonnes pratiques.
C'est le sens du dispositif de conventionnement volontaire que nous proposons. L'atout majeur de ce système réside dans sa souplesse, c'est-à-dire dans la variété des engagements qui peuvent être souscrits et des avantages qui peuvent être concédés en contrepartie. Toutes les entreprises qui le souhaitent, qu'elles soient internationales ou locales, déjà bien installées sur les marchés ou en phase de développement, pourraient ainsi être associées aux objectifs de la régulation.
* Vous avez vous-mêmes insisté dans la nouvelle rédaction de l'article 18 de la loi sur les coopérations et les convergences obtenues entre autorités de régulation européennes. Pour sa part, le Conseil s'est engagé dans la préfiguration d'un groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels, qui faisait défaut au secteur jusqu'à présent, en réunissant plusieurs de ses homologues européens à Paris en septembre 2013.
Des travaux préparatoires ont été conduits en novembre et décembre. À leur suite, la Commission européenne a décidé, le 3 février 2014, d'instituer ce groupe, connu maintenant sous l'acronyme Erga, et dont j'assurerai la présidence jusqu'en 2015 et la vice-présidence en 2016. Un mois après sa création, l'Erga s'est déjà réuni pour fixer le cadre d'un programme d'action que nous sommes actuellement en train d'élaborer.
Nous devrons nécessairement travailler à l'adaptation des directives : celle de 2010 sur les services de médias audiovisuels qui constitue le cadre commun du secteur au sein de l'Union, mais aussi celle de 2000 sur le commerce électronique, car la convergence numérique a considérablement renforcé la nécessité d'une actualisation et d'une plus grande articulation entre elles deux.
C'est notamment ce que nous avons souligné en juillet 2013, dans notre réponse au Livre vert de la Commission justement intitulé : « Se préparer à un audiovisuel totalement convergent ».
Ce cadre de travail sera également l'occasion d'aborder des thèmes comme l'affirmation de l'indépendance des autorités de régulation ou encore la liberté d'expression et le pluralisme. Sur l'ensemble de ces sujets, la France peut jouer un rôle pionnier, en adoptant des modes de régulation innovants dont elle pourra ensuite proposer l'extension à l'échelle européenne. »
1er mai 2014 - Légipresse N°316