01/07/2012
Proposition pour une nouvelle loi sur le secret des sources des journalistes
Le 11 juin dernier, à l'occasion d'une rencontre organisée avec l'Association de la presse judiciaire (Apj), la nouvelle garde des Sceaux Christiane Taubira a annoncé la présentation, fin 2012, d'un projet de loi sur le secret des sources des journalistes. Le nouveau dispositif viendrait remplacer l'actuelle loi du 4 janvier 2010. L'Apj n'a eu de cesse d'en demander l'abrogation et a posé les jalons en vue de l'élaboration d'un texte plus protecteur. Son président, Pierre-Antoine Souchard, nous présente ses principales propositions.
La loi du 4 janvier 2010 prévoit le principe de la protection des sources pour les « journalistes », dont elle donne une définition dans son article 2. Celle-ci devrait-elle être, selon vous, étendue ? La définition retenue dans notre actuelle législation ne correspond qu'en partie à la réalité de la profession, qui a considérablement évolué. Ces évolutions concernent notamment l'information sur internet, les pigistes et les nouveaux statuts comme celui des autoentrepreneurs. Nous souhaitons que cette protection soit donc élargie, en s'inspirant de la loi belge du 7 avril 2005 (1), à deux catégories de bénéficiaires : les journalistes, mais aussi les collaborateurs de la rédaction (2). On souhaite aussi que les sources puissent être elles-mêmes protégées, puisqu'elles ne le sont qu'indirectement, par le biais des journalistes. C'est le cas notamment des « donneurs d'alerte », ces personnes qui alertent les journalistes d'agissements illicites constatés soit dans leur entourage, soit au sein de leur entreprise. Prenons, par exemple, le cas d'une personne employée dans le secteur agroalimentaire qui découvre qu'elle travaille avec des aliments avariés
Ces personnes risquent elles-mêmes des sanctions pour avoir livré une information sensible.
La Cedh s'est prononcée pour la protection de ces « donneurs d'alerte », ou « whistleblowers ». La Cour a ainsi pu juger que le licenciement immédiat à la suite d'une plainte déposée contre l'entreprise viole l'article 10 de la Convention (3).
Dans quels cas pourrait-on admettre, selon vous, qu'il soit porté atteinte au secret des sources ? La loi française prévoit que l'on peut porter atteinte au secret des sources si « un impératif prépondérant d'intérêt public » le justifie.
Cette notion est relativement ambiguë. L'affaire des « fadettes » du Monde (accès aux factures téléphoniques détaillées de deux journalistes du journal dans le cadre du dossier « Woerth-Bettencourt ») illustre parfaitement les insuffisances du texte en vigueur.
Dans une autre affaire, le journaliste Romain Bolzinger a récemment porté plainte après l'exploitation illégale en 2010 de ses factures téléphoniques par l'Ipgn (4). La « police des polices » était intervenue dans le cadre d'une enquête dirigée par le procureur de Nanterre Philippe Courroye. Pour éviter ces ingérences, nous demandons que les sources d'information ne puissent être livrées « qu'à la requête du juge, si elles sont de nature à prévenir la commission d'infractions constituant une menace grave pour l'intégrité physique d'une ou de plusieurs personnes ». C'est vers un texte extrêmement protecteur, comme celui retenu en Belgique, que le législateur français doit se diriger.
S'agissant des perquisitions menées sur le lieu de travail ou au domicile d'un journaliste, la France a été condamnée deux fois par la Cedh en 2012. La loi française n'est donc manifestement pas en conformité avec la législation européenne
La loi française encadre les perquisitions, notamment dans une entreprise de presse, à l'article 56-2 du Code de procédure pénale.
Mais le texte renvoie à la loi de 2010 et donc toujours indirectement à cette notion floue d'« impératif prépondérant d'intérêt public »
Je ne pense pas qu'il faille prévoir des exceptions au cas par cas, limitativement énumérées. Car on pourra toujours envisager des hypothèses non prévues par la loi pour contourner la définition. Je pense que la seule exception possible est, là encore, la « menace grave pour l'intégrité physique d'une ou de plusieurs personnes ». L'Apj s'est félicitée de la décision rendue le 28 juin par la Cour européenne qui a jugé « disproportionnées » au but poursuivi les perquisitions et saisies de documents effectuées en 2005 aux sièges des journaux Le Point et L'Équipe (5). Dans son arrêt, la Cedh a souligné que le droit des journalistes de taire leurs sources est « un véritable attribut du droit à l'information » qui ne peut leur être accordé ou retiré « en fonction de la licéité ou de l'illicéité des sources ». Il faut que le public comprenne que l'on n'est pas une catégorie au-dessus des autres, cela n'est pas un « privilège » comme l'a avancé un syndicat de magistrats récemment. Cela fait partie du droit à l'information et de notre devoir d'informer le public.
Quelles sont les autres garanties à mettre en place pour permettre une protection efficace ? Nous demandons qu'une sanction pénale soit instaurée pour réprimer toute violation de la loi sur la protection des sources des journalistes. Car notre législation actuelle n'en prévoit aucune. Si vous interrogez des journalistes qui travaillent sur des dossiers d'enquête judiciaire, ils vous diront que les sources sont beaucoup plus réticentes à parler, depuis qu'on épluche les fadettes des journalistes.
Seule l'instauration d'une sanction pourra y remédier. Il faut également prévoir une voie de recours permettant de suspendre immédiatement toute mesure susceptible de porter atteinte au secret des sources. Dans le cadre d'une enquête judiciaire, on pourrait envisager de saisir, par exemple, le juge des libertés et de la détention (Jld). Encore faut-il en être informé parce qu'il y a souvent un long décalage entre l'atteinte au secret et sa connaissance
Propos recueillis par Claire Lamy
Loi française du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes Article 2 de la loi du 29 juillet 1881 « Le secret des sources des journalistes est protégé dans l'exercice de leur mission d'information du public. Est considérée comme journaliste au sens du premier alinéa toute personne qui, exerçant sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, de communication au public en ligne, de communication audiovisuelle ou une ou plusieurs agences de presse, y pratique, à titre régulier et rétribué, le recueil d'informations et leur diffusion au public. Il ne peut être porté atteinte directement ou indirectement au secret des sources que si un impératif prépondérant d'intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi. Cette atteinte ne peut en aucun cas consister en une obligation pour le journaliste de révéler ses sources. Est considéré comme une atteinte indirecte au secret des sources au sens du troisième alinéa le fait de chercher à découvrir les sources d'un journaliste au moyen d'investigations portant sur toute personne qui, en raison de ses relations habituelles avec un journaliste, peut détenir des renseignements permettant d'identifier ces sources.
Au cours d'une procédure pénale, il est tenu compte, pour apprécier la nécessité de l'atteinte, de la gravité du crime ou du délit, de l'importance de l'information recherchée pour la répression ou la prévention de cette infraction et du fait que les mesures d'investigation envisagées sont indispensables à la manifestation de la vérité.
L'article 35 de la loi de 1881 est complété par un alinéa ainsi rédigé : « Le prévenu peut produire pour les nécessités de sa défense, sans que cette production puisse donner lieu à des poursuites pour recel, des éléments provenant d'une violation du secret de l'enquête ou de l'instruction ou de tout autre secret professionnel s'ils sont de nature à établir sa bonne foi ou la vérité des faits diffamatoires. »
Loi belge du 7 avril 2005 relative à la protection des sources journalistiques Art. 2. Bénéficient de la protection des sources telle que définie à l'article 3, les personnes suivantes : 1) toute personne qui contribue directement à la collecte, la rédaction, la production ou la diffusion d'informations, par le biais d'un média, au profit du public ; 2) les collaborateurs de la rédaction, soit toute personne qui, par l'exercice de sa fonction, est amenée à prendre connaissance d'informations permettant d'identifier une source et ce, à travers la collecte, le traitement éditorial, la production ou la diffusion de ces mêmes informations.
Art. 3. Les personnes visées à l'article 2 ont le droit de taire leurs sources d'information. Sauf dans les cas visés à l'article 4, elles ne peuvent pas être contraintes de révéler leurs sources d'information et de communiquer tout renseignement, enregistrement et document susceptible notamment : 1) de révéler l'identité de leurs informateurs ; 2) de dévoiler la nature ou la provenance de leurs informations ; 3) de divulguer l'identité de l'auteur d'un texte ou d'une production audiovisuelle ; 4) de révéler le contenu des informations et des documents euxmêmes, dès lors qu'ils permettent d'identifier l'informateur.
Art. 4. Les personnes visées à l'article 2 ne peuvent être tenues de livrer les sources d'information visées à l'article 3 qu'à la requête du juge, si elles sont de nature à prévenir la commission d'infractions constituant une menace grave pour l'intégrité physique d'une ou de plusieurs personnes en ce compris les infractions visées à l'article 137 du Code pénal, pour autant qu'elles portent atteinte à l'intégrité physique, et si les conditions cumulatives suivantes sont remplies : 1) les informations demandées revêtent une importance cruciale pour la prévention de la commission de ces infractions ; 2) les informations demandées ne peuvent être obtenues d'aucune autre manière.
Art. 5. Il ne pourra être procédé à aucune mesure d'information ou d'instruction concernant des données relatives aux sources d'information des personnes visées à l'article 2, sauf si ces données sont susceptibles de prévenir la commission des infractions visées à l'article 4, et dans le respect des conditions qui y sont définies.
Art. 6. Les personnes visées à l'article 2 ne peuvent être poursuivies sur la base de l'article 505 du Code pénal lorsqu'elles exercent leur droit à ne pas révéler leurs sources d'information.
Art. 7. En cas de violation du secret professionnel au sens de l'article 458 du Code pénal, les personnes visées à l'article 2 ne peuvent être poursuivies sur la base de l'article 67, alinéa 4, du Code pénal lorsqu'elles exercent leur droit à ne pas révéler leurs sources d'information.
1er juillet 2012 - Légipresse N°296