01/06/2011
Tva réduite pour la presse en ligne : un enjeu stratégique pour l'avenir de la presse
Marianne BÉRARD-QUELIN
Directrice de publication de La Correspondance de la Presse Présidente de la ...
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Permettre à la presse en ligne, aujourd'hui soumise au taux de Tva normal (19,6 %), de bénéficier de celui applicable à la presse imprimée, à savoir un taux de 2,10 %, au nom du principe de neutralité technologique, c'est ce que demandent depuis des années les éditeurs, au premier rang desquels ceux de la presse professionnelle et spécialisée, confrontés peut-être plus vite que d'autres au basculement sans retour du papier vers le numérique. Cela peut sembler un point de détail
Erreur, il s'agit ni plus ni moins de voir émerger, ou non, des modèles payants sur internet, alors qu'il est admis désormais que ceux reposant exclusivement sur les recettes publicitaires seront impuissants à viabiliser à eux seuls les sites de presse. Or, avec 17,5 points d'écart entre papier et numérique, la fiscalité qui pèse sur cette dernière est discriminante et renchérit considérablement l'offre proposée à l'internaute.
Conscients de l'enjeu, les pouvoirs publics français, au plus haut niveau de l'Etat, sont favorables à une telle évolution. À telle enseigne que le président de la République a nommé au début de l'année Jacques Toubon à la tête de la Délégation de la France pour la fiscalité des biens et des services culturels, après que le Parlement a voté, à l'initiative du Sénat, l'alignement de la Tva du livre numérique sur celle du livre imprimé, soit 5,5 %. L'ancien ministre de la Culture a ainsi la rude tâche de convaincre les vingtsix autres États membres de l'Union européenne de permettre aux pays qui le souhaitent d'adopter une fiscalité réduite en faveur de l'écrit sans plus se préoccuper du support, voire de l'étendre à d'autres biens culturels.
Il s'agit d'un véritable défi, car les questions fiscales, du ressort de l'Union européenne, requièrent de surcroît l'unanimité. C'est à l'occasion de la présentation en octobre dernier par Michel Barnier, commissaire européen chargé du marché intérieur et des services, du plan d'action pour relancer le marché unique, que la question de la Tva au sens large a été posée de nouveau.
Un livre vert s'en est suivi (1) donnant lieu à une consultation publique qui vient tout juste de se clore. Pour la première fois dans un tel processus, la Commission a pointé du doigt les « incohérences dans les taux de Tva appliqués à des biens ou services comparables » évoquant nommément la distorsion de concurrence existant entre la presse imprimée pouvant bénéficier de taux réduits, et la presse en ligne classé comme « service » et à ce titre soumise au taux normal de Tva. L'enjeu pour les biens culturels est de taille à l'heure de « la convergence entre les environnements numériques et physiques », et alors que l'UE a mis à l'honneur la « stratégie numérique pour l'Europe ». Au sein même des institutions européennes, des voix se font entendre désormais en faveur d'une fiscalité unifiée et favorable. Prochaine étape, sous la houlette du commissaire chargé de la fiscalité Algirdas emeta, la Commission devrait présenter sa stratégie d'ici la fin de l'année 2011 avant de lancer le processus législatif, qu'il faut espérer le plus rapide possible.
Car il y a urgence ! C'est ce qu'a défendu la presse professionnelle et spécialisée dans la contribution qu'elle a remise à cette occasion. Urgence à voir émerger des modèles économiques viables.
Urgence comme en presse scientifique dont la migration est déjà largement entamée à pouvoir bien se positionner grâce à des offres compétitives dans le champ de bataille international qui est celui de la recherche. Urgence encore pour attirer le lectorat des jeunes auprès de qui la sensibilité au prix est particulièrement aiguë.
Mais aussi urgence à prendre ses marques alors que des acteurs très puissants aux marges de la presse profitent de notre fragilité pour prendre des positions stratégiques à notre détriment.
C'est le message unanime que huit organisations d'éditeurs couvrant tout l'éventail de la presse en France ont tenu à adresser à la Commission dans une déclaration commune qu'elles ont cosignée (2). En effet, toutes familles et tous supports confondus,
la presse est ici confrontée aux mêmes défis, certains prenant un relief particulier pour telle ou telle.
Ainsi la presse professionnelle et spécialisée se trouve-t-elle aujourd'hui à la croisée des chemins. Encore largement assises sur un modèle économique issu de l'imprimé, nombre de ces entreprises continuent d'en tirer l'essentiel de leur chiffre d'affaires.
Pour autant, ces revenus décroissent structurellement, d'autant que la crise récente les a très durement et durablement affectés. En effet, il est désormais acquis qu'ils ne retrouveront pas leur niveau d'avant la crise. Cette famille de presse a vu ses recettes chuter de près de 40 % en 10 ans (3), qu'il s'agisse des revenus tirés de la vente des publications, ou des revenus publicitaires (19 % sur la seule année 2009). Parallèlement, les recettes provenant du numérique montent progressivement en puissance mais de façon très inégale selon les titres, et ne permettent pas de compenser la baisse des recettes traditionnelles.
L'importance de ces évolutions fait la démonstration, s'il en était besoin, de l'impérieuse nécessité dans laquelle se trouvent ces éditeurs de pouvoir accélérer leur mutation éditoriale dans les meilleures conditions.
Ce secteur regroupe des titres à forte valeur ajoutée, parfois très pointus dans leur contenu, ce qui va de pair avec des diffusions qui pour beaucoup peuvent paraître modestes au regard de celles d'autres familles de presse. Nombre de leurs éditeurs ont développé des produits numériques innovants. Mais tout comme pour leur production éditoriale papier, l'audience des sites d'information spécialisée, très qualifiée, est par nature plus circonscrite. De ce fait, elle attire avant tout des ressources publicitaires de niches qui ne peuvent assurer à elles seules, loin s'en faut, l'équilibre des supports numériques. Elle doit donc, comme pour ses éditions imprimées, pouvoir allier les ressources tirées de la vente de ses contenus et celles tirées de la publicité.
La mise en oeuvre de ce modèle économique mixte dans des conditions optimales est vitale. Or, la sensibilité au prix est extrême, et l'application aux offres numérique du taux de Tva normal induit une hausse souvent jugée insupportable par le lecteur.
C'est pourquoi la possibilité d'aligner le taux de Tva applicable à la presse en ligne sur celui, plus favorable, de la presse papier est un élément clé pour espérer asseoir sa pérennité.
Cette demande est au demeurant parfaitement légitime : les principes qui ont milité en faveur d'un taux réduit de Tva applicable aux journaux et publications, alors exclusivement imprimés, tiennent à la place que de tout temps les États libres reconnaissent à la presse. Hier comme aujourd'hui, il s'agit de consacrer le rôle essentiel qu'elle joue dans une démocratie.
Celle-ci ne peut s'épanouir sans une presse libre, pluraliste et riche de sa diversité, à même de donner aux citoyens toutes les clés de compréhension de leur environnement, de leur permettre d'être informés et formés tout au long de leur vie.
La mission de la presse demeure inchangée, quel qu'en soit le support. Ainsi, la fiscalité doit respecter le principe de neutralité technologique. Car la presse propose une offre désormais protéiforme et multisupport par essence, mais avec toujours une même finalité, informer. Qu'il s'agisse d'information politique, économique, professionnelle, scientifique, culturelle ou de loisir.
En effet, l'information ne change pas de nature parce qu'elle change de support.
Cette demande est réaliste. Les éditeurs sont bien conscients des contraintes budgétaires qui pèsent sur les États membres de l'Union européenne. Mais justement ici, la généralisation des taux réduits n'aurait pas d'incidence négative, les recettes fiscales provenant de la presse numérique étant encore très marginales. Or, soit elles le resteront en l'absence d'une fiscalité adaptée, soit elles se développeront, portées par un cadre favorable. Alors que la gratuité domine aujourd'hui, il s'agit ni plus ni moins que de permettre l'émergence d'un modèle payant, générateur de recettes fiscales nouvelles, et qui prendra le relais d'un modèle reposant principalement sur le support imprimé, lui-même en déclin tout comme les recettes fiscales qui y sont associées.
Cette demande est enfin économiquement déterminante. Car, produire une information de qualité a un coût. De plus, les éditeurs doivent gérer le plus souvent la coexistence de deux types de supports et des charges afférentes. Qu'il s'agisse du numérique qui nécessite d'investir en permanence : parce que l'obsolescence des outils y est très rapide ; parce que l'innovation est essentielle pour enrichir l'offre éditoriale ; parce que les simples coûts de fonctionnement sont loin d'être anecdotiques.
Sans pour autant pouvoir tabler pour l'heure sur des recettes à la hauteur de ces investissements. Ou qu'il s'agisse des charges liées à l'imprimé qui perdureront, pour un certain temps à tout le moins, mais avec des recettes elles en déclin.
Devant tant de défis, une fiscalité adaptée et neutre au regard de la technologie est un élément essentiel tant il est indispensable de pouvoir faire émerger des modèles économiques associant plusieurs sources de revenus, au rang desquels le modèle payant.
Sans quoi, c'est la pérennité des entreprises de presse qui à plus ou moins brève échéance sera remise en cause. Pour que ce modèle ait une chance de s'installer, la tarification doit pouvoir être la plus cohérente possible avec celle du papier en donnant la latitude à chaque éditeur de proposer des offres éditoriales imprimées et / ou numériques, au plus près des aspirations et des besoins des lecteurs. M. B.-Q.
1er juin 2011 - Légipresse N°284