01/02/2010
«Il ne faut pas que s'écoule trop de temps entre le vote de la loi et l'envoi des premiers mails »
FRANCK RIESTER, député, rapporteur de la loi du 12 juin 2009 et membre du collège de la HADOPI, a répondu le 3 février 2010 aux questions de Légipresse et de la FNPS
Franck RIESTER
député, rapporteur de la loi du 12 juin 2009 et membre du collège de la ...
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MM. Zelnik, Toubon et Cerutti, auteurs du rapport « Création et Internet » ont été auditionnés le 3 février par la Commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale. Parmi les vingtdeux propositions de ce rapport, lesquelles retiennent votre attention? Tout ce qui concourt à améliorer les financements de la création dans notre pays et à faciliter l'offre légale sur internet. Tout d'abord, la carte jeunes qui est une très bonne chose en ce qu'elle va habituer les jeunes à aller sur internet pour consommer des produits culturels avec une contrepartie financière qui aidera la création. C'est très important: on l'a vu dans les discussions sur la loi HADOPI. J'ai passé 110 heures dans l'Hémicycle pour parler de ça : comment faire de la pédagogie, expliquer aux Français que pour continuer d'avoir des oeuvres culturelles, il faut des financements en face, que les hommes et les femmes qui travaillent dans les filières culturelles puissent être rémunérés. Ensuite, les crédits d'impôts. S'il en existe déjà aujourd'hui pour la création musicale, le rapport propose de l'élargir et de le déplafonner.
Je crois vraiment que cette proposition va dans le bon sens pour aider les indépendants et les jeunes talents. Ces deux mesures me paraissent essentielles, l'une pour favoriser la création, l'autre pour favoriser les financements à la création et amener les jeunes à la culture d'une façon légale, si je puis dire.
Et que pensez-vous du système de gestion collective obligatoire préconisée? La gestion collective obligatoire des droits d'auteurs et des droits voisins a été beaucoup discutée lors des débats de la loi HADOPI. On a longuement parlé de cette licence légale qui visait à trouver des financements auprès des FAI ou auprès du public via des abonnements. J'ai été un de ceux qui étaient le plus hostile à ce projet de licence légale. Tout d'abord parce que c'est contraire aux conventions internationales, ensuite, parce que j'ai la conviction qu'il peut y avoir un marché légal numérique de musique et de cinéma bien plus important qu'il n'est aujourd'hui. D'ailleurs les chiffres 2009 sont en forte hausse, preuve que ce marché-là peut vraiment aller de l'avant, et il se développera surtout quand les différentes mesures de la loi HADOPI entreront effectivement en application
Or, ce serait dommage de figer, en quelque sorte, les revenus de la création par la licence légale, et aussi peut-être, par la gestion collective des droits. Enfin, on doit pouvoir faire en sorte, dans l'univers numérique, d'associer l'accès le plus large possible à la culture pour tous, les financements de la création et la liberté d'entreprendre. La gestion collective sur internet me paraît donc n'être qu'une solution extrême, si l'on n'arrive pas à une solution négociée. Même s'il n'est pas évident pour les nouveaux entrants sur internet qui veulent offrir des services et des produits culturels de négocier avec les maisons de disques. Emmanuel Hoog, PDG de l'INA, a accepté une mission de médiation sur le sujet.
Je suis convaincu qu'il arrivera à trouver des solutions partagées pour faciliter les négociations avec les majors et, en même temps, pour éviter un système qui me paraît avoir beaucoup d'inconvénients.
Où en sont les décrets d'application liés au fonctionnement même de la HADOPI? J'ai accepté d'être le représentant de l'Assemblée nationale au sein du collège de la HADOPI, car c'est un moyen de suivre de l'intérieur la mise en place de la loi. Et la HADOPI ne peut pas faire son travail si les décrets ne sont pas sortis. Nous mettons actuellement une pression sur le gouvernement pour que ces décrets, qui mettront en place tout le dispositif de riposte graduée, sortent rapidement. C'est une priorité. Nous nous réunissons chaque semaine pour avancer mais nous n'avons pas de date précise. Il faut un peu de temps au gouvernement parce que la France est pionnière en la matière, avec un dispositif ambitieux, reposant sur la loi et une autorité administrative indépendante. On invente un système et on ne peut pas aller copier chez les autres! Je pense que des envois de mails pourraient être faits courant 2010.
Je l'appelle de mes voeux car il ne faut pas que s'écoule trop de temps entre le vote de la loi et l'envoi des premiers mails à nos concitoyens qui téléchargent régulièrement de façon illégale. C'est essentiel car tout ce débat sur la HADOPI, qui a été positif, et la dynamique des Français vers l'offre légale risquent de se casser si l'on
n'a pas rapidement les premiers envois de mails.
Contrairement à certains qui veulent caricaturer la loi, il est important de souligner que la riposte graduée est avant tout un dispositif de prévention et de pédagogie.
C'est un dispositif soft qui permet d'expliquer aux Français que l'on peut consommer des biens culturels sur internet, mais que ceci doit être fait légalement pour financer la création. Ce message, porté d'une façon très forte pendant les discussions HADOPI, va se démultiplier dans tout le pays mais aussi être diffusé en direction de celles et ceux qui sont les plus gros téléchargeurs.
Car les e-mails qui seront envoyés expliqueront qu'il est interdit de télécharger illégalement et que l'on peut télécharger légalement, avec mention des sites qui permettent de consommer des biens culturels sur internet et de financer la création.
La HADOPI pourra-t-elle recevoir les requêtes des éditeurs de presse dont les contenus sont de plus en plus souvent scannés et mis en ligne sans autorisation? Je fais partie de ceux qui sont convaincus que les missions de la HADOPI ne sont pas uniquement focalisées sur la musique, ni même le cinéma: l'audiovisuel, et plus largement la presse, le livre, bref, tout ce qui tourne autour de la bonne gestion des droits, du respect des droits des oeuvres sur internet est concerné. D'ailleurs HADOPI signifie Haute autorité pour la diffusion des oeuvres (sans distinction) et la protection des droits sur internet. Cette Autorité doit, dans l'avenir, nous permettre de veiller à ce que les doits de ceux et celles qui créent intellectuellement puissent être respectés sur les réseaux.
Si la riposte graduée et le dispositif prévention/sanction forment le coeur de la loi HADOPI, il y a aussi, dans cette loi, toute une partie sur la presse (NDLR: droit d'auteur des journalistes, statut de l'éditeur de presse en ligne
), ainsi que des dispositions pour la mise en valeur des offres légales sur internet. Je pense au raccourcissement de la chronologie des médias. Le système est déjà en application, ce qui a permis d'ailleurs une augmentation de la vente des DVD et de la VOD.
La mission Zelnik propose de raccourcir encore ces délais
La mission préconise, en effet, de raccourcir ces délais, notamment sur la VOD par abonnement et la VOD gratuite.
Elle ne parle pas trop des premières fenêtres d'exploitation.
C'est très complexe parce les bénéficiaires de l'exclusivité d'utilisation de ces fenêtres financent la création, d'autant plus que la fenêtre est proche de la sortie du film en salle. Évidemment, la VOD par abonnement et la VOD gratuite, qui sont à trente-six mois, ne financent quasiment pas la création. Avancer la fenêtre à trente ou vingt-quatre mois, comme c'est éventuellement suggéré dans la mission Zelnik, Toubon, Cerutti, impliquerait que les plates-formes de VOD par abonnement et VOD gratuites financent davantage la création.
Or aujourd'hui, d'un point de vue économique, c'est très difficile et on ne voit pas objectivement comment elles pourraient le faire. Mais si on remet en cause ce fondement essentiel de la chronologie des médias, selon lequel plus on est proche de la sortie du film en salle, plus on finance la création, on remettrait alors complètement en cause ce système formidable qui fait que nous sommes un des seuls pays au monde après les États-Unis à continuer à avoir une industrie cinématographique et des hommes et des femmes qui travaillent dans ces filières.
Les aides de l'État à la culture, et plus particulièrement à la presse, soulèvent des questions sur leur gouvernance.
Plusieurs missions gouvernementales (Cardozo, Mettling
), réfléchissent actuellement à leur réforme sans pourtant toujours recevoir les acteurs. Le rôle du Parlement dans le contrôle, la distribution et la transparence des aides de l'État ne doitil pas être plus important? Le rôle du Parlement dans les années qui viennent va aller croissant, parce que les députés et les suites de la réforme constitutionnelle lui donnent davantage le pouvoir pour prendre en charge un certain nombre de sujets, et notamment des sujets nouveaux. Dans cette optique, la question des relations avec les partenaires sociaux, des relations interprofessionnelles, n'a pas été traitée depuis des années par le Parlement (il y a eu des auditions mais ce n'était pas la priorité du Parlement
). Elle le sera de plus en plus, j'en suis convaincu. Je pense que le député doit pouvoir, certes, coproduire la loi, comme le dit souvent Jean-François Copé, mais au-delà de ça, contrôler, vérifier si les lois sont bien appliquées. Il faut que les députés puissent anticiper la loi à travers des relations plus nourries, plus organisées avec les différents acteurs économiques, culturels, sociaux de notre pays.
Donc faire la loi, contrôler son application est une exigence, mais rester en permanence en contact avec ces acteurs en est une aussi à mes yeux. Le Parlement ne l'a pas assez fait jusqu'à présent. Pour les aides à la presse, aller peut-être plus loin en matière d'analyse d'utilisation de fonds publics va totalement dans cette direction souhaitée.
Retrouvez des extraits de l'interview filmée sur : http://www.legipresse.com/
1er février 2010 - Légipresse N°269