01/12/2009
Après HADOPI 1 et HADOPI 2, HADOPI 3? La décision du Conseil constitutionnel du 22 octobre 2009
Dominique ROUSSEAU
Professeur à l'Université de Montpellier 1, Directeur du CERCOP, Membre de ...
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Le droit à la libre communication des pensées et des opinions « implique la liberté d'accéder aux services de communication au public en ligne ». Par cette décision du 10 juin 2009 (1), le Conseil constitutionnel procède à une nouvelle extension du champ couvert par l'article 11 de la Déclaration de 1789. En 1984, il avait jugé qu'il impliquait le principe d'indépendance des professeurs d'université (2), en 1994 « qu'il impliquait le droit pour chacun de choisir les termes jugés par lui le mieux appropriés à l'expression de sa pensée » (2), en 1995 qu'il comprenait « le droit d'expression collective des idées et des opinions », c'est-à-dire le droit de manifestation (3); en 2009, il juge qu'il ne peut se limiter aux libelles et autres formes archaïques de transmission mais doit s'ouvrir aux technologies nouvelles de communication par lesquelles se réalise aujourd'hui le droit pour tout citoyen de parler, d'écrire et d'imprimer librement.
« En l'état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication en ligne ainsi qu'à l'importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l'expression des idées et des opinions », l'article 11 de la Déclaration de 1789, considère le Conseil, « implique la liberté d'accéder à ces services ».
Le Conseil aurait pu aussi, considérant la dimension économique et l'intérêt d'internet pour la vie des entreprises, se fonder sur le principe de la liberté d'entreprendre; en choisissant la liberté de communication, il pose l'accès à internet comme une liberté politique. Mais une liberté qui n'est pas absolue, et doit, comme tous les droits et libertés constitutionnels, s'assembler avec les autres composantes du bloc de constitutionnalité et donc supporter certaines limites. En l'espèce, le Conseil reconnaît que les pratiques de téléchargement de films et de chansons peuvent porter atteinte aux droits de propriété intellectuelle et notamment au droit d'auteur et aux droits voisins qui sont couverts par le droit de propriété (5), admet la légitimité de la lutte contre le piratage et, en conséquence, la possibilité d'une limitation de la liberté de l'internaute.
Le contrôle de constitutionnalité se déplace alors sur la conciliation opérée par le législateur entre droit d'auteur et liberté d'accès à internet que le Conseil apprécie en tenant compte, ici, de la nature des sanctions encourues par les internautes et de l'autorité chargée de les prononcer. Sur ces deux points, le Conseil est passé de l'audace à l'abandon.
L'audace est dans la décision du 10 juin 2009 par laquelle il faisait planer un doute sérieux sur la constitutionnalité des sanctions retenues par le législateur et, en particulier, celle de la suspension d'accès à internet qui, juge-t-il, « n'est pas limitée à une catégorie de personnes mais s'étend à la totalité de la population », « restreint l'exercice par toute personne de son droit de s'exprimer et de communiquer librement depuis son domicile » et « méconnaît le principe de la présomption d'innocence » (6). Elle est surtout dans la censure, claire et fortement argumentée, du choix du législateur de confier, en ce cas particulier, le pouvoir de prononcer les sanctions à une autorité administrative indépendante (7). Ce faisant, le Conseil ne revient pas sur sa jurisprudence antérieure reconnaissant au législateur la faculté de donner à une autorité non juridictionnelle le pouvoir de prononcer des sanctions ayant le caractère d'une punition; il en réaffirme au contraire le bien-fondé mais, et là est l'importance du raisonnement du Conseil, prenant en considération « la nature de la liberté » touchée par les sanctions, il juge que, parce que la liberté d'accès à internet est une composante de la liberté de communication protégée par l'article 11 de la Déclaration de 1789, une mesure de suspension d'accès à cette liberté ne peut être prononcée par une autorité administrative. Et ce, insiste
le Conseil, « quelles que soient les garanties encadrant le prononcé des sanctions ».
Audace avant l'été, abandon à l'automne: par sa décision du 22 octobre 2009 (8), le Conseil diminue ses exigences. Si, en effet, la loi HADOPI 2 donne, comme le demandait le Conseil, le pouvoir de sanction au juge, elle le fait selon une procédure, l'ordonnance pénale, qui prive les justiciables des principes applicables à toute sanction ayant le caractère d'une punition. Alors qu'est en jeu une privation pendant un an d'une liberté de communication et non d'une simple amende, l'ordonnance pénale n'apporte aucune garantie élémentaire puisqu'elle est rendue par un juge unique atteinte au principe de collégialité garant de l'impartialité sans débat atteinte au principe du contradictoire et des droits de la défense et sans obligation de motivation atteinte au principe de transparence. Le Conseil a seulement dû admettre que le législateur ne pouvait donner au juge le pouvoir de statuer pas ordonnance pénale sur une demande de dommages- intérêts sans préciser les règles applicables. Et il censure en conséquence pour incompétence négative, obligeant le législateur à reprendre son travail, à voter bientôt une loi HADOPI 3 pour définir ces règles. Ce qui signifie concrètement que, par cette censure habile, le Conseil enlève une partie de son intérêt à la validation des autres dispositions de la loi HADOPI 2; en l'état actuel du droit, les victimes de piratage ne peuvent obtenir des dommages-intérêts.
Sur le fond, en basculant le pouvoir de sanction d'une autorité administrative au juge, le parlement respecte, formellement, la décision du Conseil. Mais, matériellement, il la trahit dans la mesure où, pour le Conseil, la compétence du juge n'avait de sens que par la supériorité des garanties que son intervention apporte lorsqu'est mise en cause une liberté fondamentale comme la liberté de communication. Le Conseil demandait le juge parce qu'il pensait aux garanties; le législateur donne le juge sans les garanties ! Et, pour ajouter au trouble constitutionnel, le Conseil admet, au regard du principe de la séparation des pouvoirs, que la mise en oeuvre de la décision de justice de suspendre l'accès à internet ne soit pas confiée à la justice mais
à la Haute autorité administrative qui, elle-même, devra la signifier au fournisseur d'accès à internet qui, lui-même, devra prendre les mesures nécessaires sous peine de sanction! Abandon encore dans son contrôle de la nature des sanctions puisque, malgré les menaces subliminales de la décision du 10 juin 2009, le Conseil juge qu'il n'est pas manifestement disproportionné de prévoir à l'encontre du délinquanternaute la peine de suspension pendant un an de sa connexion à internet tout en l'obligeant à continuer de payer son abonnement, et cette même peine à l'encontre de l'abonné qui n'aura pas sécurisé sa ligne après avoir reçu des avertissements.
Sanctionner le délit de « négligence caractérisée » par une atteinte à une liberté jugée fondamentale « pour la participation à la vie démocratique et à l'expression des idées et des opinions » est, pour tout apprenti juriste, l'exemple type de l'erreur manifeste. Au demeurant, le Conseil laisse à nouveau planer une menace sur ce dispositif.
Il juge en effet qu'il appartient au pouvoir réglementaire de définir les éléments constitutifs de l'infraction susceptible de faire encourir à son auteur la peine de suspension à internet et précise que « le caractère proportionné d'une peine s'apprécie au regard de l'ensemble des éléments constitutifs de l'infraction qu'elle est destinée à réprimer ». En d'autres termes, la question du respect, par la peine de suspension, des principes de proportionnalité, de nécessité des peines et de présomption d'innocence n'est toujours pas tranchée ; elle est suspendue au contenu du futur décret d'application et de son contrôle par le Conseil d'État.
Le feuilleton HADOPI n'est pas terminé!
1er décembre 2009 - Légipresse N°267