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Tribune


01/12/2008


Le droit d'exploitation des organisateurs de manifestations sportives n'est pas limité!



 

L'organisateur d'un événement sportif peut-il s'opposer à l'organisation de paris portant sur l'événement qu'il organise? À l'inverse, une société de paris en ligne peut-elle organiser des paris sur une manifestation et/ou compétition sportives organisées par une autre personne sans son consentement? Telles étaient, notamment, les questions en jeu dans deux jugements du TGI de Paris (1). Tel est l'objet de la présente tribune.
Au-delà des batailles judiciaires qui sont menées tant sur le plan communautaire que sur le plan national pour remettre en cause le monopole accordé par l'État français, à l'instar d'autres États membres de l'Union, à certaines sociétés concernant les paris sportifs, la question se pose de savoir si la pratique des sociétés de paris en ligne ne se heurte pas au droit d'exploitation de l'organisateur sur sa manifestation sportive. Répondant par l'affirmative, le tribunal stoppe net la course de Phaéton (2).
En l'espèce, la FFT avait assigné deux sociétés de paris qui avaient organisé des paris portant sur les matchs se déroulant dans le cadre des internationaux de France de Roland Garros 2007 et en vue de leur interdire de tels agissements pour l'avenir. La FFT poursuivait ces sociétés de trois chefs principalement: la FFT soutenait d'abord que l'organisation de tels paris, constituant une exploitation commerciale de l'événement, porte atteinte à son monopole d'exploitation que la loi lui reconnaît sur l'événement qu'elle organise; ensuite que la mention du nom de Roland Garros pour désigner des services de paris sportifs constitue une contrefaçon de la marque « Roland Garros » déposée; enfin elle reprochait aux sociétés de paris des actes de parasitisme. Si le tribunal a débouté la FFT de sa demande au titre de la contrefaçon, il a fait droit aux deux autres demandes. Nous limiterons notre propos à l'atteinte reconnue et sanctionnée au droit d'exploitation de l'organisateur, sans procéder à un commentaire détaillé des décisions.
Pour condamner les sociétés de paris sportifs pour atteinte au monopole d'exploitation de l'organisateur d'une manifestation sportive, le tribunal a considéré que le droit d'exploitation de l'organisateur de manifestations sportives, consacré par L. 333-1 alinéa 1er du Code du sport, n'est pas limité, contrairement à ce que soutenaient les sociétés de paris, aux seuls droits audiovisuels.
L'article L. 333-1 alinéa 1er ne distinguant pas parmi les différentes exploitations, il n'y a pas lieu de distinguer. Le tribunal relève que « l'organisation de paris en ligne [étant] une activité génératrice de revenus directement liés au déroulement des événements singuliers, en l'espèce des matchs dont la manifestation sportive est le théâtre; (…) elle en constitue dès lors un mode d'exploitation de ladite manifestation ». Partant, une telle exploitation ne pouvait se faire sans le consentement du propriétaire de la manifestation sportive, sauf à violer son monopole. Le tribunal constate en outre que les sociétés de paris ne se proposaient pas de démontrer en quoi le monopole d'exploitation reconnu à l'organisateur par l'article L.331-1 constituerait une restriction injustifiée, inadaptée, disproportionnée et discriminatoire au principe de la libre concurrence.
La décision rendue par le tribunal de grande instance de Paris mérite-t-elle l'approbation sur ce point? La réponse est oui (3).
Cette décision mérite d'autant plus l'approbation qu'elle nous paraît utile et juste.
Le domaine renforcé du droit d'exploitation de l'organisateur Comme pour mieux asseoir leur décision, les juges parisiens prennent soin de rappeler la raison d'être qui se trouve au fondement du droit d'exploitation de l'organisateur d'un événement sportif.
En effet, on se souviendra que le droit de l'organisateur fut d'abord reconnu par la jurisprudence, avant sa consécration législative par la loi du 13 juillet 1992, en raison tout à la fois des investissements humains et financiers engagés par l'organisateur pour la réalisation de la manifestation sportive et de l'organisation elle-même de la manifestation.
L'organisateur crée la manifestation à laquelle il donne son empreinte par l'organisation de l'événement, sa promotion et sa commercialisation.
En d'autres termes, l'organisateur d'un événement sportif jouit sur celui-ci d'un droit de propriété incorporelle sui generis non seulement en raison des investissements qu'il réalise mais encore du fait même de la création (4). Il importe de souligner que la loi du 13 juillet 1992, modifiée par loi du 1er août 2003, reconnaît à l'organisateur d'une manifestation sportive la qualité de propriétaire (5)! C'est sur le modèle du droit de propriété, droit subjectif par excellence et le plus complet, qu'ont été forgés « les premiers droits sur des biens intellectuels – droits d'auteur, brevet, marque- qui ont été à dessein qualifiés de « propriétés » littéraire, artistique et industrielle » (6). N'en va-t-il pas de même pour le droit de l'organisateur de la manifestation sportive? Par ailleurs, si à l'origine les attributs économiques les plus importants du droit d'exploitation ont été en cause, à savoir les droits de retransmission audiovisuelle et radiophonique (7), d'autres attributs du droit de l'organisateur ont été reconnus par la suite.
Tel est le cas, notamment, du droit exclusif de l'organisateur d'or-

ganiser des opérations de relations publiques à l'occasion de l'événement (8), ou en matière de billetterie (9), ou encore s'agissant de la diffusion de clichés photographiques (10). Selon nous, c'est tout à la fois la nature du droit sui generis de propriété de l'organisateur et son fondement qui commandent de ne pas en limiter le domaine (11). Pourquoi en effet vouloir limiter le droit d'exploitation de l'organisateur à certaines exploitations et en exclure d'autres? Où faire passer la frontière, sans arbitraire, entre les utilités incluses dans le droit de propriété incorporelle et celles qui ne le seraient pas? Les limites écartées au droit d'exploitation de l'organisateur Deux arguments au moins imposeraient, selon les défendeurs (12), des limites au monopole légal de l'organisateur: l'un tiendrait à l'origine et à la position de l'article L. 333-1 al. 1er, désormais placé dans un chapitre intitulé « Retransmission des manifestations sportives » au sein du Code du sport, l'autre à l'objet même du monopole. La réponse au premier argument impose de faire une rapide généalogie de l'article L.333-1 du Code du sport.
Mais pourquoi le faire? N'est-il pas de principe qu'il n'y a lieu d'interpréter que des dispositions dont le sens est obscur: in claris cessat interpretatio (13)? Ceci étant dit, d'où provient l'article L. 333-1 du Code du sport? Il s'agit tout simplement de l'article 18-1 de la loi n°84-610 du 16 juillet 1984 (dite loi Avice), introduit par la loi n°92-652 du 13 juillet 1992 et modifié par la loi n°2003-708 du 1eraoût 2003. Or, les travaux parlementaires ne permettent pas réellement de dire que le législateur a entendu limiter le monopole de l'organisateur aux seuls droits de retransmissions (14). Et la nouvelle place donnée à l'article L. 333-1 dans le Code du sport, au sein d'un chapitre intitulé « Retransmission des manifestations sportives », n'est pas réellement probante. On rappellera que la codification des dispositions législatives et réglementaires intéressant le droit du sport a été autorisée par l'article 84 de la loi 2004-1343 du 9 décembre 2004 autorisant le gouvernement à procéder par voie d'ordonnance à l'adoption de la partie législative du Code du sport. Il s'agit là d'une codification à droit constant (15) par opposition à certaines codifications que l'on a pu qualifier de codifications dynamiques (16). Ce n'est pas le lieu ici de porter un jugement de valeur sur ce type de codification, signe de régression pour les uns (17), nécessité pratique pour les autres (18). Ce qu'il convient de relever, au contraire, c'est que la circulaire du 30 mai 1996 relative à la codification des textes législatifs et réglementaires (19), qui définit le programme des codifications à venir, envisage la codification du droit du sport comme une codification à droit constant. Ce type de codification ne change pas le périmètre de la loi, car elle est une « opération purement administrative (en son objet) dont l'unique objet est de réunir des textes législatifs ou réglementaires préexistants, sous l'interdiction d'en modifier non seulement le fond mais, sauf détail, la forme » disait le doyen Cornu (20). La Cour de cassation décide pour sa part que « l'abrogation d'une loi à la suite de sa codification à droit constant ne modifie ni la teneur des dispositions transférées ni leur portée » (21). Surtout, comme le disait Horace: Nescit vox missa reverti (22). L'écrit publié ne revient plus. Il en est de même des lois, dont le sens est construit au fil des années et des besoins sociaux. La genèse du sens de l'article 1384 al. 1er n'en est-il pas le meilleur exemple (23)? À la différence du premier, le second argument limiterait le monopole de l'organisateur à raison cette fois-ci de l'objet même sur lequel il porte. Dans cette seconde perspective, le monopole de l'organisateur n'est plus alors limité aux seuls droits audiovisuels; il va au-delà. L'idée serait ici de distinguer l'action sportive, que l'organisateur serait le seul à pouvoir exploiter, du résultat de l'action sportive, qui lui serait une information non-appropriable. Il est permis de ne pas être convaincu. D'abord, il est difficile, sinon artificiel, de distinguer l'action sportive de son résultat: celui-ci ne fait-il pas partie intégrante de celle-là? Ensuite, pareille distinction aboutirait à faire des sociétés de paris des entreprises d'information, ce qu'elles ne sont pas à l'évidence. L'objet des sociétés de paris n'est pas de communiquer aux tiers des résultats sportifs ou l'existence de rencontres sportives, mais de procurer des revenus à partir de paris organisés sur des compétitions sportives créées et organisées par d'autres, qui seules en supportent les charges.
Enfin, si la décision rendue par le TGI de Paris mérite pleinement l'approbation, c'est aussi parce qu'elle consacre une solution juste et utile. Il est juste en effet que soit réservé, à celui qui a créé une valeur, les fruits de ses investissements et de ses efforts et qu'en conséquence aucune exploitation ne puisse se faire sans son consentement. Il est utile socialement de permettre aux organisateurs de manifestation sportive de vérifier les conditions dans lesquelles se dérouleront les paris sportifs. C'est ici tout le sens du consentement. Car qui mieux que l'organisateur est à même d'imposer une charte éthique aux sociétés de paris ? En permettant aux sociétés de paris de se passer du consentement des organisateurs des événements sportifs, il n'existe plus aucun moyen pour ces derniers de faire respecter l'éthique sportive. Rien n'interdirait aux sociétés de paris de mettre en place des paris portant sur le nombre de fois où tel joueur remonte ses chaussettes, change de chemisette, etc. Les sociétés défenderesses faisaient valoir la liberté du commerce et de l'industrie. Certes, mais l'expérience récente montre bien que le marché laissé à lui-même ne secrète pas les règles de sa régulation. Le consentement des organisateurs d'événements sportifs n'est pas l'ennemi de la liberté du commerce et de l'industrie, il en est le fondement. Souvenonsnous du propos que Dostoïevski prête à l'un des héros de son roman Les Possédés: « Partant de la liberté illimitée, j'aboutis au despotisme illimité».
1er décembre 2008 - Légipresse N°257
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