01/10/2008
Bruxelles critique (encore) la Sacem : la fin du monopole ?
Julie BESSE
Avocate, département Propriété intellectuelle et technologies de ...
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Le 16 juillet 2008, la Commission européenne a rendu une décision critique à l'égard du système de représentation réciproque des 24 sociétés de gestion collective d'auteurs et de compositeurs membres de la CISAC (Confédération internationale des sociétés d'auteurs et compositeurs), dont la Sacem. La presse a relaté l'événement comme étant la fin du monopole de la Sacem et la possibilité pour les auteurs-compositeurs, désormais, de choisir leur société de gestion collective. Or, l'interdiction des discriminations - en fonction de la nationalité de l'auteur par exemple - était déjà un principe absolu respecté par les sociétés françaises de perception et répartition des droits. Doit-on y voir une mauvaise communication? Il est vrai que la Commission surveille depuis plusieurs années la gestion collective et souhaite changer le système existant. Cependant, Bruxelles n'est pas unanime : l'avis de la direction générale de la Concurrence ici visé ne semble pas partagé par la direction générale Marché intérieur, plutôt défavorable à la mise en concurrence des sociétés de gestion collective (1). Expliquer le rôle précis des sociétés de gestion collective permet d'éclairer la position de Bruxelles dans la limite du possible, la décision de la Commission n'ayant toujours pas été publiée à ce jour, seul le communiqué de presse étant disponible face à cet imbroglio juridique.
La gestion collective et les contrats de représentation réciproque Tout auteur possède un droit exclusif d'exploitation de ses oeuvres et à ce titre, il est le seul à pouvoir interdire ou autoriser leur utilisation. N'étant rémunéré que si ses oeuvres sont exploitées, l'auteur aurait les plus grandes difficultés matérielles à délivrer directement des autorisations à chacun des utilisateurs diffuseurs de musique (bars, restaurants, discothèques, entreprises, etc.) et à récolter lui-même les redevances. C'est pourquoi les « sociétés de perception et de répartition des droits » ont été créées afin de gérer une partie des droits d'auteurs et droits voisins en lieu et place des ayants droit, percevoir les redevances ou royalties à leur place puis leur reverser.
Il existe aujourd'hui 27 sociétés de gestion collective en France, chacune étant soumise à un statut très encadré, créé par la loi Lang du 3 juillet 1985 (nécessité de la forme civile, régime de déclaration préalable ou agrément du ministère de la Culture selon la nature obligatoire ou facultative de la gestion collective). Dans tous les pays, on note une situation de monopole ou quasi-monopole de fait des sociétés de gestion collective, en raison probablement de la nature de leur activité et de leur rôle, et ce particulièrement dans le disque, où les exploitations sont multiples mais dispersées et les utilisateurs puissants. Les sociétés d'auteurs, nombreuses dans le monde, sont réunies depuis 1926 au sein de la Confédération internationale des sociétés d'auteurs et de compositeurs (CISAC), composée maintenant de 219 sociétés sur 115 pays. Les droits sont généralement cédés à une société de gestion collective pour le monde entier, mais elle ne peut intervenir en principe qu'à l'intérieur de ses frontières, sauf si elle possède des antennes locales étrangères.
Ainsi, malgré l'important coût financier, la Sacem s'est implantée sur les territoires monégasque et luxembourgeois (jusque récemment), qui deviennent donc des territoires de perception directe des redevances versées par les diffuseurs de musique locaux. Les sociétés de gestion collective se sont donc organisées entre elles, à travers le monde, pour sous-traiter leurs activités réciproques (et rétrocéder les redevances des adhérents). À cette fin, elles se sont consenties des mandats (appelés des conventions de représentation ou accords de réciprocité si elles se donnent mutuellement les mêmes mandats). Ces accords, qui fonctionnent depuis des décennies, permettent à chaque société signataire de délivrer des autorisations pour utiliser le répertoire de toutes les autres sociétés d'auteurs (multirépertoires) concernant les exploitations ayant lieu sur son seul territoire d'activité (monoterritoire).
À cet égard, la CISAC a mis en place des mandats types.
Ce système étant devenu imparfait avec le développement d'internet, les sociétés de gestion collective ont souhaité favoriser le développement des services de musique en ligne en Europe (objectif commun avec Bruxelles) non seulement dans l'intérêt des auteurs mais également indirectement de la diversité intellectuelle. En conséquence, les sociétés de gestion collective ont signé les accords de Santiago et de Barcelone, afin de donner aux exploitants de sites internet reproduisant de la musique des licences mondiales pour leur répertoire (2). Ces autorisations multirépertoires et multiterritoriales étaient délivrées selon le critère de la résidence économique, c'est-à-dire que la demande devait être effectuée auprès de la société de gestion collective du lieu d'implantation physique de la société exploitant le site internet.
L'intervention de Bruxelles Si la Commission européenne a reconnu la légitimité et la nécessité de la gestion collective, elle s'est toujours méfiée du caractère monopolistique de droit (ou de fait) des sociétés d'auteurs et ses directions générales Marché intérieur et Concurrence se sont toutes deux penchées sur le système existant (3). Le critère de résidence économique des accords de Santiago et de Barcelone a ainsi été critiqué par la direction générale Concurrence. En effet, l'Union européenne étant un seul et même territoire, la Commission a considéré qu'un exploitant d'un site internet européen devait pouvoir s'adresser à n'importe quelle société de l'Union située dans un État membre et non celle du siège social du propriétaire du site. Devant les réticences de Bruxelles, les sociétés de gestion collective ont mis fin aux accords de Santiago et Barcelone à partir du 31 décembre 2004. Le système antérieur est redevenu applicable: les sociétés de gestion collective sont compétentes pour délivrer des autorisations pour leur propre répertoire au niveau mondial ou pour le répertoire mondial sur leur propre territoire.
Dans ce contexte, le groupe de radiodiffusion RTL Group et le fournisseur de musique en ligne du Royaume-Uni Music Choice Europe ont déposé une plainte auprès de la Commission à l'encontre des 24 sociétés membres de la CISAC. La Commission a remis une notification des griefs le 13 janvier 2006 et rendu une décision le 16 juillet 2008. Dans cette décision, la Commission reproche à certaines clauses des accords de représentation réciproque de violer l'article 81 du traité CE et l'article 53 de l'accord EEE. Sans remettre en cause le principe de ces accords ni infliger une amende aux 24 sociétés concernées, la Commission interdit: - la clause d'affiliation « qui empêche un auteur de choisir sa société de gestion ou de se tourner vers une autre »; - les restrictions territoriales « qui empêchent les sociétés de gestion collective d'offrir des licences aux utilisateurs commerciaux en dehors de leur territoire national » et comportent une clause d'exclusivité, en vertu de laquelle une société autorise une autre à gérer son répertoire sur un territoire donné sur une base exclusive.
La CISAC et la Sacem regrettent cette décision et soulignent que les reproches de la Commission ont été résolus depuis longtemps. En effet, la plupart des grandes sociétés de gestion collective reconnaissent à l'auteur la liberté de choisir dans l'Espace économique européen la société à laquelle il souhaite conférer ses droits. La libre affiliation s'est généralisée avec les décisions de la Cour de justice des communautés européennes (4) reprises dans la plupart des législations européennes et rappelée dans la recommandation de la direction générale Marché intérieur du 18 octobre 2005 susvisée. Le président du directoire de la Sacem, Bernard Miyet, a déclaré pour preuve que « un certain nombre de Français ne sont pas membres de la Sacem et 15000 étrangers en sont membres. » Par ailleurs, concernant le deuxième grief de la Commission, la non-exclusivité des accords de représentation est acceptée par les sociétés de gestion collective depuis plus de dix ans. Quant au troisième reproche de la Commission, concernant les restrictions territoriales, les objectifs poursuivis par l'autorité européenne sont les mêmes que ceux énoncés lors des débats sur les accords de Santiago et de Barcelone, à savoir l'ouverture à la concurrence des sociétés de gestion collectives locales. En effet, les différentes prises de position de la direction générale Concurrence de la Commission, autrefois sur la résidence économique des accords de Santiago et Barcelone et maintenant sur les restrictions territoriales des contrats de réciprocité, montrent que Bruxelles attache une grande importance à l'ouverture à la concurrence des sociétés de gestion collective et y voit un pilier de la fluidité du marché, de la baisse des coûts et du développement des exploitations donc, à terme, de l'augmentation des redevances des auteurs.
Concrètement, en supprimant ces restrictions, Bruxelles espère permettre à RTL Group et Music Choice d'obtenir une licence pan-europénne des répertoires nationaux et internationaux auprès d'un guichet unique ou de la société d'auteurs européenne de leur choix, sur la base de critères purement concurrentiels. Cependant, selon la Cisac, la fin des restrictions territoriales, au lieu d'une « incitation pour les sociétés de gestion collective à améliorer leur efficacité » voulue par la Commission, conduirait à la « fragmentation catastrophique du répertoire, source d'insécurité juridique pour les utilisateurs. » Bernard Miyet considère que « conserver une logique territoriale, c'est l'assurance de gérer vos droits sur votre territoire essentiel. À défaut, on risque de couper le lien entre le détenteur du répertoire et le pouvoir de décision. » Le guichet unique pourrait entraîner l'apparition de quelques grandes sociétés internationales qui se désintéresseraient des petits répertoires. Les sociétés de gestion collective et les ayants droit craignent une version musicale du « plombier polonais », c'est-à-dire la petite société localisée dans un des États nouvellement membres de l'Union européenne, moins regardante, qui propose des prix extrêmement compétitifs au détriment du niveau de protection et de la rémunération des auteurs.
Quoi qu'il en soit, le guichet unique tant recherché par la Commission est-il possible au vu des écarts entre les législations européennes en matière de droits d'auteur et de fiscalité ? Christine Albanel, ministre de la Culture et de la Communication, déplore quant à elle une décision « prématurée », et indique que « la recherche d'une solution consensuelle et efficace aurait dû être privilégiée. » Elle va « se rapprocher des acteurs concernés et de ses homologues européens, afin d'envisager les suites qu'il convient de réserver à l'initiative de la Commission. » L'avenir nous dira si la décision de la Commission européenne, qui ambitionne de faire respecter le droit de la concurrence et éviter les ententes, sera suivie d'effet et si elle donnera lieu à un « forum shopping » qui serait forcément très défavorable à la Sacem puis indirectement aux auteurs. Il faut avouer que le système précédent avait au moins le mérite de bien fonctionner et si les autorités européennes se mettent d'accord pour le supprimer, elles devront rechercher d'autres solutions aussi efficaces. Notons que cette décision concerne uniquement internet. Les sociétés de gestion collective conservent des monopoles nationaux « de fait » sur les activités traditionnelles (sonorisation des lieux ouverts au public, discothèques, concerts, radios, etc.) qui fournissent actuellement la plupart de leurs revenus.
1er octobre 2008 - Légipresse N°255