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Tribune


01/11/2007


Les syndicats de journalistes pour un droit moral collectif des équipes rédactionnelles



 

Le secteur de l'information est au plus mal. Rarement, les journalistes n'ont senti leur profession aussi fragile et menacée. Rarement, le discrédit des médias n'a été aussi sensible dans l'opinion publique. Rarement, la garantie d'une information libre, pluraliste et indépendante, indispensable au bon fonctionnement de la démocratie, n'a semblé aussi incertaine.
Face à la gravité de la situation, les syndicats de journalistes, garants des droits matériels mais aussi moraux de la profession, ont décidé, au printemps 2007, d'unir leurs efforts pour faire aboutir plusieurs revendications qui leur paraissent fondamentales. La toute première étant d'obtenir un cadre légal garantissant mieux l'indépendance des journalistes et des équipes rédactionnelles.
Quelles sont, en effet, les raisons qui font que les journalistes français éprouvent de plus en plus de diff i c u ltés à exercer correctement leur métier? La connivence très forte entre le pouvoir politique et les principaux patrons des grands groupes médiatiques, ainsi que la multiplication des interventions qui en a résulté au cours de ces derniers mois, n'ont échappé à personne.
Mais il faut aussi prendre en compte l'accélération des mouvements de capitaux dans les médias écrits et audiovisuels, privés ou publics (concentration, émiettement du capital, participations croisées, rachat par des fonds d'investissement) qui fragilise l'indépendance des journalistes et la crédibilité des titres. Dans la plupart des formes de presse, y compris parmi les quotidiens nationaux et régionaux, la recherche de profit se substitue à la mission d'informer. La qualité des contenus est bradée ; la frontière entre information et communication devient de plus en plus floue ; le rédactionnel est souvent réduit à l'état de marchandise, considéré plus comme un moyen de capter des annonces publicitaires que comme un service rendu au lecteur, à l'auditeur ou au téléspectateur; la “peopolisation” gagne du terrain sur la rigueur et le respect des règles déontologiques.
Dans ce contexte, les pressions se multiplient sur les journalistes et sur les rédactions. Pressions de la part des hiérarchies, elles-mêmes souvent soumises à des pressions de niveau supérieur : actionnaires, réseaux d'influence, partenaires “communicants” et commerciaux de leurs employeurs. Quelle rédaction n'a jamais été confrontée à l'obligation d'envoyer des reporters couvrir des non-événements, en sachant qu'ils étaient orchestrés pour servir une certaine forme de pensée ou l'image d'une personnalité politique ? Combien d'entre nous n'ont pas déjà entendu un directeur marketing ou commercial leur rappeler qu'elle ou il connaît son rédacteur en chef, ou que sa société est annonceur à gros budget? Quel journaliste travaillant dans la presse spécialisée n'a pas été appelé(e) par une attachée de presse chargée de “vendre” son client dans le domaine auquel est consacré le dossier du prochain numéro? À ce tableau déjà sombre, vient s'ajouter le facteur aggravant de l'instabilité de l'emploi, qui fragilise une part non négligeable de la profession et la rend encore plus vulnérable aux pressions. Les concentrations massives dans la presse écrite s'accompagnent le plus souvent de coupes sombres dans les effectifs des rédactions. Elles favorisent le départ des journalistes les plus expérimentés, qui devraient être à même de résister aux sollicitudes heurtant leur conscience professionnelle.
Quant aux jeunes journalistes qui aspirent à prendre la relève, un chiffre permet de se faire une idée du niveau de précarisation de la profession et des difficultés qu'ils rencontrent pour se “faire une place au soleil”. Selon les statistiques de la Commission de la carte d'identité des journalistes professionnels, près d'un titulaire sur cinq de la carte est en contrat à durée déterminée ou rémunéré à la pige. Et une étude complémentaire menée par les organisations syndicales montre que deux pigistes sur trois n'ont pas choisi cette condition, mais la subissent à défaut de pouvoir trouver un contrat stable.
Certes, le statut des journalistes français, dont les bases ont été posées par la loi Guernut-Brachard de 1935, complétée jusqu'à la loi Cressard de 1974, assure diverses protections, notamment quand il y a « changement notable dans le caractère ou l'orientation du journal ou périodique si ce changement crée, pour la personne employée, une situation de nature à porter atteinte à son honneur, à sa réputation ou, d'une manière géné - rale, à ses intérêts moraux ». C'est la fameuse “clause de conscience” qui assimile alors la rupture du contrat de travail à un « congédiement du fait de l'employeur » et ouvre le droit à indemnité de licenciement.
De même, l'article 5-1 de notre Convention collective énonce qu'un « journaliste ne peut être contraint à accepter un acte professionnel ou à diffuser des infor - mations qui seraient contraires à la réalité des faits.
Tout journaliste a le droit de refuser toute pression (…).
Il ne peut être contraint à accepter un acte contraire à son intime conviction pro f e s s i o n n e l l e . » Enfin, la Déclaration des devoirs et des droits des journalistes, rédigée sur la base de la Charte des devoirs professionnels des journalistes français de 1918/38, et adoptée à Munich en 1971, inscrit dans son préambule que « la responsa - bilité des journalistes vis-à-vis du public prime toute autre responsabilité, en particulier à l'égard de leurs employeurs et des pouvoirs publics ».
En apparence, la profession dispose donc d'outils juridiques lui permettant d'assurer “normalement” sa mission d'informer. Mais en apparence seulement. Outre le fait que ces outils font périodiquement l'objet de tentatives de remise en cause (comme on a pu le constater lors de la récente réécriture du Code du travail), force est de constater que tout est fait pour en limiter la portée. Ainsi, l'article 5-1 de la Convention collective cité plus haut ne s'applique- t-il qu'à l'audiovisuel de service public. Les patrons de presse écrite n'ont jamais envisagé de l'adopter, comme ils ont toujours opposé une fin de non-recevoir à la demande constante des organisations syndicales d'intégrer dans la convention collective les chartes des droits, mais aussi des devoirs, des journalistes.
Quant à la clause de conscience, ou son prolongement dans la clause de cession, il n'a pas échappé qu'elle cadre une rupture du contrat de travail. Or, ne l'oublions pas, un journaliste est avant tout un salarié et, comme tous les salariés par les temps qui courent, il y réfléchit à deux fois devant la perspective de perdre son emploi et de rejoindre les rangs déjà fournis des chômeurs ou des précaires. S'agissant de la clause de cession, bête noire des investisseurs, on peut craindre qu'elle ne devienne une coquille vide si, au fur et à mesure des rachats, fusions, concentrations, une poignée de grands groupes était amenée à se partager la totalité des titres et des médias.
Pour les syndicats de journalistes, il y a donc urgence à compléter ces dispositions strictement individuelles par une protection collective des équipes rédactionnelles.
Par équipe rédactionnelle, nous entendons l'ensemble des journalistes professionnels au sens de la loi, qui concourent à l'information du public au sein d'un titre de presse, quels que soient sa taille, la forme de presse considérée (écrite, audiovisuelle, électronique) et le statut juridique de l'entreprise. Cette équipe rédactionnelle englobe donc les journalistes permanents, mais aussi les pigistes dont les droits légaux et conventionnels sont régulièrement bafoués par une majorité de patrons de presse écrite ou audiovisuelle. Elle doit être dotée d'une personnalité juridique qui protège son intégrité et son identité éditoriale; lui permet d'être consultée sur chaque nomination importante à la tête de la rédaction et sur les choix éditoriaux qui en découlent ; lui confère un droit moral collectif susceptible de s'opposer à toute dérive déontologique sérieuse et à toute remise en cause grave de son indépendance par le comportement de l'actionnaire éditeur.
Pour autant, cette reconnaissance juridique qui, à nos yeux, doit faire l'objet d'une loi, ne vise aucunement à priver l'employeur des prérogatives et des responsabilités qui lui incombent en tant que directeur de la publication.
Elle veut au contraire jouer un rôle de régulation en stabilisant et équilibrant les droits et devoirs de chacun.
En protégeant l'intégrité de l'équipe rédactionnelle et son identité éditoriale, c'est avant tout le public et son droit à une information complète, honnête et pluraliste qu'il s'agit de garantir.
Notons que le constat qui réunit les syndicats de journalistes dans un même combat pour l'indépendance de l'information, est largement partagé par l'opinion publique.
La question de la liberté de la presse, fille aînée, rappelons-le, de la liberté d'expression, principe constitutionnel et européen, surgit régulièrement sur le devant de la scène. On peut à cet égard citer un sondage paru dans L i b é r a t i o n, dont il ressort que 63 % des personnes interrogées pensent que les journalistes ne sont pas indépendants.
On peut également rappeler que le 4 octobre dernier, plusieurs centaines de personnes sont venues participer au rassemblement organisé par les syndicats de journalistes qui y présentaient leurs propositions. On peut encore noter qu'au moment où nous écrivons ces lignes, plusieurs milliers de personnes – journalistes mais aussi élus et citoyens de toutes origines – ont déjà choisi de soutenir nos revendications en signant la pétition lancée sur internet (intersj.info).
Pour conclure, constatons que cette situation n'est malheureusement pas une exclusivité française. Partout en Europe, les journalistes professionnels doivent se battre pour exercer leur profession en toute indépendance, dans le respect des règles de déontologie, de la protection des sources, et en en tirant les moyens de vivre dignement.
Partout, la tâche devient de plus en plus difficile, comme en témoigne la FEJ, Fédération européenne représentant quelque 260000 journalistes dans une trentaine de pays, qui a organisé une journée de sensibilisation et de mobilisation le 5 novembre. Aujourd'hui, la question de l'indépendance, du pluralisme et de la qualité de l'information est une question fondamentale posée à l'ensemble de nos démocraties.
1er novembre 2007 - Légipresse N°246
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