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Tribune


01/11/2006


Google doit respecter les créateurs et les producteurs de contenus



Compte tenu de la grande actualité de la question de l'utilisation de contenus protégés par les moteurs de recherche, et alors même que le litige qui l'oppose à Google est pendant, nous avons souhaité ouvrir notre tribune à la presse quotidienne francophone belge. Le débat sera bien sûr amené à se poursuivre dans nos colonnes.

Margaret BORIBON
Secrétaire générale de Copiepresse SCCRL
Pas d'autre article de cet auteur pour le moment.
 

Copiepresse est une société de gestion des droits d'auteur constituée en 2000 par les sociétés éditrices de presse quotidienne francophone et germanophone belge, en vue d'assurer la promotion et la défense de leurs droits d'auteur ainsi que le contrôle de l'exploitation par des tiers de leurs oeuvres protégées.
C'est dans ce cadre que Copiepresse est intervenue lorsque le moteur de recherche Google a lancé, début 2006, son service Google Actualités en Belgique, se présentant sans ambiguïté comme un portail d'information. Refusant de s'inscrire dans le principe d'opt out de Google qui veut que l'ayant droit prenne contact s'il refuse que son contenu soit réutilisé, Copiepresse a rappelé le principe d'autorisation préalable prévu par la législation belge et européenne sur le droit d'auteur. Face à l'absence de réaction de Google, Copiepresse a décidé au printemps dernier d'intenter une action en saisie description. Le juge des saisies a désigné un expert, mandaté pour décrire aussi précisément que possible ce qui était opéré par Google. Cet expert a déposé son rapport au début du mois de juillet. Le droit belge impose d'agir en cessation dans le mois du dépôt de ce rapport. La procédure a dès lors été introduite début août. Bien qu'ayant été informés à chaque étape par des notifications officielles, les représentants de Google ne se sont pas présentés à l'audience et Google a, de ce fait, été condamné par défaut le 5 septembre 2006.
Le jugement imposait le retrait de tous contenus de presse (articles, photos, illustrations, etc.) émanant des quotidiens membres de Copiepresse, dans les dix jours de la notification du jugement sous peine d'une astreinte d'un million d'euros par jour de retard ainsi que la publication intégrale du jugement sur les sites Google.be et News.google.be pendant cinq jours consécutifs, sous peine d'une astreinte de 500000 par jour de retard (1).
Contrairement à ce qui a pu être dit ou écrit, c'est par un concours de circonstances tout à fait indépendant de la volonté de Copiepresse que l'information a été découverte par un journaliste de l'agence de presse Belga provoquant, dans les jours et les semaines qui ont suivi, un véritable séisme médiatique.
Depuis lors, Google a fait opposition au jugement et l'affaire sera jugée au fond le 24 novembre prochain. Ses représentants ont aussi, par deux fois, tenté d'obtenir la levée des astreintes mais sans succès. Google a donc finalement décidé de publier le jugement mais n'est pas parvenu à retirer l'ensemble des contenus. Une demande officielle a été adressée à Copiepresse pour que les éditeurs de journaux aident Google à retirer tous les contenus. Copiepresse a accepté de fournir les informations nécessaires sans conditions, ce qui a arrêté le compteur des astreintes, et a, par ailleurs, demandé à Google de réintroduire le référencement des pages d'accueil des sites de ses membres.
Aujourd'hui, l'affaire en est là mais pour bien en comprendre la portée, un bref rappel au sujet des droits d'auteur s'impose. La législation belge (LDA) est très proche du droit français et en particulier du Code de la propriété intellectuelle (CPI).
Ceci s'explique tout simplement par la transposition de directives européennes et le double choix de nos pays d'accorder à un auteur un droit aussi étendu – même plus étendu – que celui accordé au propriétaire d'un bien et de ne recourir qu'en extrême limite au dispositif de la licence légale.
Les principes de base sont les suivants : - Une oeuvre sera automatiquement protégée s'il s'agit d'une création “originale”, soit l'expression de l'effort intellectuel de son auteur, son empreinte, sans pour autant faire rimer originalité et nouveauté.
- Toute appréciation subjective doit être écartée (notoriété de l'auteur, valeur de l'oeuvre, forme d'expression, etc.).
- Cette protection est acquise par la création de l'oeuvre, c'est-à-dire sans formalité de dépôt ou d'enregistrement. (voir article L. 111-2 CPI) - Les droits se divisent en deux branches : les doits moraux d'une part et les droits patrimoniaux d'autre part (voir article L. 111-2 CPI) - Les droits moraux comportent ceux de divulgation, de paternité, de repentir et d'intégrité de l'oeuvre. Ils sont perpétuels, inaliénables et imprescriptibles (article L.121-1 CPI).
- L'auteur ou son ayant droit a seul le droit de reproduire une oeuvre ou d'en autoriser la reproduction, de quelque manière et sous quelque forme que ce soit. (article 1° LDA – droit patrimonial de reproduction).

- L'auteur d'une oeuvre littéraire ou artistique a seul le droit d'autoriser la distribution au public, par la vente ou autrement, de l'original de son oeuvre ou de copies de celle-ci.
(article 1° LDA – droit patrimonial de communication au public) - L'oeuvre ne perd sa protection que 70 ans après le décès de son auteur.
Face à ce droit absolu de l'auteur, le législateur a introduit quelques exceptions bien délimitées.
L'exposé des motifs de la proposition de loi belge modifiant la loi du 30 juin 1994 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans le contexte du développement de la société de l'information confirme les enjeux et choix politiques posés par les États : «La loi belge sur le droit d'auteur comporte déjà les neuf exceptions suivantes (…) On constate à la lecture des autres exceptions de la directive qu'en les acceptant toutes, on ruinerait le système du droit d'auteur. (…) La possibilité pour les États de choisir ou non de mettre en oeuvre ces exceptions permet à chacun d'entre eux de maintenir son système de rémunération des auteurs. Si l'on accepte d'étendre les exceptions au droit d'auteur, il faut être d'accord d'abandonner le système du droit d'auteur pour entrer dans celui des subventions publiques.» (2) Dans l'affaire Copiepresse c/Google, l'expert a démontré que Google “prend” les articles de la presse quotidienne sur les sites des éditeurs. Or, un article de presse, comme tout contenu “original” rédigé sur un site est une oeuvre littéraire protégée. En effet, l'article 8 de la LDA dispose que l'«on entend les écrits de tout genre», et l'article L. 112-2 CPI vise les « livres, brochures et autres écrits littéraires…». Dès lors, pour reproduire et/ou communiquer au public, il faut l'accord préalable de son auteur ou de son ayant droit. Nos législations ne contiennent aucune disposition permettant de conclure que l'exposition gratuite d'une oeuvre sur un site web équivaudrait à la perte de la protection (qui ne cesse que passé le délai de 70 ans après le décès de l'auteur) ou à l'accord de son auteur sur une éventuelle reproduction et nouvelle communication au public.
Aucune exception légale ni en Belgique ni en France ne permet à Google, sans autorisation préalable, de reproduire et de (re)communiquer au public le contenu éditorial des publications de la presse.
Les reproches de Copiepresse portent sur deux points bien distincts : 1° les pages cachées du moteur de recherche de Google Il est reproché une reproduction intégrale de l'article sur les serveurs du moteur, sans autorisation préalable, et le fait que ces derniers donnent accès (« communication au public ») aux articles copiés et stockés («reproduction») chez Google.
Il n'existe aucune exception au bénéfice des moteurs de recherche ni pour une conservation technique à long terme.
2° le portail d'informations Google Actualités L'expert judiciaire désigne ce service comme un site d'information et non un moteur de recherche. Google, dans ses commentaires se définit lui-même comme tel.
À première vue, deux exceptions légales belges pourraient être invoquées : la citation et la reproduction à l'occasion de comptes rendus d'événements de l'actualité.
a) L'exception de citation comporte cinq conditions dont une de finalité (la poursuite d'un but de critique, de polémique, de revue, d'enseignement, ou d'illustration de travaux scientifiques) et une autre de proportionnalité (la citation doit être conforme aux usages honnêtes de la profession et correspondre à la mesure justifiée par le but poursuivi).
b) L'exception de reproduction à l'occasion de comptes rendus d'événements de l'actualité ne peut pas non plus être retenue. En effet, il n'y a pas de comptes rendus réalisés par les opérateurs mais un “copier-coller” de morceaux d'articles disposés en fonction de l'importance donnée par les rédacteurs des quotidiens. Selon Google : «Google Actualités n'emploie aucun rédacteur en chef chargé de sélectionner les articles et de décider de ceux qui vont faire la une. Nos manchettes sont sélectionnées par des algorithmes informatiques qui s'appuient sur des facteurs tels que la fréquence de diffusion d'une information en ligne et les sites sur lesquels celle-ci apparaît. Cette méthode de sélection s'inscrit tout à fait dans la tradition de recherche sur le Web de Google, qui repose essentiellement sur le jugement collectif des éditeurs en ligne pour déterminer les sites proposant les informations les plus intéressantes ou les plus pertinentes. De la même manière, Google Actualités fait confiance au jugement des rédacteurs des agences d'information pour déterminer les articles qui méritent le plus d'être inclus et mis en évidence sur la page d'accueil de Google Actualités.» (3).
Google ne peut dès lors bénéficier d'aucune exception légale. Sans accord des ayants droit, Google Actualités offre des services illégaux en Belgique. Il en est vraisemblablement de même en France.
Outre l'aspect juridique de ces affaires, certains internautes reprochent aux éditeurs de presse quotidienne francophone et germanophone une vision désuète et retardataire de l'information dans le monde numérique.
Google et d'autres acteurs importants ont largement contribué à propager l'idée que tous les contenus devaient être libres d'accès et gratuits sur internet. Or, rien n'est jamais gratuit. Parce qu'il n'a pas le choix, l'internaute admet de payer pour son équipement informatique et de devoir le renouveler régulièrement. Il paye également son fournisseur d'accès au réseau. En revanche, lorsqu'il s'agit des contenus, la gratuité devrait être la règle sous peine d'encourager le piratage.
Les éditeurs de journaux ont été parmi les premiers à investir lourdement pour rendre leurs contenus accessibles sur internet.
Ils tiennent cependant à en conserver la maîtrise. La fréquentation très importante de leurs sites reflète la crédibilité que les internautes accordent à leurs informations. Aussi, ce n'est pas sous prétexte d'une augmentation “prétendument” significative de trafic que les éditeurs de journaux vont accepter de se laisser exproprier de leurs contenus.
La puissance des Google et autres moteurs de recherche, agrégateurs de contenus et portails d'information ne les place pas au-dessus des lois. Le procès en cours peut permettre d'établir une jurisprudence européenne afin que le respect des créateurs et des producteurs de contenus soit intégré dans leurs modèles économiques.
Il s'agit véritablement d'un enjeu de société porteur de valeurs culturelles, politiques et démocratiques.
1er novembre 2006 - Légipresse N°236
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