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Tribune


01/01/2006


La suppression du conventionnement des chaînes satellitaires extra-communautaires : l'arme fatale contre le terrorisme !



 

La petite loi adoptée après déclaration d'urgence, relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers, et examinée actuellement par le Conseil constitutionnel, a pour objet de «mieux assurer le droit à la sûreté dans le respect des libertés » (1) afin de prendre en considération la menace terroriste qui pèse sur la France. Mythe ou réalité ? Toujours est-il que les attentats survenus à New York et Washington en septembre 2001, à Madrid en mars 2004, et à Londres en juillet 2005, ont donné naissance à nombre de dispositions législatives (2) assurant une place prépondérante au droit à la sûreté. Un consensus politique s'est formé autour de la menace terroriste dont on peut supposer qu'il a appauvri le débat démocratique pourtant protecteur des libertés. La nouvelle loi a vu le jour dans ce contexte, pointant du doigt la menace constituée par les technologies de l'information et de la communication qui offrent aux terroristes «de nouvelles voies d'expression » (3). Dans le domaine de l'audiovisuel, l'affaire Al Manar TV, largement médiatisée, illustre les objectifs visés par ce texte.
Cette affaire, née à l'occasion de la diffusion par la chaîne de programmes antisémites et plus largement contraires à l'ordre public, avait connu un dénouement laborieux (4) en dépit de l'intervention du législateur (5). En effet, la chaîne libanaise proche du Hezbollah, Al Manar TV, avait cessé d'émettre sur le territoire français par l'intermédiaire du satellite Hot Bird 4 d'Eutelsat le 14 décembre 2004, à la suite d'une ordonnance rendue la veille par le Conseil d'État, sur le fondement de l'article 42- 10 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée pour la circonstance par la loi n° 2004-669 du 9 juillet 2004. La Haute juridiction administrative avait enjoint à Eutelsat de cesser sous 48 heures la diffusion sur ses capacités satellitaires d'Al Manar TV sous peine d'astreinte.
Paradoxalement, l'arrêt de cette diffusion laissait intact le problème de la convention conclue entre le CSA et la chaîne libanaise sur le fondement de l'article 33-1 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée également pour l'occasion, le 9 juillet 2004. Dans une certaine mesure, le CSA avait été contraint de conventionner une chaîne se distinguant par ses programmes contraires à l'ordre public.
Lui adressant une mise en demeure après avoir constaté de nouveaux manquements, le CSA avait engagé, dans un premier temps, une procédure de sanction à son encontre, pour finalement résilier la convention en décembre 2004, ultérieurement à l'interdiction de diffusion de la chaîne. La situation n'en était que plus absurde.
Cette affaire et les quelques autres qui l'ont précédée (6) ou lui ont succédé (7), ont permis de s'interroger sur la nécessité de conventionner les chaînes extra-communautaires susceptibles d'induire des comportements contraires à l'ordre public. C'est pourquoi, dans le cadre du projet de loi sur la lutte contre le terrorisme, les députés, souhaitant alléger la procédure de sanction de ces chaînes, ont finalement adopté un amendement porté par Philippe Houillon, Président de la Commission des lois, supprimant toute nécessité de conventionnement par le CSA des chaînes extra-européennes diffusées sur Eutelsat et, de ce fait, régies par la loi française. En dehors de tout débat notoire, l'article 11 bis

de la nouvelle loi a vu le jour complétant notamment l'article 33-1 de la loi du 30 septembre 1986.
Reste que ce dispositif, à l'épreuve de la diffusion satellitaire, n'est pas des plus convaincants et ce pour trois raisons majeures : 1. La suppression du conventionnement n'allège pas la procédure de sanction à l'encontre des chaînes extra-communautaires Il est reproché au conventionnement, et ce à juste titre, de constituer « une sorte de brevet de respectabilité » (8) à l'égard des chaînes concernées, supposant un comportement exemplaire, à tout le moins jusqu'à la signature du document. C'est certainement par manque de «respectabilité» que la chaîne kurde Société Medya TV, étroitement liée au PKK – organisation figurant sur la liste des organisations terroristes établie par l'Union européenne – n'a pas été conventionnée par le CSA (9). C'est aussi pour cette raison que ce dernier a mis en demeure Eutelsat de cesser la diffusion de la chaîne iranienne, non conventionnée, Sahar 1 (10). Pourtant le conventionnement de la chaîne Al Manar TV n'avait pas empêché cette dernière de diffuser des programmes contraires à l'ordre public avant même la signature de la convention. Mais le Hezbollah ne figurant pas sur cette liste, toute réticence marquée de la part du CSA aurait pu engendrer un incident diplomatique.
Dans un tel contexte, le conventionnement perd toute sa signification.
Cependant, on ne peut cautionner les propos de Monsieur Houillon regrettant les lourdeurs du conventionnement ; «la convention suppose qu'il y ait d'abord une mise en demeure, puis que certaines formes procédurales soient respectées » avant de pouvoir agir. C'est cet argument qui, principalement, a présidé à la modification législative, prévoyant paradoxalement que ces services «demeurent soumis aux obligations résultant de la présente loi et au contrôle du Conseil supérieur de l'audiovisuel, qui peut notamment utiliser à leur égard les procédures prévues aux articles 42,42-1 et 42-10 ». Or, les procédures actées par ces articles présentent autant de garanties procédurales que le conventionnement (11). L'instance de régulation est soumise aux exigences d'une procédure lourde et contraignante, jonchée de garanties législatives ralentissant la mise en oeuvre du pouvoir de sanction (12), que ce dernier vise d'ailleurs les obligations législatives ou conventionnelles. Tout au plus est-il davantage tenu par les termes du contrat qu'il ne l'est par les termes de la loi (13). La procédure dite de référéaudiovisuel de l'article 42-10 n'offre pas plus de souplesse et repose sur la décision du juge. Il peut ordonner sous astreinte de cesser de diffuser la chaîne litigieuse à compter du second manquement. Le premier justifiant le prononcé de l'injonction (14). Pour autant, et jusqu'à preuve du contraire, en l'absence de conventionnement ces procédures ne peuvent viser la chaîne elle-même mais seulement l'opérateur qui transporte les programmes, à savoir Eutelsat (15). Ce dernier, autre acteur de la procédure, doit alors entreprendre de délicates négociations avec la chaîne en vu de son retrait du bouquet diffusé. En qualité d'intermédiaire, Eutelsat est tenu « d'informer les éditeurs des services considérés du régime qui leur est applicable », aux termes de ce nouveau dispositif. On se demande d'ailleurs quel régime leur est applicable ? ce que devrait d'ailleurs souligner le Conseil constitutionnel, particulièrement attentif aux garanties entourant le pouvoir de sanction du CSA (16).
2. Le CSA n'est pas en mesure de contrôler efficacement l'ensemble des programmes émis par les chaînes extracommunautaires L'un des arguments invoqués à l'appui de la suppression du conventionnement tient à l'amélioration des conditions de contrôle exercé par le CSA sur les programmes proposés par les chaînes extra-communautaires (17).
Dans quelle mesure peut-on envisager cette amélioration lorsque l'on s'en réfère globalement aux méthodes de contrôle des programmes ? Les méthodes actuelles ne sont plus pertinentes au regard de l'évolution du paysage audiovisuel. Certes, elles le restent pour les chaînes dites “historiques”. Un visionnage systématique de leurs programmes, lors de la diffusion, permet encore de produire des données en interne susceptibles de les inciter au respect des obligations légales et réglementaires, sous peine de sanctions. Mais cela n'a jamais été le cas à l'égard des chaînes du câble et du satellite faisant l'objet d'un simple contrôle a posteriori par sondages (18). Reste que pour faire face à la croissance exponentielle du paysage audiovisuel du fait de la TNT, le CSA a envisagé de réformer ses méthodes de contrôle. Cette réforme prendra effet au second semestre 2006 et vise à « inverser le sens et la logique du contrôle en restituant aux opérateurs la responsabilité première du suivi de leurs obligations » et à « proportionner l'importance du contrôle à l'audience du service » (19). Dès lors, le contrôle s'effectuera à partir des déclarations établies par les services et non plus en interne, ce qui suppose

d'emblée l'existence d'une relation de confiance entre le CSA et la chaîne. Pour les chaînes du satellite, ces déclarations seront vérifiées de façon globale et les programmes toujours contrôlés par sondages ou à l'occasion de saisines. Autant dire que l'attention portée par le CSA à ces données sera proportionnelle à l'audience du service, ce qui n'est pas à proprement parler le critère le plus significatif des chaînes extra-communautaires en question. Par conséquent, la pertinence de la réforme à l'égard de ces dernières reste encore à démontrer… 3. Par conséquent, ce dispositif ne permet pas de lutter contre le terrorisme Le pouvoir de contrainte du CSA, lorsqu'il met en oeuvre les articles 42, 42-1 et 42-10, pouvant aller jusqu'à l'interdiction de diffusion des programmes, vaut seulement à l'égard des services relevant de sa compétence.
Cependant, l'interdiction prononcée par le CSA ne peut empêcher la réception des programmes litigieux. Si ce service n'est plus diffusé sur Eutelsat, il peut toujours être reçu par les téléspectateurs français disposant d'un appareillage puissant via d'autres satellites qui échappent à la compétence du CSA. Tel est le cas des programmes de Al Manar TV que l'on peut retrouver via le satellite néerlandais Newskies et le satellite égyptien Nilesat.
En réalité, l'efficacité du dispositif est remise en cause par la liberté de réception, élément nécessaire dans un État démocratique, reconnue implicitement en France sur le fondement de la liberté de communication. En effet, le contrôle de l'émission et de la diffusion du message audiovisuel s'organise plus facilement que le contrôle de la réception (20). Le législateur privilégie la réglementation ou à tout le moins, la régulation de l'émission (21). Le silence du législateur peut donc, être interprété comme une forme de protection de la liberté (22). De fait, la protection dont bénéficie le téléspectateur n'est que la contrepartie des contraintes pesant sur l'émetteur. Par conséquent, la reconnaissance de la liberté de réception suppose préalablement que le téléspectateur puisse avoir accès techniquement « sans contrôle ni contrainte [au] programme de son choix parmi l'ensemble des programmes de communication audiovisuelle disponibles à un moment donné » (23). Prise dans sa dimension transfrontière, la liberté de réception est envisagée sous l'angle de la libre circulation des informations et des idées, impliquant directement la possibilité pour le téléspectateur d'accéder à une offre de programmes de diverses provenances.
La liberté de réception fait l'objet d'une reconnaissance internationale (24) et régionale (25), selon des modalités plus ou moins contraignantes. Dans un cadre communautaire, dès lors qu'une chaîne a été autorisée par un État membre, elle est reçue par les autres États membres sans que ces derniers puissent s'y opposer ou soumettre la réception à une nouvelle procédure d'autorisation (26). La nouvelle rédaction de l'alinéa 1 de l'article 43-6 issue de la présente loi, s'inscrit dans ce contexte supprimant toute formalité préalable, même déclarative, à l'égard de la diffusion de services relevant de la compétence d'un autre État membre. Certes, le CSA peut toujours suspendre provisoirement la retransmission de ces services au titre de l'alinéa 2, à condition cependant que le service ait diffusé plus de deux fois dans l'année des émissions contraires à l'ordre public, et après notification des griefs au service, restée sans effets. Le respect de ces conditions réduit considérablement les possibilités de suspendre la diffusion de ces programmes, et d'ailleurs ne résout pas la question des programmes contraires à l'ordre public français qui échappent à tout contrôle communautaire.
En outre, dans le cadre de la procédure de révision de la Directive Télévision sans frontière, Madame Viviane Reding, commissaire européen à l'Éducation et à la Culture, souhaite élargir le champ des émissions diffusées par les chaînes extra-communautaires multipliant ainsi les risques de réception de programmes illicites. Aussi, convient-il de renforcer la coopération à l'échelle européenne afin de concilier la liberté de réception de programmes extra-communautaire de nature à enrichir le débat démocratique, et le respect de l'ordre public. Or, sans remettre en cause le principe du pays d'origine au nom duquel chaque État membre peut mettre en oeuvre sa législation nationale, force est de reconnaître que « seuls la France, dont Eutelsat dépend, et le Luxembourg, dont Astra dépend, sont responsables de la régulation de plusieurs dizaines de chaînes extra-communautaires » (27). Afin de rétablir l'équilibre, la détermination de la compétence d'un État membre sur un service de programmes est capitale. À cet effet, « le critère du lieu où est située la liaison montante deviendrait prioritaire par rapport au lieu où se situe la capacité satellitaire » (28). Une nouvelle redistribution des compétences pourrait dès lors améliorer à l'échelle nationale, le contrôle opéré par le CSA sur les chaînes extra-communautaires relevant de sa compétence, si tant est qu'un tel contrôle soit envisagé ! Article arrêté à la date du 16 janvier 2006
1er janvier 2006 - Légipresse N°228
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