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Tribune


01/10/2004


Publicité télévisée : l'approche résolument libérale de Bruxelles



 

PRENANT ACTE, d'une part, du caractère obsolète et ambigu de certaines dispositions relatives à la publicité, au parrainage et au téléachat de la directive Télévision sans frontières (TSF) du 3 octobre 1989 modifiée et, d'autre part, de l'émergence de nouvelles techniques publicitaires, la Commission européenne a adopté une communication interprétative (1), visant à clarifier ces dispositions et à encadrer ces nouvelles techniques en vue de renforcer la sécurité juridique des opérateurs télévisuels. Rédigé dans l'attente d'une hypothétique révision de la directive, ce document interprétatif, qui n'a pas vocation à édicter de règles nouvelles, ne saurait préjuger de la lecture que la CJCE, en tant qu'instance suprême chargée d'interpréter le droit communautaire, pourrait faire des dispositions en question. S'appuyant notamment sur un arrêt de cette juridiction qui privilégie une interprétation restrictive des dispositions des textes communautaires lorsque, restreignant une activité qui concerne l'exercice d'une liberté fondamentale, elles ne sont pas rédigées « en des termes clairs et non équivoques » (2), la Commission a souhaité faire des dispositions imprécises de la directive TSF une lecture nécessairement favorable aux diffuseurs. Ce raisonnement aboutit pour la Commission à tolérer, certes en l'encadrant a minima, toute pratique qui n'est pas expressément interdite. Faisant prévaloir le principe de subsidiarité, elle laisse le soin à chaque État membre d'apprécier l'opportunité de la consacrer en droit interne. Dès lors, la communication interprétative ne pouvait que se distinguer, par sa souplesse, sur de nombreux aspects dont certains peuvent prêter à discussion.
Interruption publicitaire des retransmissions sportives La Commission précise les modalités d'interruption des retransmissions sportives en distinguant trois cas : – en premier lieu, en application du paragraphe 2 de l'article 11 de la directive, « dans les émissions sportives […] comprenant des interruptions, la publicité et les spots de téléachat ne peuvent être insérés […] qu'au cours des interruptions ». La Commission souligne ce que recouvre la notion d'« interruption »: il s'agit, d'une part, d'une pause objective de la manifestation présentant un caractère naturel et constant directement lié à la structure de cette manifestation, d'autre part, d'une période d'arrêt de jeu résultant d'un incident qui, étant décomptée, est susceptible d'être ajoutée à la durée du temps réglementaire ; – en deuxième lieu, lorsqu'une épreuve sportive ne comporte pas d'interruptions (courses cyclistes, de Formule 1…), la Commission recommande de soumettre sa retransmission au droit commun énoncé par la directive : une période d'au moins 20 minutes doit s'écouler entre deux interruptions publicitaires successives au sein de la retransmission ; – en dernier lieu, la communication évoque le cas des “minispots”, entendus comme des messages publicitaires très courts diffusés à l'occasion d'incidents survenant au cours de l'épreuve. Ils sont tolérés sous réserve qu'ils soient clairement séparés du reste du programme par des génériques et que, en tant que « publicité isolée » au sens du paragraphe 2 de l'article 10 de la directive, ils restent exceptionnels.
Ce dispositif n'est pas pleinement satisfaisant dans la mesure où chacun des cas de figure contribue à empiéter sur le spectacle sportif et donc à nuire au confort des téléspectateurs. En particulier, le fait que puissent être diffusées des publicités à l'occasion d'interruptions dont la durée reste parfaitement imprévisible (1re et 3e hypothèse) ne semble pas compatible, sinon avec le texte, du moins avec l'esprit de la directive qui, en posant le principe d'une programmation publicitaire lors des interruptions de l'épreuve, a théoriquement pour finalité de ne pas priver le téléspectateur des phases de jeu. En outre, ce dispositif est source d'insécurité juridique pour l'éditeur du service de télévision qui devra déterminer en amont, lorsque surviendra un arrêt de jeu, si cet arrêt est susceptible d'être décompté par le corps arbitral. S'il est décompté, l'insertion publicitaire pourra a posteriori être regardée comme ayant pris place au cours d'une “interruption” de l'épreuve, conformément au deuxième alinéa de l'article 11 de la directive ; s'il n'est pas décompté, l'insertion publicitaire, sous peine d'être sanctionnée, devra avoir rempli les conditions de diffusion du “mini-spot”, à savoir un écran publicitaire composé d'un seul message diffusé à titre exceptionnel.
Publicité clandestine La Commission s'efforce d'aider les États membres à apprécier le caractère publicitaire ou non des présentations de produits, services ou marques qui peuvent survenir au cours des émissions. La définition de la publicité clandestine qu'énonce la directive rend en effet difficile la tâche des autorités nationales qui, pour retenir cette qualification, doivent faire la preuve du caractère intentionnel de la promotion. En l'occurrence, il y a publicité clandestine lorsque sont réunis deux critères : une présentation faite de façon intentionnelle dans un but publicitaire, qui est de nature à induire le public en erreur. Aussi, afin de surmonter cette difficulté, la Commission propose de faire appel à un indice objectif, celui de la “proéminence indue”. Est regardée comme telle notamment une présentation récurrente de produits ou de marques, ou une présentation qui n'est pas justifiée au regard des besoins éditoriaux de l'émission. Ce critère est déjà retenu par le CSA dans le cadre de son activité de contrôle.

Nouvelles techniques publicitaires La Commission européenne reconnaît la compatibilité, sous conditions, des publicités sur écran partagé et interactive et du parrainage virtuel avec la directive TSF.
• Écran partagé Le régime auquel est soumise la technique de l'écran partagé varie selon qu'elle est utilisée à des fins publicitaires ou de parrainage. Dans le premier cas, la Commission considère que la publicité sur écran partagé, qui prend la forme d'une fenêtre publicitaire diffusée simultanément à d'autres programmes, est compatible avec la directive dès lors que, pour prévenir toute confusion entre publicité et contenu éditorial, elle est aisément identifiable et nettement distinguée du reste du programme par des moyens optiques ou acoustiques, conformément à l'article 10, paragraphe 1, de la directive.
Partant, la Commission admet que la séparation temporelle de la publicité du reste du programme n'est pas nécessairement requise, une séparation spatiale par des moyens optiques ou acoustiques étant suffisante. Quoiqu'en dise la Commission, cette diffusion simultanée de publicité et d'autres programmes semble bien être source de confusion pour le téléspectateur. Il y a tout particulièrement lieu d'être réservé lorsque la publicité sur écran partagé prend place au sein des œuvres. La Commission tolère ce procédé sous réserve, d'une part, de l'autorisation préalable des ayants droit de l'œuvre, d'autre part, qu'il ne soit pas porté « atteinte à l'intégrité de l'œuvre audiovisuelle dans le cadre de laquelle [la publicité] est diffusée ». Cependant, quelle que soit sa durée ou sa taille, on voit mal comment une fenêtre publicitaire insérée dans une œuvre pourrait ne pas porter atteinte à l'intégrité de celle-ci : étant par nature attentatoire à l'intégrité d'une œuvre, la publicité sur écran partagé devrait, en toute hypothèse, en être exclue, y compris lors de ses génériques.
Par ailleurs, conformément à la jurisprudence de la CJCE (3), la Commission souligne que rien n'interdit l'usage de l'écran partagé pour faire apparaître le logo ou le nom du parrain d'une émission au cours de celle-ci, sous réserve notamment du respect des dispositions de l'article 17 de la directive relatives au parrainage. Cette pratique, consistant à mentionner au cours d'une émission le nom de son parrain, est déjà consacrée en droit français à travers les rappels de parrainage, qui doivent être « ponctuels et discrets ».
• Publicité interactive Les préconisations de la Commission en matière de publicité interactive, qui permet au téléspectateur d'obtenir à l'aide de sa télécommande davantage d'informations sur des biens ou des services présentés à l'antenne, sont globalement très satisfaisantes en ce qu'elles sont de nature à prévenir les dérives publicitaires.
Ainsi, la Commission soumet cette nouvelle forme de publicité à plusieurs conditions cumulatives au nombre desquelles la nécessité de faire des écrans publicitaires son point de départ: afin de préserver le principe de séparation entre la publicité et le contenu éditorial, l'icône interactive à partir de laquelle le public doit cliquer pour accéder à l'environnement interactif doit prendre place au sein des écrans. En outre, dans un but d'identification claire de la publicité et de protection du consommateur, l'accès à l'environnement commercial interactif doit être précédé d'un écran intermédiaire d'avertissement permettant aux téléspectateurs d'agir en connaissance de cause et de ne pas être trompés sur la nature commerciale des messages auxquels ils seront exposés dans l'environnement interactif.
Tant que le téléspectateur n'a pas choisi d'entrer dans cet environnement, on se situe dans le cadre d'une diffusion linéaire de programmes télévisés régie par la directive TSF. Une fois qu'il y accède, le texte cesse de s'appliquer au bénéfice de la directive Commerce électronique.
• Publicité virtuelle Le développement que la Commission consacre à la publicité virtuelle, entendue comme la substitution en temps réel par des moyens électroniques de la publicité placée sur le lieu d'un événement par une autre publicité, n'est pas satisfaisant car comportant trop de zones d'ombre et d'incohérences. On peut néanmoins retenir que l'usage par le diffuseur de techniques virtuelles est admis par la Commission dans la mesure où il peut être qualifié de “parrainage virtuel”, les règles de parrainage trouvant alors lieu de s'appliquer. Ce raisonnement appelle au moins trois observations. En privilégiant la qualification de “parrainage virtuel”, la Commission renvoie implicitement au parrainage sur écran partagé sus-mentionné. Comme ce dernier, le parrainage virtuel est conforme au droit français qui admet les rappels de parrainage en cours d'émission s'ils sont « ponctuels et discrets ». Néanmoins, pour que les insertions virtuelles puissent s'apparenter à des rappels de parrainage en cours d'émission, une condition préalable, passée sous silence par la Commission, est nécessaire : l'annonceur dont le nom va être intégré doit être clairement identifié comme parrain de la retransmission en apparaissant en début ou en fin d'émission.
En retenant la qualification de “parrainage virtuel”, la Commission semble signifier que la “publicité virtuelle”, à savoir l'insertion dans une émission d'une marque qui ne la parraine pas, n'est pas conforme à la directive. Pourtant, contrairement au droit français (4), la définition communautaire de la publicité clandestine ne constitue pas nécessairement un obstacle à la publicité virtuelle. Dès lors en effet que les téléspectateurs sont informés de l'introduction d'images virtuelles dans les programmes, un des éléments constitutifs de la publicité clandestine fait défaut.
Chaque État membre ayant la faculté, conformément à l'article 3 de la directive, de prévoir des règles plus strictes ou plus détaillées, les autorités françaises ne sont pas tenues d'intégrer les préconisations de la Commission et, par suite, peuvent préférer maintenir en l'état le régime publicitaire national plus contraignant.
1er octobre 2004 - Légipresse N°216
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