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Tribune


01/07/2004


Révision de la définition de l'œuvre audiovisuelle Point de vue des producteurs



Jacques PESKINE
Délégué général de l'USPA
Pas d'autre article de cet auteur pour le moment.
 

À l'occasion des décisions de justice relatives à l'émission Popstars (1), la question de la définition de l'œuvre audiovisuelle a été récemment rouverte. Les producteurs de programmes télévisuels regroupés au sein de l'USPA (Union syndicale de la production audiovisuelle), qui réclamaient depuis longtemps cette remise en cause, se réjouissent de ce premier pas. Encore faut-il cerner les enjeux du débat.
I - Les définitions actuelles Rappelons tout d'abord que ce débat ne porte pas sur une définition in abstracto de l'œuvre audiovisuelle. Ne sont en question que des définitions spécifiques de l'œuvre audiovisuelle destinées à l'application de dispositions législatives ou réglementaires. Le débat est lui-même obscurci par le fait que deux définitions sont en usage : celle qu'applique le Centre national du cinéma pour l'attribution des subventions du Compte de soutien aux industries de programmes (COSIP), et celle qu'applique le Conseil supérieur de l'audiovisuel pour vérifier le respect, par les chaînes de télévision, des obligations qui pèsent sur elles du fait de la loi de 1986 relative à la liberté de communication et de ses décrets d'application.
La première de ces définitions est formulée dans le décret n° 95-110 du 2 février 1995, qui régit le COSIP. Elle définit positivement les programmes éligibles aux subventions comme « la production d'œuvres audiovisuelles présentant un intérêt particulier d'ordre culturel, technique ou économique et appartenant à l'un des genres suivants: fiction, à l'exclusion des sketches, animation, documentaire de création et recréation de spectacles vivants ». Ce n'est pas cette définition qui est aujourd'hui la plus contestée, et la réforme en cours d'examen du décret n° 95-110 ne prévoit de la modifier que très marginalement.
La seconde définition est formulée dans le décret n° 90- 66 du 17 janvier 1990. Ce décret (le “décret diffusion”) a pour objet de préciser les obligations des chaînes analogiques terrestres nationales non cryptées en matière de diffusion de films cinématographiques et d'“œuvres audiovisuelles”. Une des difficultés (et pas la moindre) vient de ce que cette définition est également celle qui est mise en application par le CSA pour la vérification des obligations de production des chaînes, le décret établissant ces obligations (n° 2001-609, qui s'est substitué au décret n° 90-67) renvoyant au décret diffusion pour la définition de l'œuvre audiovisuelle.
Il faut s'attarder un instant sur cette double application, à deux types d'obligations qui sont de nature différente.
La principale obligation de diffusion (le “quota de diffusion”) consiste, pour les chaînes, à devoir diffuser, pour une certaine catégorie de programmes, une proportion minimale de programmes d'origine européenne, ou de langue française. Cette obligation a pour objet de garantir aux téléspectateurs français que leur sensibilité, par hypothèse mieux représentée dans les programmes français ou européens, sera suffisamment présente dans les programmes qui leur sont proposés, notamment aux heures de grande écoute. Il s'agit là d'un objectif clairement politique.
Toutefois, cette obligation peut aussi avoir des effets économiques, en conduisant les chaînes à modifier leur politique d'approvisionnement en programmes.
La principale obligation de production (le “quota de production”) consiste, pour les chaînes, à devoir investir chaque année un pourcentage fixé de leur chiffre d'affaires de l'année précédente dans la production de programmes relevant d'un ensemble de catégories, et d'origine européenne ou de langue française. Il s'agit là d'une obligation qui se rattache à la politique industrielle.
Elle vise à ce qu'une proportion minimale du revenu tiré de l'exploitation de la fréquence soit réinvestie en France ou en Europe. La nature des programmes éligibles donne évidemment sa “couleur” à la politique industrielle poursuivie. Le quota de production ne pèse qu'indirectement sur la programmation.
Tous les programmes commandités ne sont pas nécessairement programmés, et peuvent l'être à tout moment de la grille. Cependant, il est naturel que les chaînes cherchent à affecter leurs ressources à des programmes correspondant à leur politique de programmation.
Précisons que la définition appliquée par le CSA pour les deux quotas est “en creux”, et définit les œuvres audiovisuelles à prendre en compte dans les deux cas comme: « les émissions ne relevant pas d'un des genres suivants: œuvres cinématographiques de longue durée; journaux et émissions d'information ; variétés ; jeux ; émissions autres que de fiction majoritairement réalisées en plateau ; retransmissions sportives ; messages publicitaires ; télé-achat ; autopromotion ; services de télétexte ». Cette rédaction permet notamment l'inclusion dans les quotas, à côté des trois genres incontestés que sont la fiction, le dessin animé et le documentaire

de création, de “magazines”, pourvu qu'ils ne soient pas exclus pour être « majoritairement réalisés en plateau ».
Cette définition permet ainsi de qualifier d'œuvre européenne (ou même française) un programme composé de plateau (à condition que celui-ci soit “minoritaire”) et d'achats de reportages d'origine extra-européenne, pourvu que le producteur de l'assemblage soit lui-même français ou européen. En s'abstenant de dire ce que doit être une œuvre audiovisuelle, on a créé les conditions mêmes de la dérive effectivement constatée au fil des années.
II - Les dérives Les producteurs regroupés au sein de l'USPA s'élèvent depuis longtemps contre la définition utilisée pour le décret production. Pour eux, l'objectif de ce quota est de permettre au secteur de la production indépendante de constituer le patrimoine audiovisuel du pays, et ceci avec un double objectif : – permettre la mise à la disposition de tout nouveau diffuseur des catalogues de programmes diffusables et rediffusables ; – permettre aux entreprises de production de se constituer un patrimoine exploitable.
Or, cet objectif n'est atteint que si le quota porte effectivement sur des programmes correspondant à la notion de patrimoine, ce qui n'est pas le cas avec la définition actuelle.
L'usage que font les chaînes est très variable. Ainsi, selon les chiffres du CSA, la part cumulée de la fiction, du dessin animé et du documentaire dans les dépenses décomptées au titre de l'obligation de production de TF1, France 2, France 3, et France 5, dépasse régulièrement 80 %. En revanche, cette part de ces trois genres est inférieure à la moitié des engagements de M6, et au cinquième de ceux de Canal +. Ces deux chaînes font ainsi entrer dans le décompte de leurs obligations de productions des émissions telles que 70 à l'heure, Turbo, Culture Pub (pour M6), ou 60 jours, 60 nuits, C du cinéma (pour Canal +).
Les producteurs audiovisuels ont longtemps espéré que les diffuseurs concernés modifieraient leur comportement, soit spontanément, soit sous l'influence de recommandations du CSA. L'USPA a attiré à cet effet l'attention du Conseil dès 1995, lors de la préparation du premier renouvellement (en 1997) de la convention de M6, sur les pratiques de cette chaîne. Jusqu'à sa prise de position du 17 mai dernier (2), le CSA est resté sourd à ces appels. C'est pourquoi les producteurs, associés aux auteurs et réalisateurs, ont relancé à partir de 2001 le ministre de la Culture et de la Communication, afin d'obtenir la remise en cause par les pouvoirs publics de la définition de 1990. Si Catherine Tasca a choisi, après avoir demandé un rapport sur la question au Directeur général du CNC, de ne pas donner suite à cette demande, l'attitude de son successeur, Jean-Jacques Aillagon, a été différente. Une procédure de concertation a été lancée au cours de l'été 2003, qui a conduit à une réunion sur cette question, le 27 janvier 2004, de l'Observatoire de la production audiovisuelle, puis à une “saisine technique” du CSA par le CNS et la Direction du développement des médias (DDM).
C'est en réponse à cette saisine que le CSA a pour la première fois, dans sa réponse du 11 mai, reconnu l'existence d'un véritable problème, en des termes sans ambiguïté.
L'organe de régulation de l'audiovisuel indique en effet qu'il « considère comme indispensable une évolution du dispositif des quotas de production, visant à : – remédier au contournement de l'esprit de la réglementation que constitue l'optimisation de l'actuelle définition de l'œuvre audiovisuelle par certains diffuseurs ; – revenir à sa vocation première d'incitation à la constitution d'un patrimoine audiovisuel voulu par le législateur. » On peut difficilement être plus clair ! On notera que le CSA ne parle que du quota de production, alors même qu'il est, en l'état des textes, difficile de dissocier les deux quotas. Que faire ? III - Les solutions envisagées La meilleure réponse serait, pour les producteurs, dans la simplicité : recentrer la notion d'œuvre audiovisuelle sur les trois genres qui en relèvent incontestablement : fiction, dessin animé, documentaire de création. C'est d'ailleurs une telle simplification de la réglementation que le Conseil supérieur de l'audiovisuel, invoquant en ce sens un précédent avis du Conseil d'État, réclame. Le CSA a chiffré les conséquences des différentes hypothèses qui lui ont été soumises par la DDM et le CNC. En ce qui concerne le quota de production, le recentrage évoqué ci-dessus conduirait les chaînes à réaffecter collectivement 115 millions d'euros à ces trois genres, ce qui représente 18 % de leurs investissements totaux au titre du quota. L'effet du correctif varie évidemment selon les chaînes. Il représenterait 8,5 % pour France 2, et 67 % pour Canal + ! Même si la pilule peut sembler amère, il ne s'agirait que d'un retour à l'esprit de la loi.
Rappelons qu'il ne s'agit pas d'une taxe, mais de sommes investies dans la production de programmes qui accumulent les meilleures audiences (61 sur les 100 premières en 2003, pour la fiction et le documentaire français).
Cependant, une telle réforme de la définition entraînerait sans doute des conséquences beaucoup plus sensibles dans l'application du quota de diffusion. Le “déclassement” de nombreux magazines, qui servent de contrepoids à la programmation massive de fictions étrangères (particulièrement dans la journée), obligerait les chaînes à des modifications substantielles de leur programmation.
Quelle que soit la légitimité d'une telle évolution, sa seule évocation a conduit à la constitution d'un front uni des diffuseurs contre une remise en cause aussi massive de pratiques solidement établies. C'est pour-

quoi les pouvoirs publics ont examiné deux autres voies: – pousser plus loin l'analyse, en cherchant à distinguer, parmi les magazines, ceux qui “méritent” d'être classés parmi les œuvres audiovisuelles ; – dissocier les définitions appliquées pour les deux quotas.
La première voie rencontre notamment l'appui des auteurs et producteurs impliqués dans la réalisation d'éléments insérés dans certains des magazines contestés. De leur côté, les diffuseurs font valoir que, dans certains cas, le fait d'insérer un document audiovisuel dans un magazine qui comporte une mise en valeur propre (au lieu de le programmer en tant que tel) peut être favorable à la réception par le public de ce document. La dissociation des deux quotas présente l'avantage, purement politique, de permettre de donner satisfaction à la revendication des producteurs (surtout sensibles aux effets du quota de production), sans remettre en cause la programmation des chaînes en tant que telle. La réflexion à partir de ces deux pistes a conduit à chercher à définir un « contenu créatif » des magazines, en se référant à la part de leur durée composée d'éléments produits spécifiquement pour le magazine concerné, en Europe ou en français, en excluant la partie de plateau, et les achats non-européens.
Entre les diverses modalités envisagées, les producteurs, comme le CSA, ont manifesté leur préférence pour la plus simple et la plus objective, qui consiste à prendre en compte, au titre du quota de production, le coût d'un magazine au prorata de la durée du contenu créatif. Ainsi, un magazine de 100 minutes, déclaré par la chaîne pour un montant total d'investissement de 100000 euros, pour lequel la durée éligible (celle des éléments produits spécifiquement pour le magazine concerné, en Europe ou en français, en excluant la partie de plateau et les achats non-européens) est de 70 minutes, serait pris en compte, au titre du quota de production de la chaîne, pour 70 000 euros. Le mécanisme paraîtra fort compliqué à un lecteur non habitué à la complexité du cadre réglementaire dans lequel doivent se mouvoir diffuseurs et producteurs. Il est toutefois facile à mettre en œuvre, puisque le CSA est déjà dans l'obligation de contrôler le contenu des magazines, pour vérifier qu'ils ne sont pas « majoritairement réalisés en plateau ».
En résumé, trois hypothèses s'offrent aujourd'hui au ministre de la Culture et de la Communication : 1/ le statu quo, ce qui signifie que perdurerait une situation que l'organe de régulation qualifie lui-même d'inacceptable ; 2/ le recentrage de la définition, pour les deux quotas, sur les trois genres incontestables : fiction, dessin animé, documentaire de création ; 3/ la solution intermédiaire décrite ci-dessus, insatisfaisante intellectuellement, mais jugée moins agressive par les diffuseurs.
La préférence des producteurs de l'USPA va bien évidemment à la deuxième solution, qui se traduirait par des effets sensibles tant en programmation qu'en financement de la production des programmes à caractère patrimonial.
Cependant, le mieux est parfois l'ennemi du bien, et les producteurs de l'USPA se réjouiraient qu'en adoptant sans tarder la troisième solution, le ministre témoigne de sa détermination à mettre fin à des pratiques manifestement abusives.
1er juillet 2004 - Légipresse N°213
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