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Tribune


01/12/2003


Proposition de directive relative aux mesures et procédures visant à assurer le respect des droits de propriété intellectuelle : consécration d'une piraterie à deux vitesses ?



Thierry DESURMONT
Vice-Président du Directoire de la SACEM, Directeur général de la SDRM
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La contrefaçon des droits de propriété littéraire et artistique n'a cessé de s'étendre ces dernières années, profitant des opportunités que lui offre le nouvel environnement technique de la numérisation et des réseaux. Elle atteint une part substantielle du commerce légal, voire supérieure à ce dernier dans certains États. Elle affecte toutes les catégories d'œuvres, bien que de façon inégale. Elle concerne aussi bien la fabrication d'exemplaires matériels que la diffusion non autorisée d'œuvres sur les réseaux numériques. Sur ce dernier point l'usage massif par les particuliers des logiciels dits “P2P” s'est traduit par une utilisation illicite gigantesque d'œuvres musicales, qui est en passe de s'étendre au secteur audiovisuel. Parallèlement, le marché phonographique mondial et européen se rétracte depuis plusieurs années et la France, tout d'abord épargnée, ne fait plus figure aujourd'hui d'heureuse exception puisque l'on s'attend en 2003 à une baisse d'environ 10 % du marché français du disque.
Il est dès lors indispensable que des moyens efficaces soient mis en place pour lutter efficacement contre ce fléau qui nuit gravement aux intérêts des ayants droit, au développement des industries culturelles et de l'économie, à l'emploi, constitue une source d'évasion fiscale et participe dans certains cas au financement d'activités criminelles.
L'Union européenne ne pouvait rester sans réagir contre un mal qui affecte durement son économie, dans un secteur qui en constitue un élément essentiel et auquel elle a déjà consacré sept directives relatives aux droits de propriété littéraire et artistique.
C'est dans ce contexte que s'inscrit l'adoption par la Commission européenne, le 30 janvier 2003, d'une proposition de directive relative aux mesures et procédures visant à assurer le respect des droits de propriété intellectuelle, dont l'objectif est de rapprocher les législations des États membres en ce domaine. Une telle initiative était attendue par les ayants droit alors que la législation européenne n'avait jusqu'ici abordé que très partiellement la question de la mise en œuvre effective des droits qu'elle instituait ou reconnaissait. Une intervention était d'autant plus nécessaire que la piraterie se développe de plus en plus dans un contexte international et que lutter efficacement contre elle suppose bien souvent une coopération active d'autorités relevant de plusieurs États.
Pourtant, aussitôt connu, le texte de la proposition suscita une vive déception, exprimée publiquement dès le 30 janvier par un communiqué de presse de l'ensemble des représentants du secteur de la création, déception dont on analysera ci-après les principales raisons.
Le principal motif de mécontentement tient au champ d'application de la directive dont l'article 2.1 dispose qu'elle ne s'applique que lorsque « une atteinte est commise à des fins commerciales ou lorsque l'atteinte cause un préjudice substantiel au titulaire du droit ».
Dans le même esprit l'article 20, relatif aux dispositions de droit pénal, prévoit que « les États membres veillent à qualifier d'infraction pénale toute atteinte grave à un droit de propriété intellectuelle […] Une atteinte est considérée comme grave lorsqu'elle est intentionnelle et commise à des fins commerciales. » Une telle conception d'une piraterie à deux vitesses, celle qui est grave parce qu'elle est commise à des fins commerciales, intentionnellement ou cause un préjudice substantiel, et qui à ce titre mérite qu'on s'en occupe, et celle qui serait moins grave parce que ne remplissant pas les caractéristiques précédentes et qu'on pourrait de ce fait négliger, n'est pas acceptable.
Elle ne trouve tout d'abord pas de fondement dans les lois nationales et les traités internationaux et, tout au contraire, l'article 41.1 de l'accord ADPIC conclu dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce oblige les États à « prévoir des procédures de nature à permettre une action efficace contre tout acte qui porterait atteinte aux droits de propriété intellectuelle couverts par le présent accord ».
En outre, elle est porteuse d'une grande insécurité juridique pour les ayants droit puisque les concepts de « fins commerciales » et de « préjudice substantiel » ne sont pas précisément définis et qu'il est dès lors à craindre qu'ils ne soient pas interprétés de la même manière par les législateurs et les tribunaux des différents États membres. C'est aussi oublier, comme le montre tout particulièrement l'exemple du P2P, que des actes qui, pris isolément, peuvent paraître d'une gravité limitée, sont susceptibles de causer globalement, par leur multiplication, un préjudice considérable aux titulaires de droits. Enfin, à une époque où a tendance à se répandre

dans le public le sentiment que l'utilisation non autorisée des œuvres de l'esprit est une chose banale et acceptable, la distinction opérée par la Commission est un message des plus négatifs qui alimente le sentiment d'impunité déjà présent, accrédite l'idée d'un seuil de tolérance de la piraterie et contribue à la banalisation de cette dernière.
De même, l'article 9 de la proposition de directive prévoit un droit à l'information selon lequel les autorités judiciaires compétentes, à la demande du titulaire du droit, ordonnent de fournir des informations sur l'origine et les réseaux de distribution des marchandises ou des services qui sont supposés porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle à toute personne qui a « été trouvée en possession à des fins commerciales, des marchandises litigieuses » ou « a été trouvée en train d'utiliser, à des fins commerciales, des services litigieux ».
Là encore, pourquoi limiter le droit à l'information aux cas où sont impliquées des personnes agissant à des fins commerciales ? Et pourquoi restreindre l'obligation de fournir des informations à la personne qui a été trouvée en train d'utiliser les services litigieux et non l'appliquer aussi à la personne qui, comme par exemple le fournisseur d'accès, fournit ces services ? Par ailleurs, la réglementation des dommagesintérêts est une question essentielle pour les victimes de la piraterie puisqu'elle détermine la possibilité d'obtenir réparation du dommage subi en même temps qu'elle est de nature, par la certitude de condamnations sans faiblesse ni indulgence, à dissuader les auteurs potentiels d'actes de contrefaçon. Or, là encore, le texte de la proposition de directive laisse à désirer.
D'une part, l'article 17.1 ne prévoit l'obligation d'accorder des dommages-intérêts que si le contrevenant s'est livré à une activité illégale « en le sachant ou en ayant des motifs raisonnables de le savoir », privant ainsi les titulaires de droit de la certitude d'obtenir réparation dès lors que le contrevenant n'aurait agi que par imprudence et donnant à celuici la possibilité, pour tenter d'échapper à la condamnation, de susciter des discussions dilatoires sur son état d'esprit.
En outre, l'article 17 ne contient pas de disposition susceptible de répondre à la difficulté qu'ont fréquemment les ayants droit à prouver le montant réel du préjudice subi, les pirates n'étant souvent trouvés qu'en possession d'une petite quantité du total des marchandises fabriquées ou distribuées tandis que les éléments permettant d'établir l'ampleur réelle du trafic sont très difficiles, voire impossibles à retrouver. Une voie possible à cet égard, totalement négligée par la proposition, serait de reconnaître au juge la possibilité d'ordonner le versement de dommages-intérêts préétablis de manière forfaitaire.
La proposition de directive est actuellement examinée par le Parlement européen qui devrait se prononcer prochainement, avant d'être soumise au Conseil de l'Union européenne.
Le rapport déposé au début du mois d'octobre à la Commission juridique et du marché intérieur par Mme Janelly Fourtou apporte fort heureusement des améliorations très sensibles au projet de la Commission sur la plupart des points ci-dessus : • extension du domaine d'application de la directive à toute atteinte aux droits de propriété intellectuelle, tempérée par l'adjonction à l'article 3 d'un alinéa prévoyant que « toute sanction prise doit être efficace, proportionnée et dissuasive, et prendre en compte le caractère intentionnel ou non de l'infraction » ; • le droit à l'information prévu à l'article 9 n'est plus limité aux seules personnes agissant « à des fins commerciales » ; • introduction à l'article 17 de la possibilité pour le juge d'allouer « des dommages-intérêts préétablis, pourvu qu'ils soient proportionnés à la gravité de l'atteinte et suffisamment dissuasifs ».
Le rapport laisse toutefois dans l'incertitude la question de savoir si les intermédiaires sur internet, et notamment les fournisseurs d'accès, sont soumis à l'obligation d'information prévue à l'article 9 et propose une solution de compromis minimum à l'article 20 pour les sanctions pénales, prenant en compte les réticences des États membres et les incertitudes juridiques qui pèsent sur la compétence de la Communauté en la matière en prévoyant que « les États membres prennent les mesures nécessaires pour assurer que toute atteinte ou tentative d'atteinte à un droit de propriété intellectuelle de nature grave et intentionnelle puisse être passible de sanctions pénales ». En outre, il serait préférable que le principe de proportionnalité inscrit à l'article 3 soit décliné à partir de la gravité de l'infraction plutôt que de son caractère intentionnel, le caractère intentionnel de l'atteinte pouvant donner lieu à des débats incertains et une infraction, même non intentionnelle, pouvant causer un préjudice important aux ayants droit.
Sous ces réserves, le rapport de Mme Fourtou redonne à la proposition de directive l'équilibre nécessaire à la protection des intérêts de toutes les parties en présence.
Néanmoins, ce résultat est loin d'être acquis aujourd'hui.
Le rapport de Mme Fourtou a ainsi fait l'objet du dépôt de près de 200 amendements, dont certains très négatifs pour les titulaires de droits. Il est en outre connu qu'un certain nombre d'États membres demeurent réticents à un renforcement de la proposition et se satisferaient volontiers d'un texte minimaliste.
L'enjeu des discussions à venir est fondamental. Par ses aspects pratiques, mais aussi parce qu'il s'agit de savoir si les autorités européennes ont la volonté politique de lutter sans concessions contre le développement de toutes les formes d'utilisation illicite des créations protégées ou si elles adoptent une attitude temporisatrice dès lors qu'il est question d'appliquer des mesures de contrainte.
1er décembre 2003 - Légipresse N°207
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