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Tribune


01/10/2003


Ouverture prochaine des écrans publicitaires aux secteurs interdits de publicité télévisée



 

L'aspect le plus original de la réglementation publicitaire française, qui est aussi le plus ardemment commenté, est en passe d'évoluer radicalement. L'ouverture des écrans aux secteurs interdits de publicité télévisée par voie réglementaire est en effet programmée pour ces prochains mois. Il conviendra néanmoins au préalable que la Commission européenne ait entériné le projet de décret que lui auront soumis les autorités françaises.
Réclamée de longue date par de nombreux groupes de pression, cette ouverture ne serait sans doute pas sur le point d'aboutir si les pouvoirs publics français n'avaient pas été pressés par les instances communautaires. Celles-ci ont vu dans le particularisme français une restriction aux libertés fondamentales garanties par le traité instituant la Communauté européenne, en tant qu'il pourrait affecter de façon directe les services de vente d'espaces publicitaires proposés par les chaînes de télévision françaises et les activités de service fournies par les annonceurs étrangers appartenant aux secteurs économiques exclus.
Préalablement à l'examen du nouveau dispositif, sa genèse peut être utilement rappelée.
• Défense d'intérêts sectoriels Craignant que l'accès de quelques secteurs économiques à la publicité télévisée ne favorise les phénomènes de concentration interne à ces secteurs et ne mette à mal le pluralisme de l'information et des médias, les pouvoirs publics, soucieux de maintenir de fragiles équilibres économiques, ont décidé de les exclure des écrans publicitaires. L'interdiction, énoncée à l'article 8 du décret n° 92-280 du 27 mars 1992 (1), concerne les secteurs de l'édition littéraire, du cinéma, de la presse et de la distribution.
Pour les deux premiers cités, l'interdiction a pour ambition de préserver la diversité culturelle, accueillir les éditeurs littéraires ou les professionnels du cinéma au sein des écrans étant de nature à favoriser très majoritairement l'accès des grandes structures au détriment des plus modestes. Il existe incontestablement une forte inégalité de pouvoir d'achat des différents acteurs de ces secteurs face au coût élevé des écrans publicitaires des grandes chaînes nationales.
L'interdiction qui frappe le secteur de la presse vise à préserver la liberté d'expression à travers le pluralisme des titres.
Une ouverture des écrans serait en effet de nature à privilégier les grands groupes, financièrement les plus à même de communiquer par voie télévisuelle. L'éviction de la distribution des écrans publicitaires métropolitains est guidée par le souci d'éviter que les entreprises du secteur ne désertent les espaces publicitaires de la radio et de la presse, en particulier de la presse quotidienne régionale, au profit de ceux, très prisés, de la télévision.
Par cette mesure, les pouvoirs publics se sont efforcés de limiter le risque de concentration des ressources publicitaires par le seul média télévisuel. L'interdiction répondrait également au souci de sauvegarder le tissu commercial des petites et moyennes entreprises, le petit commerce ne disposant pas des moyens financiers nécessaires à la mise en œuvre de campagnes publicitaires télévisées.
• Pré-contentieux communautaire Après s'être vue refuser l'accès des écrans publicitaires français, une société de distribution de meubles belge a déposé en 1996 une plainte auprès de la Commission européenne en soutenant que les dispositions de l'article 8 du décret du 27 mars 1992 constituaient une restriction au principe de libre prestation des services au sens de l'article 49 du traité CE et qu'elles n'étaient pas proportionnées à l'objectif poursuivi. Considérant que ces dispositions pouvaient effectivement produire des effets restrictifs à la diffusion transfrontalière de la publicité télévisée, la Commission (DG Marché intérieur) a ouvert une procédure d'information auprès des autorités françaises en septembre 1997.
Conformément à la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE), des mesures restrictives à la libre prestation de services peuvent être justifiées par des motifs impérieux d'intérêt général, sous réserve toutefois que les mesures prises ne soient pas discriminatoires entre les ressortissants communautaires et qu'elles soient proportionnées aux objectifs visés. Or, la Commission conteste le caractère proportionné des dispositions de l'article 8 du décret du 27 mars 1992.
Elle estime que des mesures moins restrictives seraient plus adaptées aux objectifs d'intérêt général poursuivis que sont la sauvegarde du pluralisme et la diversité culturelle. Aussi a-t-elle adressé au gouvernement français en mars 1999 puis en avril 2001 de nouvelles demandes d'information.
Guère convaincue par les réponses apportées par les autorités françaises, la Commission européenne a adressé en mai 2002 une lettre de mise en demeure à la France, pouvant à terme déboucher sur une procédure en manquement devant la CJCE. La Commission persiste à dénier le caractère proportionné des mesures édictées par le décret du 27 mars 1992 avec les objectifs poursuivis.

Quoiqu'écartant les arguments juridiques invoqués par la Commission, la France l'a informée en septembre 2002 ouvrir une concertation avec les acteurs concernés par l'ouverture des secteurs interdits, qu'ils y soient, pour des raisons diverses, favorables (services de télévision, grands groupes de presse et de cinéma…) ou hostiles (professionnels du cinéma, éditeurs littéraires et groupes de presse les plus modestes, éditeurs de services de radiodiffusion sonore…).
Sur la base des résultats de cette consultation, le gouvernement a arrêté un dispositif de compromis, devant tout à la fois permettre de ne pas bouleverser les équilibres jusqu'alors recherchés et de concilier les impératifs de libre prestation de services d'une part, de pluralisme des médias et de diversité culturelle d'autre part.
• Le nouveau régime La concertation a permis de dégager un consensus suffisant pour lever l'interdiction frappant le secteur de la presse. À compter du 1er janvier 2004, les annonceurs ressortissant à ce secteur pourront accéder aux écrans publicitaires. Les difficultés d'application que peut soulever cette ouverture complète au regard de l'interdiction de la publicité politique conduiront sans nul doute le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), dans le cadre de son pouvoir interprétatif, à l'encadrer.
S'agissant du secteur de l'édition littéraire, le gouvernement a souhaité préserver l'équilibre actuel en privilégiant une ouverture le 1er janvier 2004 sur les seuls services de télévision exclusivement distribués par câble ou diffusés par satellite. Les mérites de ce régime sont doubles : offrir des ressources supplémentaires à des chaînes confrontées à un contexte publicitaire difficile et à une forte baisse du niveau moyen de redevance par abonné; rendre accessible à la grande majorité des éditeurs littéraires les écrans publicitaires de ces services, qui restent bon marché.
On peut regretter que les télévisions locales, peu viables économiquement, n'aient pas été retenues.
Pour ne pas pénaliser les sociétés nationales par rapport aux riches majors américaines, les rédacteurs du projet de décret ont maintenu l'interdiction d'accès du secteur du cinéma aux écrans publicitaires à l'exception de ceux programmés dans les plages cryptées des services de cinéma distribués par câble ou diffusés par satellite ou par voie hertzienne terrestre en mode numérique.
Enfin, en ce qui concerne le secteur de la distribution, le gouvernement a opté pour une ouverture progressive et partielle, l'interdiction demeurant pour les « opérations commerciales de promotion se déroulant entièrement ou principalement sur le territoire national ». L'interdiction est ainsi levée selon les modalités suivantes : – la publicité télévisée est autorisée à l'exclusion des « opérations commerciales de promotion », entendues comme les offres de produits ou de prestation de services ou l'organisation d'événements présentant un caractère occasionnel ou saisonnier.
Toute offre temporaire, limitée dans le temps ou par les stocks, est ainsi proscrite. Cette restriction, qui mène à une communication institutionnelle, est destinée à contenir l'impact de l'ouverture sur les médias les plus exposés, particulièrement la presse quotidienne régionale et la radio, qui seules pourront proposer des messages promotionnels ; – toute limitation pour les opérations de promotion se déroulant sur le territoire des autres États membres de l'Union européenne est levée. En retenant cette solution, les rédacteurs du décret ont cherché à réduire les restrictions à la libre circulation des produits et services, les distributeurs établis dans d'autres États membres, en particulier dans les zones frontalières, échappant à l'interdiction ; – il est procédé à une ouverture progressive du secteur, celleci bénéficiant dès le 1er janvier 2004 aux services du câble et du satellite, aux télévisions locales puis à la télévision numérique terrestre et, à compter du 1er janvier 2007, aux chaînes hertziennes à vocation nationale. Ces dernières devaient initialement accueillir les distributeurs le 1er janvier 2006. Le report d'un an résulte des suggestions faites par le CSA dans l'avis qu'il a rendu le 22 juillet 2003 sur les deux projets de décrets modifiant le décret du 27 mars 1992 que lui avait soumis le gouvernement.
• Portée économique de l'ouverture du secteur de la distribution L'instance de régulation a souligné que la phase pendant laquelle il convenait de différer l'arrivée de la publicité en faveur de la distribution sur les chaînes nationales hertziennes analogiques devait être suffisamment longue pour permettre le développement des services de télévision n'ayant pas atteint une puissance suffisante pour collecter des ressources publicitaires assurant leur pérennité. Si cette phase était trop brève, l'ouverture aurait pour principal effet de renforcer la position des leaders de la télévision commerciale, et singulièrement celle de l'acteur en position dominante sur le marché de la publicité télévisuelle qu'est TF1.
La situation actuelle du marché de la publicité télévisée se caractérise en effet par une concentration des recettes publicitaires sur un nombre limité de supports et par les difficultés de développement des chaînes de complément. Ce sont les deux grandes chaînes commerciales, TF1 et M6, qui bénéficient le plus des investissements publicitaires, concentrant 70 % des investissements publicitaires de la télévision.
Compte tenu de leur caractère de médias de masse et de l'attrait des annonceurs issus de la grande distribution pour les médias leaders, il fait peu de doute que les investissements publicitaires qui se déploieront vers la télévision seront essentiellement captés par les chaînes hertziennes nationales.
La fenêtre de deux ans ménagée initialement par le texte avant l'ouverture généralisée du secteur de la distribution lui étant apparue beaucoup trop courte, le CSA a fortement insisté dans son avis sur la nécessité de différer cette ouverture sur les chaînes nationales hertziennes analogiques jusqu'au jour où les diffuseurs émergents – chaînes du câble et du satellite, télévisions locales et chaînes gratuites de la télévision numérique terrestre – auront pu se positionner sur le marché publicitaire télévisé de façon suffisamment prononcée pour que ne soit pas menacée leur pérennité, et qu'ainsi la diversité du paysage audiovisuel soit assurée.
Condamné à rendre des comptes à la Commission européenne et, partant, ayant une marge de manœuvre réduite, le gouvernement entend finalement ne différer que de trois années l'ouverture totale de la publicité télévisée aux distributeurs. Les instances communautaires se satisferont-elles de cette concession ?
1er octobre 2003 - Légipresse N°205
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