Dès lors que les chroniqueuses qu'entouraient les deux animatrices vedettes de l'émission pouvaient aisément être remplacées, la cour d'appel, qui n'a pas expliqué en quoi l'interprétation que donnait la demanderesse du personnage d'une « Kawaï Girl » présentait un caractère personnel, n'a pas donné de base légale à sa décision de requalifi cation de son emploi d'artiste de complément en emploi d'artiste-interprète (2e espèce).
Par deux arrêts rendus le 6 juillet 1999 (1) au visa de l'article L. 212-1 du Cpi (2), la 1re chambre civile de la Cour de cassation affirmait haut et clair que la qualité d'artiste-interprète doit profiter à toute personne ayant interprété un rôle, aussi modeste soit-il, dans une oeuvre audiovisuelle (il s'agissait alors d'un vidéo-clip et d'un film publicitaire) et que la qualification d'artiste de complément doit être écartée dans ce cas.Par deux arrêts rendus le 24 avril 2013 ...
Cour de cassation, 1re ch. civile, 24 avril 2013, Du Jamais Vu c/ Mme X (« Les Filles de Kawaï »)
Guillem QUERZOLA
Avocat au Barreau de Paris Spécialiste en droit de la propriété ...
(2) Civ. 1re, 6 juill. 1999, n° 96-43.749, inédit, et n° 97-40.572, Bull. n° 230 : D. 2000,p. 209, concl. J. Sainte-Rose ; Cce 1999, comm. 42, note Caron ; Gapi, Dalloz 2004,p. 200, obs. S. Pessina Nissard.
(3) Art. L. 212-1 Cpi : « À l'exclusion de l'artiste de complément, considéré commetel par les usages professionnels, l'artiste-interprète ou exécutant est la personnequi représente, chante, récite, déclame, joue ou exécute de toute autre manière uneoeuvre littéraire ou artistique, un numéro de variétés, de cirque ou de marionnettes ».
(4) V. ci-dessus.
(5) Soc., 3 juin 2009 : Légipresse 2009, n° 264-III, p. 161, note D. Chenu ; CA Paris18e ch., 12 févr. 2008 : Légipresse n° 251-III, p. 75, note D. Chenu ;. V. aussi, toujoursà propos de L'Île de la Tentation, Cph Paris 1re ch., 30 nov 2005 : Légipresse2006, n° 231-I, p. 70 ; Cph Saint-Etienne, 22 déc. 2008 : Légipresse 2009, n° 259-III,p. 35, note D. Poracchia et A. Bugada. Le problème de la qualification d'artisteinterprèteavait déjà été abordé, mais de manière accessoire, et il n'avait pas étésoumis à la Cour de cassation.
(6) CA Paris pôle 6-5, 12 mai 2011, n° 09/07028.
(7) Art. L. 7121-2 C. trav. : « Sont considérés comme artistes du spectacle, notamment :1° L'artiste lyrique ; 2° L'artiste dramatique ; 3° L'artiste chorégraphique ; 4° L'artiste devariétés ; 5° Le musicien ; 6° Le chansonnier ; 7° L'artiste de complément ; 8° Le chefd'orchestre ; 9° L'arrangeur-orchestrateur ; l0° Le metteur en scène, pour l'exécutionmatérielle de sa conception artistique ».
(8) Un auteur, spécialiste de la question, considère que la condition d'interprétationd'une oeuvre est requise pour caractériser l'artiste du spectacle, tout enécartant le critère du « talent personnel », retenu à tort, selon lui, par la Cour decassation dans un arrêt critiqué (S. Pessina-Dassonville, « La qualité d'artiste duspectacle : une notion dévoyée », Propr. intell. 2008, n° 27, p. 194, à propos de Civ.2e, 14 déc. 2004, n° 03-30387, inédit : Légipresse 2006, n° 232-III, p. 121).
(9) Art. 3 Conv. Rome : « on entend par : a) « artistes interprètes ou exécutants »,les acteurs, chanteurs, musiciens, danseurs et autres personnes qui représentent,chantent, récitent, déclament, jouent ou exécutent de toute autre manière des oeuvreslittéraires ou artistiques ».
(10) V. notam. Lucas, Traité de la propriété littéraire et artistique, Litec 2012, n° 1132.
(11) V. A.-E. Kahn, J.-Cl. Propriété littéraire et artistique, Fasc. 1425, LexisNexis 2010,n° 60 S.
(12) « Considérant que l'artiste de complément se distingue de l'artiste-interprète dansune oeuvre déterminée non seulement par le caractère complémentaire, accessoire deson rôle, mais surtout par le fait que sa personnalité ne transparaît pas dans sa prestation,à la différence de l'artiste-interprète qui s'investit plus complètement et rend ainsison interprétation originale ; qu'il s'ensuit que l'artiste de complément est interchangeable,le plus souvent non identifiable et qu'il ne se distingue pas de manière certainedes autres artistes de complément lorsque l'exécution est collective ; » (CA Paris 18e ch.,18 févr. 1993 : D. 1993, p. 397, note I. Wekstein ; Rida avr. 1993, p. 214 S.).
(13) « Mais attendu qu'après avoir justement écarté en l'espèce l'usage invoqué par lasociété Telema, tiré de la brièveté du texte, à l'appui de la qualification d'artiste de complément,la cour d'appel a souverainement retenu que si Mme X... tenait un second rôle,elle apportait au film une contribution originale et personnelle en qualité d'actrice,caractérisant ainsi sa qualité d'artiste-interprète, au sens de l'article L. 212-1 du Codede la propriété intellectuelle » (Civ. 1re, 6 juill. 1999, n° 97-40.572, préc. note 1, V. enpart. D. 2000, p. 209, conc. J. Sainte-Rose, La distinction entre artiste-interprète etartiste de complément).
(14) Pour l'audiovisuel, c'est le cas de la convention collective nationale desartistes-interprètes engagés pour des émissions de télévision du 30 décembre1992 dont l'article 1.1 que les participants à L'Île de la Tentation reprochaientprécisément aux juges du fond d'avoir violé en leur refusant la qualité d'artisteinterprète,argument écarté par l'arrêt commenté précise : « On entend parartistes-interprètes les personnes engagées en qualité d'artistes dramatiques (ycompris pour des prestations de voix hors champ ou de lectures de commentaires),lyriques, chorégraphiques, de variétés, (y compris chansonniers), cascadeurs, artistesmarionnettistes, artistes des choeurs (tels que définis à l'article 5.14.3.1. de la présenteconvention), à l'exclusion des artistes de complément (même s'ils sont appelés à réciterou à chanter collectivement un texte connu), silhouettes (artistes de complément dontle personnage doit pour les nécessités de la mise en scène, ressortir dans le champ dela caméra), chefs de file, doublures lumière et des artistes musiciens ».
(15) Lucas préc., n° 1133.
(16) CA Versailles, 5 avr. 2011, n° 09/01674 : Cce 2011, chron. 9 (n° 2), obs. P. Tafforeau,et étude 12, X. Daverat, « Retour sur une fiction sociale : la télé-réalité ».
(17) La jurisprudence admet que l'oeuvre puisse se créer avec l'interprétation,pour les musiciens comme pour les comédiens (V. notam. Kahn préc., n° 24 à 26).
(18) V. P. Tafforeau, La notion d'interprétation en droit de la propriété littéraire etartistique, Propr. intell. 2006, comm. 18, p. 53, qui opère une véritable distinctionjuridique entre les deux.
(19) V. M. Vivant et J.-M. Bruguière, Droit d'auteur et droits voisins, Précis Dalloz 2012,n° 1171, qui les distingue malgré les termes de l'art. L. 212-1 Cpi.
(20) V. Vivant et Bruguière préc., n° 1175, qui considèrent le critère artistiquecomme indifférent « eu égard aux difficultés de cerner le domaine artistique de lacréation ».
(21) Lucas préc., n° 1134.
(22) Sur ce point, la remarquable étude de S. Pessina-Dassonville (préc. note 7)offre, à propos des émissions télévisées de la Française des Jeux, un véritableplaidoyer en faveur du spectacle artistique qui ne doit pas être confondu, selonlui, avec le spectacle de divertissement, sous peine de dévoyer la notion d'artistedu spectacle.
(23) Civ. 1re, 13 nov. 2008, n° 06-16.278, Bull. n° 259 : Rida 2/2009, p. 405 ; Rldi 2009/2,n° 1501, note M. Schaffner, A. Abello et G. Sroussi.
(24) On notera que la qualité d'artiste-interprète pouvait tout aussi bien êtreécartée sur le fondement précédemment évoqué, à savoir l'absence d'oeuvreinterprétée par l'instituteur, son cours oral aux élèves, non plus que son dialogueavec le réalisateur ne pouvant être considérés comme des oeuvres de l'esprit.
(25) V. A. Lucas, in Propr. intell. 2009, n° 31, p. 172, et Kahn préc., n° 31.
(26) V. Daverat préc. note 15 qui considère 1°) qu'ils tiennent un rôle en jouantun personnage audiovisuel, à la différence du sujet d'un film documentaire, 2°)qu'ils impriment un caractère personnel à leur prestation en incarnant un profilbien défini, 3°) qu'ils interviennent dans une émission qui présente toutes lescaractéristiques d'une oeuvre protégeable.
(27) D. 2003, p. 2738.
(28) Soc., 10 févr. 1998, Bull. n° 82 : Légipresse 1998, n° 153, III, p. 101, comm. L. Veyssière; Jcp E 1999, p. 1484, obs. Laporte-Legeais ; Gapi, Dalloz 2004, p. 198 S., obs.S. Pessina NIssard : « il se livre par la voix ou le geste à un jeu de scène impliquant uneinterprétation personnelle et relevant de l'activité du spectacle » (en réalité, il s'agissaitd'artiste du spectacle, mais la décision a une portée plus large).
(29) Civ. 1re, 6 juill. 1999, n° 97-40.572, préc.
(30) On observera que l'avocat général avait pourtant pris le soin, à juste titreselon nous, d'exclure dans ses conclusions toute référence à l'originalité : « L'originalitéest une notion qui concerne le droit d'auteur et non les droits voisins ; elle n'estd'ailleurs pas incluse dans les dispositions de l'art. L. 212-1 C. propr. intell. Ne faut-il pass'en tenir au seul caractère personnel de la prestation, sauf à assimiler les droits voisinsau droit d'auteur lui-même ? Cette solution n'est, semble-t-il, conforme ni à la volontédu législateur, ni à l'intérêt bien compris des artistes-interprètes ».
(31) V. note 11.
(32) CA Paris pôle 5-2, 25 sept. 2009, n° 08/04612 : Propr. intell. 2010, n° 34, p. 638,obs. A. Lucas.
(33) Civ. 2e, 14 déc. 2004, préc.
(34) Vivant et Bruguière préc., n° 1179.
(35) Kahn préc., n° 48 et 49.
(36) Tafforeau préc., p. 54 : « il nous semble que la personnalité de l'artiste-interprètese manifeste toujours dans son interprétation ( ) Car il nous paraît très exceptionnelque l'interprète manque totalement de personnalité dans son travail ».
(37) CA Paris pôle 6-5, 12 mai 2011, préc.
(38) V. Kahn préc., n° 50.
(39) Pour les plus jeunes, rappelons qu'il s'agissait d'un personnage publicitaire(et d'une marque) dont le riz avait la particularité de ne jamais coller.
(40) CA Versailles 15e ch., 9 oct. 2008 : Légipresse 2009, n° 258-III, p. 1, note P.Tafforeau ; Propr intell. 2009, n° 31, p. 173, obs. J.-M. Bruguière.