Le droit à l'image n'est pas absolu et doit se concilier avec le principe de la liberté d'expression garanti par l'article 10 de la Convention eDH, qui renferme la liberté de communiquer ou de recevoir des idées, y compris par le biais de la diff usion d'une oeuvre artistique constituée de représentations iconographiques dès lors que ces dernières respectent la dignité de la personne humaine et sont exemptes de tout détournement de l'image auquel il ne peut donc s'opposer que dans la mesure nécessaire à la préservation des droits de l'individu. En l'espèce, certaines des représentations poursuivies sont attentatoires à la dignité de la demanderesse, dès lors qu'elle apparaît sur des photos aff ublée de vêtements destinés à mettre en valeur certaines parties dénudées de son corps, dans des poses suggestives, parfois provocantes, appartenant habituellement au registre de l'érotisme ou de la pornographie, alors que, jeune enfant sous l'autorité de sa mère, elle n'a pu donner un consentement éclairé quant à l'utilisation qui serait faite de son image et que ces clichées ont pu avoir sur elle, pendant son enfance mais aussi à l'âge adulte, des conséquences d'une particulière gravité. Les demandes d'interdiction et de restitution des clichés, qui portent sur l'ensemble des travaux photographiques de la défenderesse sont d'une telle ampleur que le tribunal se trouve dans l'impossibilité de statuer au regard de la formulation des demandes. En eff et, une interdiction d'exploitation et de diff usion ne saurait être générale mais doit s'apprécier concrètement pour chaque image prise isolément.
Tribunal de grande instance, Paris, 17e ch. civ., 17 décembre 2012, E. Ionesco et a. c/ I. Ionesco et a.
David LEFRANC
Cabinet Laropoin, avocat spécialiste IP/IT, docteur en droit, enseignant
(6) M.-P. Subtil, « La condamnation pour corruption de mineurs de l'artiste KikiLamers confirmée en appel » : Le Monde 4 févr. 2005.
(7) Le souffre en moins, les démêlés du chanteur de variétés Jordy avec sesparents posent un peu la même question : de quels moyens juridiques disposeun enfant ayant fourni la matière première de l'oeuvre de ses parents ? V. CAParis, Pôle 5, 1re ch., 16 févr. 2011, Sony Music Entertainement c/ Jordy Lemoine :Juris-Data n° 2011-002925.
(8) A. Diatkine, art. préc.
(9) D. Girardin et C. Pirker, Controverses. Une histoire juridique et éthique de laphotographie, éd. Actes Sud et Musée de l'Élysée, 2008, p. 192.
(10) Tgi Paris, ord. sur req. du 6 avr. 2011.
(11) Plusieurs sites internet d'information ont relayé une dépêche Afp rapportantl'annonce par Eva Ionesco dès le lendemain du délibéré de son intentionde faire appel. V. par ex. : « Eva Ionesco va faire appel pour faire interdire desphotos d'elle nue enfant » : http://www.leparisien.fr/
(12) CA Paris, 14e ch. B, 13 nov. 1998 : Juris-Data n° 1998-024022.
(15) Tous les droits de l'auteur sont concernés. Mais, s'agissant du droit moral,les choses sont un peu complexes. La revendication de paternité n'est soumiseà aucune prescription, l'auteur devant conserver à tout moment la possibilitéde dénoncer une usurpation ou sortir de l'anonymat. Une atteinte au respectdû à l'oeuvre nous semble en revanche devoir être dénoncée dans le délai decinq ans.
(16) CA Paris, 4e ch. B, 18 févr. 2000, Wiezniak c/ Polygram : Juris-Data n° 2000-120577.
(17) Sur la patrimonialisation des droits de la personnalité, la littérature estabondante. Citons ici : G. Loiseau, Le nom, objet d'un contrat, préf. J. Ghestin, Lgdj,1998 D. Lefranc, La renommée en droit privé, Lgdj, 2004 D. Lefranc, « L'auteuret la personne. Libres propos sur les rapports entre le droit d'auteur et les droitsde la personnalité » : D. 2002, p. 1926 C. Caron, « Un nouveau droit voisin estné : le droit patrimonial sur l'image », obs. ss. CA Versailles, 12e ch., 2e sect., 22sept. 2005 : Cce janv. 2006, n° 1, comm. n° 4 P. Tafforeau, « L'être et l'avoir ou lapatrimonialisation de l'image des personnes » : Cce mai 2007, n° 5, étude n° 9.
(18) « Mais attendu que le droit d'agir pour le respect de la vie privée ou de l'images'éteint au décès de la personne concernée, seule titulaire de ce droit », Cass. 1re civ.,15 févr. 2005, pourvoi n° 03-18302.
(21) Art. 2224 C. civ. (issu de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réformede la prescription en matière civile) : « Les actions personnelles ou mobilières se prescriventpar cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dûconnaître les faits lui permettant de l'exercer. »
(22) On sait que ce texte pose un principe général, en dépit de sa situation dansla partie du code relative aux contrats. Dès lors, la Cour de cassation le visedans des affaires de responsabilité civile délictuelle. V. par ex. : Cass. 1re civ., 19nov. 2009, pourvoi n° 08-19094.
(23) V. Cass. com. 18 févr. 1986, pourvoi n° 86-10620.
(24) Art. 146 Cpc.
(25) Art. 9 Cpc.
(26) Cass. com., 16 juin 1998, pourvoi n° 96-20182 CA Paris, Pôle 1, 3e ch., 4déc. 2012 : Juris-Data RG n° 12/07416 CA Douai, 2e ch., 1re sect., 25 juin 2009 :Juris-Data n° 2009-010068.
(27) Saisies conservatoires, saisies-contrefaçon et confiscations sont expressémentenvisagées par des textes législatifs spéciaux et exprès. En droit d'auteur,V. not. art. L. 331-1-1, L. 331-1-4, L. 332-1 et s., L. 331-1 Cpi. Se reporter enparticulier au remarquable ouvrage de P. Véron et alii, Saisie-contrefaçon, Dalloz-Sirey, 3e éd. 2012.
(28) Dans l'excellent film d'Eva Ionesco My little princess, le personnageincarnant la mère (Isabelle Huppert) dissimule les négatifs compromettant àcompter du jour où la justice et sa fille risquent de les lui retirer. Cette dissimulationlui permet ainsi de poursuivre l'exploitation sans être inquiétée, ce quireprésente bien tout le problème aujourd'hui encore.
(29) Art. 809, al. 1er Cpc.
(30) CA Paris, 14e ch. B, 10 nov. 2006 : Juris-Data n° 2006-336852. V. aussi, TgiParis, 3e ch., 1re sect., 22 nov. 2012, RG n° 10/14339, Ernoult c/ Jacques TournantPublicitaire : inédit.
(31) CA Bordeaux, 1re ch. civ. A, 20 févr. 2012 : Juris-Data n° 2012-002742.
(32) V. dans une logique assez proche : Cass. soc., 4 juill. 2012, pourvoi n° 2012-015858 (le fait de baptiser « Données personnelles » un disque dur n'autorise pasà présumer de ce que l'intégralité des données stockées serait effectivementde nature personnelle).
(41) A. Zollinger, « La dignité de la fin de vie », note ss. CA Douai, 3e ch., 21 oct.2010 : Légipresse janv. 2011, n° 279, p. 29.
(42) Le Monde 29 juin 2011, op. cit.
(43) J.-C. Saint-Pau, « L'article 9 du Code civil : matrice des droits de la personnalité? », note ss. Cass. 1re civ., 16 juill. 1998 : D. 1999, p. 541.