La personne physique ou morale à l'initiative d'une oeuvre collective est investie des droits de l'auteur sur cette oeuvre et, notamment, des prérogatives du droit moral.
« Droit d'auteur et marché » : en sous-titrant ainsi son ouvrage consacré à la loi du 3 juillet 1985 relative au droit d'auteur et aux droits voisins (1), notre confrère Bernard Edelman soulignait, il y a près de vingt ans, une tension majeure traversant, selon lui, le droit d'auteur contemporain, tiraillé entre conception personnaliste historique et logique d'entreprise de plus en plus prégnante.Cette ligne de fracture potentielle au coeur des concepts du droit d'auteur est en ...
Cour de cassation, 1re ch. civ., 22 mars 2012, SDFA c/ C.Y.
Vincent Varet
Docteur en droit - Avocat au barreau de Paris Varet Près société d'avocats
(1) * L'auteur remercie Alexandra Winckler pour les recherches préparatoires auprésent article qu'elle a bien voulu effectuer.
(2) Droit d'auteur et droits voisins, Dalloz 1993.
(3) Cette notion trouvant sa source plus d'un siècle en amont, dans une célèbreséquence jurisprudentielle, dite « Firmin-Didot » : Crim. 16 juill. 1853, DP 1853, 1,309 ; Crim. 4 mai 1854, DP 1855, 1, 127. C'est dire que la tension entre logiquespersonnaliste et économique ne date pas de la dernière pluie.
(4) H. Desbois, Le droit d'auteur en France, D., 3e éd., 1978, n° 166, qui la qualifie,notamment, d'« anomalie ».
(5) Comme souvent, était également recherchée la responsabilité civile de ladéfenderesse sur le fondement de la concurrence déloyale. Cet aspect du litigene sera pas commenté ici, sauf à relever que l'arrêt d'appel est cassé égalementen ce qu'il a rejeté les demandes formées par la société Sdfa et sa fondatrice surle fondement de la concurrence déloyale, sans que cette cassation soit justifiéeautrement dans l'arrêt rapporté que par l'affirmation selon laquelle la cassationsur le terrain du droit moral entraîne « par voie de conséquence », cassation duchef de la demande au titre des actes de concurrence déloyale, ce qui paraîtun motif insolite ; on ne doute pas cependant que cette solution ait une causeraisonnable, cachée à notre ignorance de profane, mais limpide pour la HauteJuridiction.
(6) Les modalités procédurales de l'intervention de la fondatrice de cettesociété sont incertaines : elle était demanderesse au pourvoi aux côtés de lasociété Sdfa elle-même, mais les moyens de ce pourvoi ne sont articulés qu'encontemplation de cette société, seule étant querellée son irrecevabilité à agirprononcée par la cour d'appel.
(7) Desbois, op. cit., n° 691 ; P.Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, 7e éd. refondue,Puf 2010, n° 693 ; Ph. Gaudrat, Juris-Classeur Propriété littéraire et artistique,fasc. 1211, 2001, n° 63 ; plus nuancée, C. Bernault, Juris-Classeur Propriété littéraireet artistique, fasc. 1185, n° 91.
(8) Civ. 1re, 8 oct. 1980, pourvoi n° 79-11135 ; Civ. 1re, 15 avr. 1986, pourvoin° 84-12008 (sans ambiguïté sur le fait que le droit moral n'appartient pas aupromoteur) ; Civ. 1re, 16 déc. 1986, pourvoi n° 85-10838 ; Paris, 4e ch. A, 14 mars1994, Juris-Data, n° 1993-010699 (clair également) ; Versailles, 13e ch., 18 nov.1999, Juris-Data, n° 1999-108392.
(9) A. et H.-J. Lucas, Traité de la propriété littéraire et artistique, 3e éd., Litec 2006,n° 209 ; F. Pollaud-Dulian, Le droit d'auteur, Economica, 2005, n° 381 ; M. Vivant etJ.-M. Bruguière, « Droit d'auteur », D., 1re éd. 2009, n° 341 ; A. Latreille, « La notiond'oeuvre collective où l'entonnoir sur la tête », Communication CommerceÉlectronique, mai 2000, n° 10.
(10) En ce sens, M. Vivant et J.-M. Bruguière, ibid. ; A. Latreille, ibid.
(11) Paris, 4e ch. B, 18 avr. 1991, Juris-Data, n° 1991-021576 ; Tgi Paris, 3e ch. 7 novembre2007, D. 2008, p. 2643, obs. B. Edelman.
(12) Civ. 1re, 8 déc. 1993, pourvoi n° 91-20170 : contrairement à une lecture parfoisdonnée de cette décision, qui tire argument du fait que la Haute Juridictiony a expressément relevé que l'attribution à une société de la qualité d'auteurétait une « impropriété de terme » pour l'interpréter comme en faveur de laconception personnaliste, cet arrêt dit clairement que ladite société, investiedes droits de l'auteur, pouvait invoquer notamment la protection légale dudroit moral.
(13) En ce sens, A. Latil, obs. sous l'arrêt rapporté, D. 2012, p. 1246.
(14) V. P.-Y. Gautier, op. cit., n° 693. C. Caron semble également préférer une tellesolution distributive : C. Caron, Droit d'auteur et droits voisins, 2e éd., Litec 2009,n° 235.
(15) Sur ce sujet, v. spéc. P.-Y. Gautier, ibid. En jurisprudence, v. notamment Civ.1re, 8 oct. 1980, pourvoi n° 79-11135 ; Civ. 1re, 16 déc. 1986, pourvoi n° 85-10838.
(16) Comp. A. Latreille, ibid., qui défend l'idée voisine selon laquelle lorsque laqualification d'oeuvre collective est retenue, le régime qui en découle doit êtreappliqué dans sa plénitude, sans chercher à reprendre au niveau des prérogativesce qui a été accordé, peut-être trop largement, au stade de la qualification.
(17) Civ. 1re, 8 déc. 1993, pourvoi n° 91-20170.
(18) F. Fouilland, « L'auteur personne morale, éléments pour une théorie del'emprunt de la personnalité artistique », Communication Commerce Électronique,déc. 2008, étude n° 24. V. également A. Latil, op. cit., note 13.
(21) P.-Y. Gautier, op. cit., n° 697, qui défend cette solution pour les droits patrimoniaux pour lui, en effet, le droit moral est resté sur la tête des contributeurs,personnes physiques.