Le droit de l'Union européenne s'oppose à une injonction faite à un fournisseur d'accès à internet de mettre en place un système de fi ltrage de toutes les communications électroniques transitant par ses services, notamment par l'emploi de logiciels peerto- peer ; qui s'applique indistinctement à l'égard de toute sa clientèle ; à titre préventif ; à ses frais exclusifs, et sans limitation dans le temps, capable d'identifi er sur le réseau de ce fournisseur la circulation de fi chiers électroniques contenant une oeuvre musicale, cinématographique ou audiovisuelle sur laquelle le demandeur prétend détenir des droits de propriété intellectuelle, en vue de bloquer le transfert de fi chiers dont l'échange porte atteinte au droit d'auteur.
Aux fins de mieux lutter contre les échanges de contenus réalisés sur internet en violation des droits de propriété littéraire et artistique, la tentation est forte, pour les auteurs et leurs ayants droit, de vouloir réagir avec une célérité toujours plus grande à la commission des actes de contrefaçon. Par deux arrêts, respectivement rendus le 24 novembre 2011 et le 16 février 2012, tous deux initiés par un renvoi préjudiciel des juridictions belges, la Cour de justice de ...
Cour de Justice de l'Union européenne, 3e ch., 24 novembre 2011, Scarlet Extended SA c/ Sabam
Olivier BUSTIN
Docteur en droit, chargé d'enseignement à l'Université de Paris XIII ...
(2) V. H. Tilliet, « Les dispositions relatives à l'encouragement de l'offre légale et àla lutte contre la contrefaçon dans les lois des 12 juin et 28 octobre 2009 », Rida1/2010. 85.
(3) À supposer que la communication non autorisée d'oeuvres sur internetfinisse par être éradiquée, il n'est pas acquis que les internautes, ainsi privésd'une manne qu'ils appréciaient d'autant plus qu'elle était gratuite, se décidentà acheter dans des volumes similaires des exemplaires licites d'oeuvres, dématérialisésou non.
(4) Cf. les discussions houleuses qui, outre-Atlantique, accompagnent l'examenen cours des projets de lois fédérales Pipa et Sopa, respectivement devant leSénat et la Chambre des représentants, ainsi que les manifestations de ruehostiles à l'Accord commercial anti-contrefaçon (Acta en anglais), adopté le2 octobre 2010 et dont l'entrée en vigueur est conditionnée à la ratificationd'au moins six pays signataires (sur ce traité, v. J.-Ch. Galloux, Rtd com. 2011. 81).
(5) Sur cet arrêt, v. les commentaires de E. Derieux, Rldi 1/2012.61 ; C. Manara,Rldi 1/2012.67 ; A. Troianiello, Rldi 1/2012.71.
(6) Sur la nécessité, en droit français, de respecter le principe de subsidiaritéprévu à l'article 6-I-8 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004, suivant lequel lesfournisseurs d'accès à internet ne peuvent être mis à contribution que si leshébergeurs des sites litigieux sont non identifiables, voir Tgi Paris, réf., 10 février2012, Copwatch, qui déclare irrecevable l'action exercée contre les fournisseursd'accès à internet sans qu'il soit préalablement démontré qu'il n'était paspossible d'identifier les hébergeurs des sites litigieux ; à rappr. de Civ. 1re, 19 juin2008 : Bull. civ. I, n° 128 qui, pour être bien compris, mérite d'être lu avec l'arrêtd'appel contre lequel le pourvoi a été formé et rejeté, CA Paris (14e ch., sect. B),24 novembre 2006, RG 05/15722.
(7) Les faits de l'espèce sont donc à distinguer de ceux de l'affaire Promusicae(Cjce, 29 janvier 2008, C-275/06 : PI 2008. 239, obs. V.-L. Benabou ; Rtd eur. 2008.405, obs. J. Schmidt-Szalewski ; Cce 2008, n° 32, note C. Caron ; D. 2008. 480, obs.J. Daleau ; Légipresse 2008. III. 61, note J. Lesueur) et de ceux de l'affaire Lsg (Cjce,19 février 2009, C-557/07) dans lesquelles l'association de producteurs et d'éditeursPromusicae dans un cas, la société de gestion collective Lsg dans l'autre,souhaitaient que le Fai assigné en justice soit condamné à leur communiquerles noms et adresses de plusieurs de ses abonnés dont l'adresse IP, la date etl'heure de la connexion litigieuse leur étaient déjà connues.
(8) Sur ce jugement, v. Tpi Bruxelles, 29 juin 2007 : Rtd com. 2008. 306, obs.F. Pollaud-Dulian ; T. Verbiest et M. de Bellefroid, « Filtrage et responsabilitédes prestataires techniques de l'internet : retour sur l'affaire Sabam c/ Tiscali » :Légipresse 2007. II. 156.
(9) Sur l'arrêt d'appel du 28 janvier 2010, v. E. Wéry et V. Delforge, « Peut-on imposeraux fournisseurs d'accès à internet des mesures de filtrages préventives ?La Cour européenne de justice tranchera » : Rldi 4/2010. 14.
(10) Cons. const., 10 juin 2009, n° 2009-580 : Cce 2010, n° 1, note C. Caron ; v. aussiL. Marino, « Le droit d'accès à internet, nouveau droit fondamental » : D. 2009.2045 ; M. Vivant, « Les mots des acteurs L'Hadopi et les bijoux de la Castafiore » :PI 2010. 757.
(11) Sur ce point, v. notamment A. Neri, « L'injonction de filtrage rendue àl'égard d'un intermédiaire : une mesure controversée aux conséquences redoutables» : Cce 2012, étude n° 3.
(12) V. J. Huet et E. Dreyer, Droit de la communication numérique, Lgdj, 2011,n° 120.
(13) V. F. Pollaud-Dulian, obs. préc.
(14) La Cour relève également qu'une analyse systématique de tous lescontenus, ainsi que la collecte et l'identification des adresses IP des utilisateurs,serait susceptible de porter atteinte au droit des clients du Fai à la protectiondes données à caractère personnel (Cjue, Scarlet, § 50-51 ; Netlog, § 48-49), sanstoutefois véritablement s'en expliquer. Sur ce point, il n'est d'ailleurs pas acquisque le juge français eût retenu la même analyse (v. J. Huet et E. Dreyer, op. cit.,n° 348 ; v. aussi supra note 22).
(15) En se fiant au rapport d'expertise judiciaire auquel il avait pu avoir accès,F. Coppens a évalué que le coût de ces mesures tournerait autour d'un milliond'euros par an (v. F. Coppens, Rdti 2008. 87, spéc. 98).
(16) Sur ce point, v. notamment A. Debet, L'influence de la Convention européennedes droits de l'homme sur le droit civil, préf. L. Leveneur, Dalloz, 2002, n° 244-245 et 250-251 ; v. aussi L. Marino, « Les droits fondamentaux émancipent lejuge : l'exemple du droit d'auteur » : Jcp 2010. 829 ; E. Montero et Q. Van Enis,« Ménager la liberté d'expression au regard des mesures de filtrage imposéesaux intermédiaires de l'internet : la quadrature du cercle ? » : Rldi 6/2010. 86.
(17) Cf. les articles 8, 11, 16 et 17 de la Charte, relatifs respectivement à laprotection des données à caractère personnel, à la liberté d'expression etd'information, à la liberté d'entreprise et au droit de propriété.
(20) Sur ce régime limitatif de responsabilité, v. B. Beigner, B. de Lamy et E.Dreyer (ss dir.), Traité de droit de la presse et des médias, Litec, 2009, n° 1990 et s.
(21) Pour le texte de la décision, v. Rdti 2008.87. Pour une opinion considérant quel'injonction pourrait faire perdre au fournisseur d'accès le bénéfice de l'exonérationde responsabilité, v. E. Montero et Y. Cool, « Le peer-to-peer en sursis ? » : Rtdi 2005. 97.
(22) V. F. Terré, « Être ou ne pas être responsable À propos des prestatairesde service par internet » : Jcp 2011.1175 ; P.-Y. Gautier, « De l'éventuel « rôle actif »des opérateurs internet dans la réalisation du dommage (qualifications deresponsabilité civile) » : D. 2011. 2054.
(23) Sur la licéité, au regard de la protection des données personnelles, del'identification d'un internaute à partir de son adresse IP aux fins de luttercontre la contrefaçon sur internet, v. CE, 23 mai 2007 : Cce 2007, n° 90, noteC. Caron ; Cons. const., 29 juillet 2004 : Cce 2004, n° 108, note C. Caron.
(24) Sur le commandement de l'autorité légitime comme fait justificatif, v. G. Vineyet P. Jourdain, « Les conditions de la responsabilité », in Traité de droit civilpar Jacques Ghestin, Lgdj, 3e éd., 2006, n° 562 et s.
(25) V. A. Bensamoun et C. Zolynski, « La lutte contre la contrefaçon sur internet :les sources de l'implication des prestataires techniques » : Rldi 10/2011. 59.
(26) En 1999, à la question du rôle attendu de l'intermédiaire donnant accèsà internet, le Professeur M. Vivant répondait notamment qu'« il serait bonque les acteurs sociaux quels qu'ils soient se vivent responsables civiquement etmoralement, ce qui veut dire qu'ils osent prendre et assumer des positions qui lesengagent » (M. Vivant, « La responsabilité des intermédiaires de l'internet » : Jcp1999.I.180). Une dizaine d'années plus tard, le « droit négocié » qui émerge vaassurément dans cette direction.
(27) Sur ce point, mettant en avant les techniques de cryptage d'adresse IP,ou le recours à une adresse IP flottante pour échapper à toute identification,v. E. Putman, « La preuve par l'adresse IP : une vraie question déjà dépassée? » : Rldi 1/2011. 84. On pourrait également mentionner le recours auxVirtual private network (Vpn) anonymes, aux newsgroups et évidemment austreaming.